Mysam cab : réhumaniser l’ubérisation

23 Jan, 2019 | CONSOMMATION, DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, Non classé, SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN, TRAVAIL

Pierre Rosi est serial-entrepreneur et Président de Mysam Cab, application Française de VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) et taxis.
Cet article est issu de l’ouvrage « Société de Bien Commun vol.2, révéler l’humanité, combattre l’inhumanité ».

“Voilà la force de ce projet : investir dans l’humain, permettre l’engagement des personnes,
créer un réseau communautaire mondial entre chauffeurs en récompensant chacun à hauteur de son investissement personnel.”

Un système injuste

En devenant chauffeur de VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur) pendant un an en Midi-Pyrénées, j’ai fait le constat que les VTC sont totalement dépendants de la plateforme pour laquelle ils travaillent : conditions tarifaires drastiques, déconnexion de la plateforme via un système d’évaluation angoissant, etc.
Les chauffeurs subissent un système précaire et ont le sentiment de ne pas être considérés. Certaines plateformes estiment d’ailleurs que le facteur gênant est le chauffeur humain et travaillent donc activement à la création de véhicules autonomes…
Devant cette situation qui me paraissait injuste, j’ai pris le temps de creuser la question et ai recueilli l’avis de nombreux chauffeurs pour mieux cerner leurs mécontentements et imaginer des évolutions. Et ce, alors même que je n’étais pas prédestiné à cela.

J’ai quitté l’école à 16 ans, sans diplôme. À vingt ans, j’ai fondé ma première société : un parc automobile. Je vendais des voitures d’occasions que j’achetais à l’étranger. J’ai enchaîné avec un centre de mise en forme et de bien-être, puis des boîtes de nuit, bars, restaurants… J’ai monté sept entreprises. Et j’ai fini par tout vendre : ce milieu ne me faisait pas évoluer et je m’ennuyais. J’ai cessé de travailler pendant deux ans, cherchant une idée à mettre en oeuvre dans le digital.

« L’idée de génie, vous la trouverez dans la vie de tous les jours » : suite à la découverte de cette parole d’un économiste, à chaque fois que je faisais quelque chose – comme ouvrir la porte de chez moi le matin – je me demandais comment faire pour améliorer la situation. Or, j’utilisais fréquemment les VTC. Et à chaque course, j’entendais le chauffeur se plaindre du modèle économique qui lui était imposé. C’est là que j’ai eu l’idée de me lancer dans ce secteur. Comme je ne le connaissais qu’en tant que client, j’ai décidé de consacrer une année à expérimenter le côté « chauffeur ».  Il s’agissait de me mettre à leur place, en utilisant tous les supports à leur disposition.
J’ai alors réalisé que les chauffeurs VTC vivaient une sorte de salariat déguisé, qu’ils n’avaient aucune autonomie, ne pouvaient prendre aucune décision et étaient complètement dépendants des plateformes existantes.

Après une longue phase d’étude de marché, aidé par le Réseau Entreprendre Tarn, j’ai créé Mysam Cab. Il s’agit d’une application sur smartphone de mise en relation avec les chauffeurs privés. Elle vous permet de réserver votre VTC pour un départ immédiat ou jusqu’à un mois à l’avance ; de suivre l’arrivée du chauffeur, de créer une liste de chauffeurs favoris ; de gérer un carnet d’adresses ; de commander un trajet partout en France, de jour comme de nuit.
À première vue, c’est une application classique comme on peut en trouver sur le marché. Sauf qu’elle a été pensée collectivement et localement (100 % made in France !), de façon à proposer une forte valeur ajoutée tant aux clients qu’aux chauffeurs.

Créer l’engagement via des règles plus humaines

Quelques mesures ont été pensées pour permettent aux chauffeurs de tirer leur épingle du jeu et d’acquérir plus d’autonomie : Mysam Cab est une plateforme individuelle ET communautaire.

Individuelle car chaque chauffeur a sa propre application. Il va pouvoir développer sa propre clientèle, où qu’il soit en France, et, quand il voudra cesser son activité, il va pouvoir céder cette application et sa clientèle sur le principe du fonds de commerce. Mysam Cab l’aide à créer de la valeur sur sa société.
Communautaire, parce qu’un chauffeur de Paris peut prendre soin d’un client d’un chauffeur de Toulouse. Et celui de Toulouse, qui est l’apporteur d’affaires, bénéficie de cette prise en charge.

