Fabrice de Chanceuil, fonctionnaire spécialisé dans les domaines de l’environnement et de la mer et journaliste indépendant à ses heures, partage sa vision pleine d’espérance sur la crise sanitaire actuelle.
C’est tout un peuple, depuis longtemps habitué à l’abondance et à la facilité, qui, soudainement privé de tout un pan de sa consommation, qu’elle soit alimentaire, vestimentaire ou culturelle, mesure le poids du superflu et découvre le sens profond de la sobriété.
Depuis plusieurs années, la France connaît une succession de crises : crise sécuritaire consécutive à une série d’attentats terroristes, crise financière suite aux dérives d’une économie devenue spéculative, crise écologique entraînée par un réchauffement climatique dont les causes peuvent susciter le débat mais dont les effets sont incontestables, crise spirituelle avec la perte des repères fondamentaux et, depuis peu, une crise sanitaire engendrée par l’épidémie de coronavirus. Cette dernière crise dépasse toutes les autres, à la fois par son ampleur puisque, outre la France, elle affecte les trois quarts du monde et par ses conséquences immédiates avec l’instauration d’un confinement qui se traduit par l’arrêt progressif de la plupart des activités humaines.
Certes, cette situation génère bien des aspects inquiétants et anxiogènes, à commencer par le décès de plusieurs milliers de personnes affectées par le virus, mais elle révèle également des aspects beaucoup plus positifs. Expérience en vrai grandeur qu’aucun institut de recherche n’aurait pu imaginer, elle permet, en distinguant l’essentiel de l’accessoire, de rappeler les besoins fondamentaux de chaque individu et de toute société.
Tout d’abord le besoin de protection qui est la raison même de l’obligation de confinement. Il traduit l’exigence de sûreté pour soi-même et pour les autres sans laquelle il n’y a pas de vie sociale possible. Si la sûreté recherchée est aujourd’hui principalement sanitaire, elle touche en fait bien des domaines, qu’il s’agisse de la qualité de l’air et de l’eau ou de la protection des personnes et des biens contre les atteintes dont ils peuvent faire l’objet.
Ensuite, la crise actuelle, en dépit ou à cause du repli sur soi imposé, donne la démonstration de belles manifestations de solidarité qui témoigne du besoin d’une grande partie de nos concitoyens de se montrer proches des autres par des gestes gratuits. Alors que les entreprises sont mises progressivement à l’arrêt, les associations d’intérêt général montent en puissance pour apporter un service aux plus faibles et aux plus fragiles, en temps normal si souvent oubliés et négligés.
Enfin, par l’invitation pressente à se concentrer sur la satisfaction de ses besoins essentiels, c’est tout un peuple, depuis longtemps habitué à l’abondance et à la facilité, qui, soudainement privé de tout un pan de sa consommation, qu’elle soit alimentaire, vestimentaire ou culturelle, mesure le poids du superflu et découvre le sens profond de la sobriété. Celle-ci se manifeste aussi par de nouveaux comportements : des déplacements réduits, aussi bien professionnels avec la généralisation du télétravail que personnels ou bien des voyages à l’autre bout du monde apparaissent finalement assez superficiels, se révèlent particulièrement bénéfiques pour la planète qui n’avait pas aussi bien respiré depuis longtemps.
Dans ce contexte, des structures, bien malmenées ces dernières années pour des considérations idéologiques et, plus prosaïquement, par des coupes budgétaires, s’imposent en devenant ou redevenant des références incontournables. C’est le cas de la nation au sein de laquelle il est appelé à relocaliser les productions. C’est le cas de l’État, dont les services publics, rendus encore il y a peu responsables du déficit budgétaire, apparaissent comme les maillons majeurs de toute continuité de la vie sociale. C’est le cas de la famille que le plus grand nombre a choisi comme le lieu le plus propice au confinement parce que cellule de base de la société mêlant chaleur, partage et confiance.
Aujourd’hui, tout le monde attend avec impatience la fin de cette crise, avec le désir plus ou moins conscient de reprendre la vie d’avant. Certes, l’envie de sortir, d’exercer sa profession dans sa plénitude et de retrouver une vie sociale est légitime. Mais, faut-il, pour cela, repartir comme si de rien n’était, ou pire, exagérer pour rattraper le temps perdu, en oubliant, au-delà des drames personnels, tous les bienfaits apportés par cette période exceptionnelle ?
Certainement pas, car une occasion unique nous est donnée de changer. Modifier ses habitudes quand elles sont ancrées depuis très longtemps est effectivement difficile. Mais adopter de nouveaux comportements, quand ceux-ci sont déjà en œuvre depuis plusieurs mois, devient à la portée de tous.
Oui, cette crise ne doit pas rester sans effets. À la fin de la Première Guerre mondiale, nos aînés, grisés par une victoire pourtant remportée sur le fil, plutôt que d’en tirer les conséquences, se sont laissés aller dans la vacuité des Années folles dont les illusions se sont effondrées dans le chaos de la crise de 1929. Plus raisonnables parce que plus sonnés, leurs successeurs, avant même la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ont voulu penser l’avenir pour ne pas le subir. C’est ainsi que, sous l’autorité du Général de Gaulle, s’est constitué le Conseil national de la Résistance (CNR) associant partis politiques, syndicats et mouvements de résistance, qui s’est attaché à établir un programme dit des « jours heureux », non seulement pour la fin de la guerre, mais surtout pour l’après-guerre. Ainsi sont nées, dans le contexte de l’époque, des réformes fondamentales (planification, nationalisations, régimes de retraite, sécurité sociale) qui ont permis au pays de se relever et d’atteindre, avec le souci d’un ordre social plus juste, une prospérité d’un niveau inégalé jusqu’ici.
Alors que le Président de la République vient de confier aux militaires le soin de conduire une opération Résilience, c’est toute la société française qui doit, dès maintenant, être impliquée dans cette démarche. Il convient, par conséquent, de mettre en place un Conseil national de la Résilience (CNR) appelé à présenter un programme pour l’après-crise englobant celles qui l’ont précédée, en se fondant sur les valeurs qui auront permis d’en sortir, c’est à dire l’exigence de sûreté, la manifestation de la solidarité et le sens de la sobriété, en se souvenant de la place tenue par la nation, l’État et la famille. Les jours heureux, ce n’était pas hier, avant la crise, c’est, si nous le voulons, demain, après la crise.