Dans le cadre du forum Territoires Vivants 2021, dont le fil rouge était l’Eure-et-Loir, Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, a interviewé Patrick Violas, fondateur de la Tanière, premier Zoo-refuge en France. Un témoignage poignant.
Patrick Violas : “Je ne peux pas vous présenter la Tanière si je ne vous parle pas de ma vie précédente. J’avais une vie économique en Eure-et-Loir. Avec mon épouse, on avait créé une entreprise qui comptait 1 850 salariés à travers la France. On a cédé cette entreprise en 2009 au groupe SFR. Et on a alors créé une ferme pédagogique qui s’appelait la renaissance, où l’on accueillait des animaux domestiques : vaches, moutons, cochons… tous issus de sauvetage. On trouvait des animaux à deux, trois, quatre pattes. On a même accueilli un mouton à cinq pattes !
C’est comme cela que l’on a découvert les besoins existants dans l’univers des animaux sauvages. Notre premier sauvetage s’est fait sur des daims ; des bambis qui étaient dans le parc national de l’école de police, à Rouen. C’étaient des animaux qui n’étaient pas en règle, et la police les avait donc saisis. On est intervenus pour en sauver quelques-uns.
On était conscient de la tâche qui nous attendait : on savait qu’on devrait probablement donner le fruit de notre première vie de travail dans ce projet. Et qu’il faudrait ensuite qu’on s’occupe de tous ces animaux.
Et c’est ainsi que l’on a créé le premier Zoo-refuge en France. Le principe ? Tous les animaux qui passent par chez nous sont destinés à repartir. On les soigne médicalement si besoin, physiquement, mais aussi administrativement (parce que les mettre en règle nécessite beaucoup de travail) et on replace les animaux. Quand les mesures gouvernementales nous permettront d’ouvrir à nouveau, nos visiteurs viendront comme dans un zoo classique, avec boutique, peluches, restaurants… Sauf que les animaux qui seront là sont en attente d’être replacés ; ce sont des animaux de sauvetage.
Les animaux qui sont chez nous aujourd’hui sont à 70 – 80 % des animaux issus de trafic. Le trafic d’animaux est le troisième trafic au monde, après les drogues et les armes. Parfois, ces animaux sont saisis pour détention illégale dans de mauvaises conditions. On n’imagine pas le nombre de gens qui détiennent des animaux sauvages de façon illégale. Aujourd’hui, on parle beaucoup des animaux des cirques. En réalité, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Le gros de la détention des animaux sauvages se trouve chez les particuliers. Il y a aussi, chez nous, des animaux en retraite de cirque. Et là, c’est un sujet d’actualité : on travaille avec différents ministères pour préparer la suite, ce qui va se passer après l’interdiction des animaux dans les cirques.
On n’est jamais dans le jugement. Les gens du cirque ne sont pas méchants avec leur animaux, ils ne leur font pas de mal, ils ne les maltraitent pas. Ce qui est compliqué, c’est les conditions de détentions et de circulations au quotidien de ces animaux, parfois dans des camions qui ne sont pas adaptés.
Arrivent aussi chez nous des animaux qui viennent de particuliers parce qu’ils s’aperçoivent qu’ils ne sont pas en règle. Nous ne nous occupons pas de chiens ni de chats (ce n’est pas pour dénigrer), mais d’animaux plus gros et sauvages. Ça va d’une tortue de 20g à un éléphant de 20 tonnes. Et ce sont toujours des animaux dont personne ne veut.
Et là, pendant la période de covid, la demande chez les particuliers a été doublée par 3 ou 4. Les gens ont subitement peur que les perroquets ou les petits singes transmettent des virus ! Beaucoup de gens ont abandonné ce type d’animaux et il n’y a pas de structure pour les accueillir.