Concrètement, Mysam Cab permet à chaque chauffeur de créer son fichier clients : quand il fait entrer un nouveau passager dans le réseau, il lui attribue un code permanent. Cela permet au chauffeur « parrain » de toucher une commission d’apporteur d’affaire sur l’ensemble des courses de son client via un VTC Mysam Cab. Résultat, un chauffeur bon commercial peut finir par arrêter de rouler et ne vivre que de ses commissions !
Ces fichiers clients des chauffeurs sont leurs propriétés : ils ont le droit de le vendre à d’autres professionnels VTC mais, de façon assez évidente, en aucun cas à un concurrent de Mysam Cab.Et puis, j’ai souhaité qu’avec Mysam Cab, n’importe quel VTC ou Taxi puisse s’inscrire et proposer ses services sur la plateforme, quel que soit son emplacement géographique. Ainsi, il pourra travailler dans son département, créer sa propre clientèle et profiter de tous les avantages qu’offre l’application.
D’autre part, toutes les décisions de tarification sont votées par les chauffeurs, par région. La plateforme prélève une commission de 15 % sur chaque course, contre 20 à 35 % chez nos concurrents. La commission tombe à 5 % si le chauffeur transporte un client qu’il a lui-même parrainé.
En ce qui concerne la gouvernance de la plateforme, toutes les décisions sont votées par les chauffeurs, les résultats des votes sont envoyés et appliqués par tous, le jour même de la clôture.
Si un chauffeur n’est pas d’accord avec le résultat du vote, il pourra en redemander un au bout d’un an. La meilleure illustration de ce principe de fonctionnement est la façon dont nous sommes passés au tarif fixe. Certains chauffeurs malintentionnés rallongeaient volontairement les trajets pour gagner plus. Cela pénalisait les clients d’autres chauffeurs, lesquels se plaignaient de cette manœuvre frauduleuse. Ils ont donc demandé un vote pour passer au tarif fixé lors de la commande. Deux jours plus tard, le vote était effectué et entériné !
Côté utilisateur, le client peut réserver son chauffeur préféré mais si celui-ci n’est pas disponible, la course peut être transféré à un autre chauffeur de confiance ou repart dans la communauté Mysam Cab. Le client peut aussi mettre un chauffeur en favori ou au contraire le mettre sur une liste noire pour ne plus avoir affaire avec lui si le contact s’est mal passé.

Où en est-on aujourd’hui ?

Mysam Cab existe dans trente-cinq villes et compte 3600 chauffeurs convoyant 15000 clients. Le lancement officiel a été réalisé début 2018 et les
demandes sont nombreuses.
En avril 2018, le Groupe Dépêche du Midi devient actionnaire à hauteur de 12,25 %.
En mai 2018, Mysam Cab compte dix salariés. Si tout se passe comme prévu, nous serons une vingtaine à la fin de l’année.
Le capital va bientôt être ouvert aux chauffeurs, ce qui leur donnera la possibilité de participer au conseil d’administration.
Alors oui, Mysam Cab est bien une interface digitale (encore une !), mais la différence entre Mysam Cab et les autres, c’est qu’elle est personnelle. Chaque chauffeur peut la développer et la céder comme un fonds de commerce, en étant en lien étroit avec la communauté. Voilà la force de ce projet : investir dans l’humain, permettre l’engagement des personnes, créer un réseau communautaire mondial entre chauffeurs en récompensant chacun à hauteur de son investissement personnel. En bref, c’est la seule application véritablement démocratique : tout est voté par les chauffeurs qui sont maîtres de leur activité.

Il faut évidemment beaucoup de travail pour implémenter ce type d’initiative. Accepter de se faire aider, se mettre en situation de comprendre le terrain, échanger le plus possible avec les différentes parties prenantes, parfois concurrentes, pour détricoter la complexité et faire émerger un chemin juste et viable. Mais le fait est là : il est possible de faire bouger les lignes. Il s’agit d’ouvrir les yeux et d’oser.
À chacun de regarder autour de lui pour combattre l’inhumanité et trouver « l’idée de génie » au service d’une Société de Bien Commun !

 

>> Pour approfondir cette réflexion sur la Société de Bien Commun, cliquer ici. <<

Ce livre est un appel lancé aux femmes et aux hommes d’ici et d’aujourd’hui : les idées pour humaniser le monde se trouvent dans la vie de tous les jours ! Nous sommes tous de potentiels acteurs de cette conversion positive. Pourquoi pas vous ?

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