Grâce au jardin : une ferme d’insertion agro-écologique

28 Avr, 2021 | NATURE & ENVIRONNEMENT, SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN, TERRITOIRES VIVANTS

Dans le cadre du forum Territoires Vivants 2021, Gilles Hériard Dubreuil, co-iniitiateur du Courant pour une écologie humaine, a interviewé Jean-Marie Lioult, prêtre du diocèse de Chartre et fondateur de Grâce au jardin, une ferme d’insertion agro-écologique qui se crée à Tremblay les villages, en Eure-et-Loir.

Gilles Hériard Dubreuil : Jean Marie Lioult, vous êtes donc prêtre du diocèse de Chartres et vous avez récemment eu cette idée de fonder une initiative qui s’appelle “Grâce au jardin”. Pouvez-vous présenter votre démarche ?

Jean Marie Lioult : Grâce au jardin est une histoire étonnante !

Pour ma part, j’ai fait des études d’agriculture avant d’entrer au séminaire. Et puis, lors du premier confinement, les prêtres du diocèse de Chartres ont été invités à travailler Laudato Si, le texte du Pape François sorti en 2015, qui a vraiment marqué les esprits. Il s’agit d’une encyclique sur l’écologie intégrale. Le Pape dit d’ailleurs que c’est même une encyclique sociale, parce que justement il s’agit de prendre en compte l’ensemble du vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain.
Donc, en travaillant ce texte, j’ai pu avoir l’idée, petit à petit, de créer un espace qui permettrait plusieurs réalités. On l’a appelé “Grâce au jardin”.

Très vite, j’en ai parlé à des gens qui ont réfléchi avec moi. Dès le mois de juin 2020, on a établi un document de présentation du projet mettant en exergue les valeurs et nos objectifs. Très rapidement, donc, grâce à beaucoup de personnes, dont Christelle Minard, il y a eu la possibilité d’obtenir un terrain de sept hectares sur la commune de Tremblay-les-Villages. Je trouve cette commune originale : elle regroupe, depuis cinquante ans, six anciens villages qui se sont rassemblés et qui s’appellent maintenant Tremblay-les-Villages. Et puis, cette commune s’est embarquée sur le projet Europan, qui propose des moyens européens qui aident un territoire à grandir dans le domaine de la résilience. Ainsi, quand j’ai parlé de ce projet à Christelle Minard, elle a tout de suite été enthousiaste et vu les connexions et le lien social que ça permettrait.

Grâce au jardin est donc un terrain de sept hectares sur la commune de Tremblay-les-Villages, et sur ce terrain il y aura un chantier d’insertion porté par une association de Dreux qui s’appelle Graces. De fait, l’intérêt de Grâce au jardin est de faire travailler des réalités différentes, de créer de la solidarité et de la collaboration entre les personnes.
Donc l’association Graces portera un chantier d’insertion, en espérant que l’on puisse prioritairement aider des personnes issues du monde rural : je crois qu’il y a vraiment des gens isolés qui ont perdu complètement le contact avec le travail. Il y aura aussi un jardin expérimental qui permettra de s’inscrire dans une démarche qui s’appelle Maraîchage Sol Vivant, qui est une manière d’observer la nature et de la copier au plus près. Ce jardin expérimental permettra peut-être de cultiver des légumes de niche, d’expérimenter des itinéraires particuliers, des associations, etc. Enfin, ce jardin expérimental comprendra une forêt comestible, qui commence à être un peu à la mode. En gros, il s’agit de retrouver des traditions que nous avons perdues, qui consiste à nous nourrir à partir de ce qu’il y a dans une forêt. Il y aura aussi un verger et des poules. La troisième grande réalité sur ce terrain sera d’installer des jeunes maraîchers dans le cadre d’espaces test, pour faciliter leur installation, dans un deuxième temps.
Il y aura une dimension importante de transmission, une dimension pédagogique avec des propositions de formations, de découverte de la nature et de la permaculture par des écoles et des jeunes. Nous sommes aussi en contact avec le Lycée Agricole de Nermont pour pouvoir proposer des formations, et peut-être des formations diplômantes, nous l’espérons.

