Si l’exercice de la médecine exige des compétences scientifiques pointues, il requiert également des qualités humaines indéniables. La formation délivrée aux étudiants répond-elle à cette exigence ? Décryptage.
SAVOIR-FAIRE ET SAVOIR-ETRE
La formation théorique et pratique est un préliminaire non négociable à l’exercice de la médecine. Le Professeur Jean BERNARD l’a rappelé avec fermeté : « Le grand malheur pour un malade, c’est d’être soigné par un médecin ignorant. La conscience sans la science est inutile, la sensibilité, même sincère, qui cache l’incompétence est dangereuse ».[1]Mais cette exigence scientifique et technique ne doit pas éluder la nécessaire compétence humaine et relationnelle. Car l’exercice de la médecine demeure une subtile alliance entre savoir-être et savoir-faire. Ces deux approches sont indissolubles et complémentaires.
QUELLE FORMATION À LA RELATION POUR LES SOIGNANTS ?
La formation en médecine répond-t-elle à cette exigence ? Dans une étude menée auprès d’internes en médecine générale[2] par Serge BISMUTH en 2011 «75% des femmes et 61 % des hommes rapportaient que l’enseignement universitaire ne préparait pas correctement à la relation médecin-patient, 72% d’entre eux ont déclaré que l’enseignement universitaire [formation initiale à la relation médecin-patient] qui leur avait été délivré n’était pas adapté à leurs besoins. »[3]
« Les émotions du soignant peuvent avoir des effets toxiques, négatifs ou pervers, si elles sont méconnues ou redoutées. Maîtrisées à l’inverse, elles peuvent être un levier thérapeutique formidable »
Les médecins plus aguerris ne sont pas en reste dans ce domaine : dans un article de 2011 intitulé « l’évolution de la relation soignant-soigné », Madame BEGUE-SIMON rapporte : « Un programme de formation de cancérologues britanniques […] montrait qu’il est difficile pour 40 % d’entre eux de maîtriser leurs propres réactions émotionnelles, […] L’obstacle majeur [à une relation médecin-patient satisfaisante] semble la peur que les oncologues ressentent à l’idée de causer de fortes réactions émotionnelles chez leurs patients […] mais aussi la difficulté d’être confrontés à leurs propres émotions négatives.»[4]
Ces chiffres sont révélateurs et doivent nous interroger. D’autant que les émotions du soignant peuvent avoir des effets toxiques, négatifs ou pervers, si elles sont méconnues ou redoutées. Maîtrisées à l’inverse, elles peuvent être un levier thérapeutique formidable. En effet, comme dit le Docteur BALINT, « le médicament le plus fréquemment utilisé en médecine générale est le médecin lui-même. »[5]
RENFORCER LA FORMATION INITIALE À LA RELATION MEDECIN-PATIENT
« Il apparaît urgent de renforcer l’enseignement de psychologie médicale au cours de la formation initiale des soignants, afin de les sensibiliser aux émotions issues de la relation, et de minimiser les risques d’évitements, ou de débordement. »
Face au malaise du corps médical au cœur même de la relation, que peut-on proposer ? Il est essentiel d’écouter la demande pressante et persistante des étudiants en médecine d’une formation à la relation médecin-patient.[6]
En 2007, dans un article consacré à l’éthique, le Professeur Driss MOUSSAOUI, membre correspondant de l’académie nationale de médecine, recommandait déjà : « La formation devrait aller plus loin, l’objectif étant de créer chez le praticien, en parallèle avec la pensée technique, une sorte de système de veille éthique interne permanent. […] En pratique, nous proposons la formation de groupes similaires à ceux créés dans les années 50 par Michael BALINT, pour étudier, à partir de cas cliniques, les aspects psychologiques de la pratique médicale quotidienne. Il s’agirait de faire une analyse approfondie du vécu et des comportements du médecin face à une situation médecin-malade qui a généré un malaise décisionnel qui n’est pas d’ordre technique. »[7]
Il apparait urgent de renforcer l’enseignement de psychologie médicale au cours de la formation initiale des soignants, afin de les sensibiliser aux émotions issues de la relation, et de minimiser les risques d’évitements, ou de débordement.
Remettre l’homme au cœur de la formation des soignants devient une priorité. Afin que la médecine puisse prendre soin de tout homme, mais aussi de tout l’homme.
[1] REMOND, René. Hommage à Jean Bernard. association Jean Bernard. [En ligne] 27 avril 2006. [Citation : 25 février 2013.] http://www.association-jeanbernard.com/hommage-professeur-jean-bernard/.
[2] L’interne en médecine est un étudiant de troisième cycle des études médicales (après la sixième année) qui exerce Sa formation dure 3ans. L’interne est médecin, et effectue ses 3 dernières années de formation à l’hôpital ou, en cabinet, sous la responsabilité d’un médecin senior.
[3] BISMUTH, Serge, et al. Formation initiale à la relation médecin/patient : enquête auprès d’internes en médecine générale. 8, octobre 2011, Médecine – de la médecine factuelle à nos pratiques, Vol. 7, pp. 381-385. DOI : 10.1684/med.2011.0754.
[4] BEGUE-SIMON, Anne-Marie, HABY, Caroline et LOZACHMEUR, Ghislaine. Communication et soins – première partie: l’évolution de la relation soignant-soigné. Médecine. John Libbey, décembre 2011, Vol. 7, 10, pp. 473-477.
[5] BALINT, Michel. Le médecin, son malade, et la maladie. Paris : Payot, 1988.
[6] CANNEVA, AC. La relation médecin-patient, représentations chez les étudiants en médecine. Thèse d’exercice, soutenue le 17 avril 2013 à Rennes
[7] MOUSSAOUI, Driss. Le défi pour l’éthique médicale au XXIème siècle est son enseignement. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine. 23 Javier 2007, Vol. 191, 1, pp. 131-137.