Hugues Chardonnet, médecin et alpiniste, amoureux fou de montagne et auteur de Les sommets sont à tous (Ed. Glénat), raconte pourquoi il a fondé l’association 82-4000 solidaires ; nombreux sont les bénéfices qui en découlent.
Je pense que chacun a une place sur la Terre ; chaque vie a un sens. Le sens, on le trouve souvent quand on partage, quand on s’ouvre à la relation. Surtout si on partage non pas ce qui déborde de l’assiette mais plutôt ce qui est notre essentiel.
Hugues Chardonnet
Quand l’amour de la montagne pousse au partage
Hugues Chardonnet, fondateur de l’association 82-4000 solidaires : “Ce projet est l’aboutissement d’une vie. Très jeune, j’ai eu la chance – moi le gamin de banlieue – d’être invité par des gens généreux, à la montagne. Voilà comment j’ai attrapé le virus !
Bientôt, j’ai eu un rêve : devenir guide montagne. Motivé par des amis, je me suis lancé dans l’aventure.
Mais j’ai eu un choc en débutant dans ce métier ; il m’apparaissait scandaleux que cet environnement naturel, la haute montagne, qui appartient à tout le monde et est ouvert, accueillant, soit réservé à des personnes culturellement et économiquement favorisés.
Avec quelques amis passionnés de montagne, on a eu envie d’agir et de partager la montagne avec les plus pauvres.
À cette époque, j’étais actif chez ATD Quart Monde. C’est donc tout naturellement avec cette association que l’on a monté le premier projet de partage de la montagne avec les plus pauvres – des personnes issues de quartiers défavorisés et d’autres qui connaissaient ou avaient connu la rue. L’association 82-4000 solidaires est née ainsi.
82-4000 solidaires : des passionnés de montagne
Vous l’aurez compris, 82-4000 solidaires est une association des passionnés de montagne ; ils ont tous bien conscience que la montagne leur a beaucoup apporté.
Il faut dire que la haute montagne est un environnement extraordinaire : quand on se retrouve en altitude, dans les glaciers, sur les rochers, on est comme sur la lune tellement c’est différent de tout ce que l’on peut connaître par ailleurs !
Par sa beauté, par la solidarité qui s’y crée – dans la cordée en particulier – dans la confiance qui est nécessaire entre les participants, c’est un environnement qui enrichit de façon inouïe.
82-4000 solidaires : comment s’organisent les séjours en montagne
Nous entrons en relation avec des personnes en grande précarité économique par l’intermédiaire de structures sociales, sur tous le territoire français.
Le projet est assez simple ; grâce à ces structures sociales, nous organisons une première journée de vacances. Un guide de haute montagne passe une journée avec les personnes, dans leur quartier ou campement. Là, on commence à parler de la montagne. On va montrer des photos de personnes qui ne sont pas des athlètes, qui peuvent même parfois être un peu grosses ou âgées, et qui grimpent des sommets, voire escalade des glaciers. C’est grâce à ces images et au récit du guide que nos interlocuteurs commencent à prendre conscience que c’est peut-être possible, pour eux aussi, de vivre cette aventure. Dès que cette petite lumière brille dans leurs yeux, on sait que c’est bon ! Le projet va pouvoir se faire !
On va alors monter un projet de vacances d’une semaine pour découvrir cet environnement exceptionnel. Et c’est pendant cette semaine en altitude que l’on va découvrir, tous ensemble, la verticalité, le rocher, comment s’assurer avec une corde, traverser un glacier, atteindre un sommet, voire dormir dans un refuge. Et – cerise sur le gâteau – l’on va goûter à la beauté d’un coucher de soleil et au silence habité de la nature.
Vous imaginez l’immersion que cela représente ! Ce changement radical d’environnement marque pour toute une vie ! Quand on revient d’une telle expérience, on en est fier, on peut la raconter autour de soi, à ses enfants. C’est un moment hors du temps que l’on n’oublie jamais.
Quand on interroge ceux qui sont partis avec nous, ils disent que la montagne a rafraîchi leur vie, qu’elle les a relevés et leur a donné la liberté qui leur manquait. Ils trouvent des mots forts et originaux. Et ils deviennent d’ailleurs des porte-parole de notre association.
Que veut dire 82-4000 ?
L’association 82-4000 a un nom insolite qui est une petite introduction à la culture de l’alpinisme. Car oui, l’alpinisme n’est pas un sport mais bien une culture !
Dans les Alpes, il y a 82 sommets qui dépassent 4 000 mètres d’altitude. Parcourir ces très beaux sommets est un rêve que font beaucoup d’alpinistes !
Grimper au sommet, en toute sécurité
L’alpinisme est une pratique, une culture (qui est sportive, bien sûr !) et qui implique une gestion de risque. On peut parfois avoir l’image de l’alpiniste trompe-la-mort, qui va risquer sa peau toutes les cinq minutes. Ca n’est pas exactement ce qui se passe dans la réalité. De mon côté, en montagne, je ne veux pas mourir ! Je suis donc prudent. Et nous sommes beaucoup dans ce cas ! La vie, en montagne, prend une valeur immense ; on a encore plus envie de la protéger.
En tant que guide, mon bonheur est de choisir une belle montagne avec quelqu’un et d’arriver ensemble au sommet – avoir cette incroyable expérience de réussite – pour finir par redescendre, avec le sourire, et raconter, faire profiter aux autres de ce que cette expérience nous a donné.
Ce que la montagne apporte
Au sein de 82-4000 solidaires, notre grande originalité est de faire se rencontrer deux mondes qui s’ignorent complètement : celui de la grande précarité économique et celui de la haute montagne.
Cet environnement naturel sauvage a quelque chose d’inouï, d’inattendu à offrir à toute personne qui a la chance d’y être invité.
La première chose qu’il nous enseigne est que l’on est sur une île qui nous est commune. La planète terre est notre maison commune, voilà ce que l’on touche du doigt en haute montagne, en marchant sur les rocher, sur la neige. Cette prise de conscience se traduit par une perception physique extrêmement forte.
La première émotion qui nous étreint lorsqu’on est guidé dans cet environnement est la joie de son immensité. Il nous dépasse par sa beauté, sa grandeur ; on voit bien que l’on est une partie seulement d’un tout.
Cet environnement m’accueille et me fait grandir ; je reviens de là-haut avec la perception que j’ai ma place sur cette planète. L’univers immense qu’il m’offre me permet de porter mon regard sur d’autres dimensions que le simple espace où je suis cantonné dans ma vie quotidienne. Il ouvre à l’universalité.
Et si j’ai réussi à aller au sommet, c’est grâce à la cordée, tous ceux avec qui j’ai marché, à qui j’ai dû faire confiance et qui m’ont fait confiance. Au fond, en montagne, avec cette responsabilisation et cette réciprocité positive, on créé un modèle sociétal presque parfait !
L’importance de la réussite et du partage
Nous avons tous besoin d’avoir réussi quelque chose dans notre vie. J’ai aussi l’impression que tant que l’on n’a pas rendu service dans sa vie, au fond, on n’a rien fait. Personnellement, cela me comble infiniment de partager ce que j’aime plutôt que d’en profiter seul. Se mettre au service des autres, particulièrement de ceux qui en ont le plus besoin, donne une sorte de joie, de plénitude, de sensation d’accomplissement et de bien-être.
En ce qui concerne la réussite, c’est inimaginable ce que la montagne offre comme énergie pour transformer son quotidien !
Chaque fois qu’une personne revient d’un stage 82-4000 solidaires en haute montagne, il se passe quelque chose pour elle. Il y a, par exemple, l’histoire de Christelle qui s’est dit, grâce à cette expérience, qu’elle avait le droit d’oser faire de belles choses. Elle a alors laissé éclater ses talents d’artiste, via la sculpture et le dessin.
Il y a aussi l’histoire d’Ingrid, une trentenaire en grande difficultés, qui avait peur de tout – crevasse, rocher, corde. En rentrant du stage, elle s’est dit que puisqu’elle avait été capable de franchir un glacier, elle allait certainement pouvoir aussi passer un entretien d’embauche. Aujourd’hui, elle est en CDI et sa vie a complètement changé.
Nous ne comptons plus ce type d’histoires ! C’est la montagne qui permet cela : elle donne du souffle, de l’espoir, elle nous fait grandir.”