Dans notre monde, il y a le risque d’un certain nombre d’effondrements, dont celui de la confiance. Je crois que c’est le pire qu’il peut nous arriver : ne plus avoir d’horizon. Là, l’objectif est précisément de créer un horizon. C’est dans cet esprit que Grâce au jardin se crée, pour faire jaillir “l’espérance en mouvement”, en action.

Il me semble que ce qui peut arriver, ce que la crise du Covid accentue d’ailleurs, c’est le repli sur soi qui conduit à une sorte de dépression et de stagnation…


Or, je trouve vraiment passionnant de découvrir de quelle manière, par exemple, des agriculteurs voisins de Grâce au jardin sont déjà venus travailler sur le terrain (il y a quelques jours, une prairie y a été semée). Je trouve intéressant de voir toute la collaboration que ce projet permet avec la commune de Tremblay-les-Villages et avec tous les projets liés : la grande agglomération de Dreux (qui met à disposition ce terrain de sept hectares, ce n’est quand même pas banal !), le Lycée Agricole de Nermont, l’association Graces de Dreux et bien d’autres collaborations (je suis aussi en contact avec des gens qui pourront installer des ruches…). Tout cela permettra de créer un véritable lieu où des personnes pourront se retrouver, découvrir des choses, et s’émerveiller devant l’oeuvre de la Création, parce que ça, c’est un objectif vraiment important.

Gilles Hériard Dubreuil : Mais Jean-Marie, vous avez eu une autre vocation pendant 30 ans… Quelle mouche vous a piqué ?

Jean Marie Lioult : Je crois vraiment que dans la période que nous vivons, pour redonner de la perspective et de l’horizon, ça passera par une connexion à la Création. Le problème quand on parle de la “nature”, c’est qu’on a l’impression que nous, les humains, nous devons nous développer à ses dépens… Parler de la Création, c’est réaliser que nous faisons partie de la nature.

Quand je rencontre mes classes de 4ème de l’enseignement catholique à Dreux, tous les ans, pendant une heure, on échange sur l’écologie. Souvent, je leur pose la question “Quelle est la relation entre la nature et l’être humain ?”. Depuis plusieurs années que je fais ça, il y a un seul élève, une fois, qui a dit “c’est que l’être humain fait partie de la nature”. Mais sinon, ce n’est pas du tout naturel, on a vraiment l’impression qu’il y a d’un côté l’homme et de l’autre, la nature, qu’il consomme pour essayer de s’épanouir. Ce système-là ne peut pas tenir, D’autant que, pour moi, dans ma foi, ce système n’est pas de Dieu. Je pense que nous avons à nous mouiller très concrètement pour changer la donne.

Je voulais aussi souligner que, si les choses avancent vite, c’est que je ne suis pas tout seul à travailler, il y a des gens qui travaillent. On se retrouve tous les mardis soirs en visio pendant une heure et demie depuis un moment et on est systématiquement six, mais dans l’association on est déjà beaucoup plus nombreux. L’intérêt est vraiment de créer du collectif.

Je pense que l’une des clés pour l’humanité, et on le perçoit bien dans ce que nous vivons avec le Covid, c’est l’entraide. Et pour moi, comme prêtre, d’être acteur de ça, c’est un vrai ministère. C’est vrai que depuis trente ans, je suis curé, donc responsable d’une paroisse. Je travaille donc déjà pour du commun, pour de l’entraide, mais je trouve que là, c’est une manière d’y travailler pour une rencontre beaucoup plus large. Et cela parce que Grâce au jardin, on pourra y venir sans qu’il y ait marqué “catho” sur son front, c’est vraiment ouvert à tous. 
On doit aider les habitants d’un territoire, les former pour qu’ils puissent découvrir qu’ils peuvent cultiver chez eux de quoi se nourrir, et qu’il y a moyen, sur des surfaces parfois petites, de créer de l’abondance ; parce que la création c’est ça, c’est de l’abondance, sauf si on la gaspille…

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance