Une agriculture à réinventer : interview d’un cultivateur d’Eure-et-Loir

28 Avr, 2021 | NATURE & ENVIRONNEMENT, TERRITOIRES VIVANTS, TRAVAIL

Dans le cadre du forum Territoires Vivants 2021, Gilles Hériard Dubreuil, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, a interviewé Florent Gaujard, cultivateur en Eure-et-Loir et membre des Journées Paysannes. Il revient sur son parcours pour une agriculture résiliente et auto-suffisante.

Gilles Hériard Dubreuil : Florent Gaujard, vous avez une solide formation agricole, vous avez fait un Bac agricole et après vous avez fait des stages, des BTS, etc. Vous vous intéressez aux techniques culturales simplifiées, au non labour, au lien entre agriculture et foresterie et à l’élevage de brebis, notamment. Bref, vous êtes un cultivateur en mouvement, vous avez des perspectives en tête ; dites-nous comment vous voyez les choses.

Florent Gaujard : Je constate que la terre s’appauvrit énormément de par les techniques culturales modernes. Donc, quand je me suis installé en 2006, je suis passé en semis direct sous couvert durant quelques années. C’était très riche et intéressant de pouvoir semer des cultures dans des couverts. Il y avait une explosion de vie, de vers de terre, de champignons et de bactéries dans nos champs.
Cela a été un moment passionnant de ma carrière, sauf que dans ces systèmes, on est obligés d’utiliser des produits phytosanitaires. En 2013, j’ai eu une saturation de l’usage de ces produits. J’ai donc décidé de passer en agriculture biologique à ce moment-là.

Malheureusement, depuis, mon sol se dégrade, parce que pour pouvoir désherber, il faut brasser les terrains et ça c’est un point très négatif. Je compte bien y remédier petit à petit sauf que c’est assez compliqué de ne pas brasser le terrain, quand on est en agriculture biologique.

En 2018, j’ai remis des animaux. De fait, dans nos systèmes, plus de la moitié de la ferme a pour usage l’alimentation animale. Tout cela part dans l’ouest de la France et puis, on achète des fumiers, des composts, des fientes de poules qui viennent de là-bas. J’ai voulu inverser ce système. L’objectif est de consommer sur place, à l’avenir.
J’ai donc commencé par installer des brebis en 2018, il y en a une centaine actuellement. Par ailleurs, depuis deux ans, je plante des arbres. J’ai 30 hectares plantés actuellement et je compte faire toute la ferme pour pérenniser la fertilité de mes champs. De fait, l’agriculture va devoir affronter un problème grave : dans 40 ans, il n’y aura plus de phosphore disponible dans les mines, au niveau mondial. Cela signifie que le monde agricole va s’effondrer dans 40-50 ans. Il faut donc absolument trouver des systèmes alternatifs pour importer ce phosphore. Or, sous nos pieds, il y a une quantité astronomique de phosphore mais elle est difficilement accessible : il faut donc le remonter via des intercultures ou des arbres.

Voilà donc mon évolution depuis mon installation en 2006. D’autre part, j’aimerais qu’il y ait d’autres familles qui vivent sur la ferme. Elle fait 130 hectares et je suis tout seul à tout faire. Je me sens seul ! Il y aurait moyen d’installer d’autres familles, pour transformer les produits, notamment. Je pense à un paysan boulanger, par exemple, et pourquoi ne pas accueillir également un ou deux maraîchers ! L’atelier ovins pourrait également se développer. Je pourrais très bien avoir 200 ou 300 brebis sur la ferme, il y a la possibilité de les nourrir, il pourrait donc y avoir une famille de plus pour s’en occuper et de se lancer dans la production de fromage.

Donc, de nombreux projets pourraient émerger pour remettre du lien dans nos villages qui se meurent. Souvent, quand on parle de ruralité, ça se limite à des petites villes de 2000 ou 3000 habitants. À côté, les villages de 100 ou 200 habitants, eux, se meurent. Ne croyez pas que je suis complètement pessimiste, il est possible d’inverser la tendance, mais c’est un constat. Les villages se meurent, les maisons sont parfois achetées, mais par des citadins qui vivent à la campagne le week-end. C’est compliqué de les croiser et de discuter avec eux. J’ai un voisin, à 30 mètres de chez moi, ça fait 8 ans qu’il habite là et je n’ai jamais réussi à le saluer parce que quand il arrive, il s’enferme chez lui et il n’y a pas moyen de le voir. Je trouve que c’est une forme de pauvreté.

Donc l’installation de familles, ça fait longtemps que j’y songe mais ce n’est pas si simple, je rencontre des personnes mais ça ne se fait pas… mais j’y crois !

Gilles Hériard Dubreuil : Vous faites partie des Journées Paysannes. Je suis assez frappé, pour m’être intéressé à ce groupe d’agriculteurs paysans, de voir que, depuis 4-5 ans, il y a beaucoup plus de jeunes qui s’impliquent. J’imagine que vous avez dû les rencontrer et percevoir qu’il y a un mouvement au sein de l’agriculture qui se développer : un intérêt qui dépasse les milieux traditionnels de l’agriculture. Est-ce que je me trompe ?

Florent Gaujard : Oui, c’est vrai ! Les Journées Paysannes, je les connais depuis 1995, et depuis quelques années, effectivement, on voit la jeunesse s’intéresser à l’agriculture. Après, il ne faut pas idéaliser ce mouvement de fond. J’ai eu un stagiaire, il y a deux ans, qui venait de Paris et ça a été compliqué. On idéalise souvent le monde et le travail agricole mais il y a une réalité : quand on est sur son tracteur toute la journée ou quand il faut traire ses vaches, c’est pas toujours très drôle… Mais il est vrai qu’il y a un mouvement de jeunesse qui s’intéresse vraiment à l’agriculture, qui en ont peut-être marre d’être devant des écrans toute la journée.

Gilles Hériard Dubreuil : Et votre famille, comment accueille-t-elle votre projet ?

Florent Gaujard : Le passage en semis direct a été très compliqué. Le passage en bio, par conséquent, je n’en ai pas parlé à mes parents. Ils ont vu et ils ont su par des voisins que je passais en bio. Mais comme je brasse un peu plus les terrains, ça rassure mon père. 

Gilles Hériard Dubreuil : Dans le milieu agricole qui est autour de vous en Eure-et-Loir, comment se passent les échanges et les bonnes pratiques ?

Florent Gaujard : Les pratiques changent à petite vitesse, mais après il y a aussi une réalité économique. Ce n’est pas si simple de changer quand on reprend une ferme. C’est des grosses sommes à investir. Le passage en bio, souvent, rassure un peu les banquiers, parce que le bio est plutôt porteur en ce moment. Mais j’ai beaucoup d’espérances parce qu’il suffit de changer les pratiques et puis, au bout de quelques années, les vers de terre et les champignons reviennent ; donc j’ai beaucoup d’espérance pour l’avenir.

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