La réponse du sénateur Jean-Pierre Michel à l’intervention de Thibault Collin lors des auditions relatives à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe a le mérite de la clarté : ce qui est juste, c’est ce que dit la loi qui reflète l’état d’un rapport de force à un moment donné. Mais est-ce encore du droit ? Comment faire une telle confiance dans la volonté humaine même exprimée à travers des procédures démocratiques ? N’y a-t-il pas autre chose que la force au fondement du droit ? Il est évident que l’écologie humaine ne peut se satisfaire d’un droit qui méconnaît les besoins de la personne et son intégration dans un environnement au point d’ignorer les exigences de la justice.
LA PERSONNE ET SON ENVIRONNEMENT
Famille. Le plus proche environnement de la personne est sa famille. Le droit de la famille devrait garantir les institutions assurant à la personne les conditions humaines et matérielles de son développement. De l’enfance à la vieillesse, les institutions juridiques aident à faire tenir debout (c’est le sens originaire du mot instituer) la personne. Cela passe notamment par le respect d’une identité stable et non soumise au simple désir comme le souhaiteraient des courants de pensée inspirés des études de genre. Cela implique aussi d’offrir une structure institutionnelle protectrice tant du couple que des enfants en soustrayant largement le sort des personnes du pouvoir des volontés individuelles. Le droit devrait permettre également la promotion de la famille durable par la protection des solidarités personnelles entre époux et entre générations mais aussi des solidarités sociales entre foyers notamment afin de favoriser l’accueil de la vie. La vocation du droit n’est pas de laisser la personne sans repère soumise à la seule volonté ou aux bons, mais variables, sentiments.
« Le droit devrait permettre également la promotion de la famille durable par la protection des solidarités personnelles entre époux et entre générations mais aussi des solidarités sociales entre foyers notamment afin de favoriser l’accueil de la vie »
Environnement. L’écologie humaine ne peut évidemment être insensible à la protection de l’environnement naturel de la personne. Le droit de l’environnement et plus généralement du développement durable protège ainsi l’être humain. En effet, le développement durable peut se définir comme celui « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (G.H. Brundtland, 1987). La protection de la nature garantit ainsi l’accès des générations actuelles et futures aux ressources essentielles telles que l’eau ou un air respirable. Il ne s’agit donc pas de protéger la Mère Nature comme une personne, un nouveau sujet de droit, mais de conserver le cadre de la vie humaine et de le transmettre à ceux qui viennent après nous.
La famille et l’environnement ont en commun de protéger des solidarités non seulement horizontales entre les membres d’une même génération mais aussi verticales, intergénérationnelles. La filiation et le développement durable contribuent ainsi au bien commun présent et futur des générations à venir. Cette attention particulière à l’environnement de la personne devient alors un enjeu démocratique. En effet, la démocratie implique une prise en considération des générations futures et non seulement de la génération présente : sans cela, elle est menacée de sombrer dans la simple démagogie en poursuivant la satisfaction des intérêts immédiats de personnes ou de groupes de pression.
« L’écologie humaine ne peut évidemment être insensible à la protection de l’environnement naturel de la personne. Le droit de l’environnement et plus généralement du développement durable protège ainsi l’être humain. »
LA PERSONNE ET SES BESOINS
Travailleur. Le droit du travail est fondé sur la fiction de la distinction de la personne et de sa force de travail. Le travailleur est censé proposer sa force de travail sur un marché analogue à celui qui existe pour les biens et les services. Cette conception traditionnelle a été un facteur d’émancipation dans la mesure où elle prétendait ne plus soumettre la personne tout entière au pouvoir du maître comme dans l’esclavage ou le service féodal. Elle a toutefois eu pour contrepartie une excessive abstraction et un profond individualisme.
Cette approche donne une base fragile au droit du travail. La protection du travailleur peut se trouver remise en cause lorsque les circonstances économiques impliquent un fonctionnement du marché du travail défavorable à l’offre de travail. Pour éviter cela, il faut cesser de considérer le travail comme une marchandise, une donnée économique complémentaire du capital et rétablir le lien entre la personne et son travail tout en revalorisant les formes d’actions collectives, nationales et internationales, que l’individualisme entrave souvent. Dans cette perspective, il faut naturellement permettre le renouvellement de l’action syndicale mais aussi la création de labels (notamment en matière de travail décent) et assurer la promotion de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
« Rétablir le lien entre la personne et son travail tout en revalorisant les formes d’actions collectives, nationales et internationales, que l’individualisme entrave souvent. »
Consommateur. A bien des égards, l’économie moderne n’est pas tournée vers la satisfaction des besoins des consommateurs, contrairement à ce que l’on affirme souvent, mais vers l’organisation de leur insatisfaction. Le consommateur est un éternel insatisfait mû par des envies suscitées par une publicité omniprésente. Le droit de la consommation joue un rôle ambigu de protection du consommateur : il le protège autant pour l’inciter à consommer sans crainte, fut-ce dans l’indifférence à ses besoins réels, que pour le protéger contre la tentation de l’achat compulsif et inutile. En redonnant sa dimension personnelle et morale à la consommation, le droit assurerait plus efficacement la protection des véritables besoins de la personne. Cette tâche devrait être menée de concert avec les travailleurs qui contribuent à la production des biens et des services. En effet, le consommateur doit prendre conscience qu’il a une responsabilité sociale qui ne peut être détachée de la responsabilité sociale de l’entreprise.
La prise en compte des besoins concrets de la vie personnelle et des solidarités communautaires devrait permettre de dépasser le risque de réduction du droit à une simple expression d’un rapport de force à un moment donné. En négligeant les besoins concrets de la personne, la pensée matérialiste et positiviste, qui domine aujourd’hui, fait du droit une simple expression de la volonté humaine et le plus souvent d’une confrontation, souvent violente, de volontés, où le plus fort l’emporte. En partant d’une réalité concrète, le droit peut se refonder sur le réel. Il serait alors moins sensible aux effets néfastes des grandes idéologies et certainement plus juste. Faut-il en attendre autre chose ?