Viennent aussi chez nous les animaux de laboratoire, à la retraite. Jusqu’à maintenant, il y avait des solutions pour les chats et chiens de laboratoires mais pas de solutions, en France, pour les primates de laboratoire. Ils étaient tous euthanasiés. Or, on utilise, en France, 2 000 animaux chaque année pour la recherche médicale. Une fois encore, on n’est pas dans le jugement, on ne veut pas expliquer aux gens que les animaux doivent ou ne doivent pas être utilisés dans les laboratoires. Un jour, on a rencontré une association à Paris, Le Graal, qui s’occupe également des animaux de laboratoire. Elle a organisé une réunion à la Salpêtrière où tous les grands laboratoires étaient présents ainsi que le CNRS. Ils nous ont expliqué qu’il y avait une quinzaine de primates qui ressortaient vivants, chaque année, des laboratoires. On s’est dit qu’une quinzaine de primates, c’était faisable. Sauf qu’aujourd’hui, on tourne plus autour des 150 !
Sur ces 2 000 animaux que l’on utilise chaque année dans les laboratoires, 60 – 70 % sont des rats et souris qui ont été élevés pour ça. Encore une fois, on ne dit pas que c’est bien ou pas bien, c’est comme ça. Et puis, les chercheurs, quand ils décident de commencer un programme, ils expliquent exactement ce qu’ils vont utiliser : rats, souris, vaches, lamas, alpagas et primates, à l’étape finale… Il y a environ 40 ans, en France, il n’y avait plus l’étape de test des médicaments sur les primates. Et un médicament a été mis sur le marché pour réduire les nausées des femmes enceintes. Quand les enfants sont nés, beaucoup avaient des malformations… Le conseil d’État a immédiatement remis l’étape “primate”.
Les primates de laboratoire sont des animaux qui ont pratiquement tous travaillé sur la maladie d’Alzheimer et Parkinson. La doyenne, ma petite Cannelle, est rentrée à 2 ans dans la cage d’un laboratoire et en est ressortie à 21 ans. Elle y est donc restée 19 ans. On lui a pris sa vie pour travailler sur la maladie d’Alzheimer, on ne lui a pas demandé son avis. Elle a encore 14 -15 ans à vivre. Il me semble assez naturel de lui proposer une retraite.
On a deux buts à la Tanière : sauver les animaux, les remettre en règle, les replacer et faire de la pédagogie. On explique notamment à nos visiteurs, qui parfois, peuvent arriver avec des idées préconçues, qu’ils ont tous des membres de leur famille qui vivent mieux leurs maladies grâce à nos animaux. Et peut-être qu’eux profiteront aussi de ce travail en laboratoire. Ca permet de réfléchir, de se faire l’idée qu’ils veulent de cela. Voilà la philosophie de la Tanière : ne jamais être dans le jugement…
On croit toujours que l’on a vu le bout du bout de ce qu’on peut voir en termes d’horreur. Et on découvre pire. J’ai en mémoire trois petits singes que nous sommes allés chercher : ils étaient enfermés depuis des années dans une table basse d’un mètre sur un mètre. Il y a cette maison où plus de 300 perroquets étaient enfermés ; les chevaux que nous avons été cherchés dans la boue jusqu’au genoux ; ces tigres et lions enfermés dans des camions soudés parce qu’un tigre vivant, ça ne vaut rien, c’est un embarras, alors que mort ça vaut 70 000 euros. Il y a sa peau, ses dents, ses griffes…
On reçoit entre 5 et 7 appels par jour pour des animaux. Heureusement, dans 90 % des cas, il n’y a pas besoin de nous : des solutions alternatives existent ou les gens ont juste besoin d’aide pour se mettre en règle. Quand il y a besoin, on intervient. Et c’est souvent dans des conditions extrêmes. Il y a un peu d’adrénaline. On a la chance d’avoir des équipes hyper motivées. La Tanière n’est pas un endroit triste, c’est plutôt gai parce que l’on pense toujours aux jours d’après pour les animaux.
Pour revenir à l’Eure-et-Loir, on a la chance de pouvoir s’y installer parce qu’on a trouvé ce corps de ferme, entouré de 20 hectares. L’Eure-et-Loir est une terre d’accueil pour moi. Autant, j’avais plus de mal avec ce territoire au début. Mais depuis que j’ai vu la solidarité des Euréliens autour du projet de la Tanière, ça a changé ma perception. Même s’il a fallu prendre le temps de beaucoup expliquer notre projet pour le faire accepter ! Il y a, aujourd’hui, un vrai accueil de ce que l’on veut faire. Je suis fier aujourd’hui d’être dans cette région !”