Le nouveau statut de « société à mission », créé en 2019, est plus qu’un coup de communication : il doit permettre aux dirigeants de remettre du sens dans leurs organisations indique, dans cette chronique, Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.
La société à mission (SAM) est le grand sujet du moment dans le débat sur la transformation des entreprises : gadget ou gageure ? Introduit par la loi Pacte du 22 mai 2019, ce statut permet de préciser la raison d’être d’une société, ainsi qu’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre. Il remporte déjà un succès inattendu, avec plus de 150 entreprises ayant franchi le pas en une seule année et des dizaines d’autres qui s’y préparent.
Société à mission : entre scepticisme et enthousiasme
Comme souvent lorsqu’apparaît un concept nouveau, les extrêmes se révèlent : d’un côté les enthousiastes, peut-être aveuglés par le terme de « mission », voient dans ce nouveau statut la promesse d’une transformation radicale des entreprises.
De l’autre côté, les éternels sceptiques considèrent la société à mission avec le même sourire condescendant qu’ils avaient accueilli dans le passé la qualité totale, la gouvernance d’entreprise ou la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), toutes qualifiées à tour de rôle de modes sans avenir. Paradoxalement, si les enthousiastes comme les sceptiques font erreur, c’est parce qu’il y a une part de vérité dans chacune de leurs opinions.
La SAM, un statut qui responsabilise toujours plus l’entreprise
Il est peu probable que la SAM refonde les entreprises, mais il est vrai que celles-ci sont en refondation permanente depuis l’origine. Sur le très long terme, on a assisté à une déresponsabilisation constante des acteurs économiques compensée par une responsabilisation croissante de l’entreprise : les actionnaires sont devenus anonymes, les dirigeants sont des gestionnaires contractuels, les administrateurs sont sommés d’être indépendants et, parallèlement, la responsabilité de l’entreprise a été élargie à l’égard des collaborateurs, des clients, de l’environnement social, culturel et écologique.
Les enthousiastes ont donc raison de penser que la société à mission pose une borne supplémentaire dans l’histoire de la responsabilité de l’entreprise, car celle-ci prouve que la création de valeur économique est plus vaste que sa pauvre réduction dans un résultat financier.
De leur côté, les sceptiques ont aussi raison d’affirmer que la SAM n’est qu’une formalisation nouvelle d’exigences anciennes, mais ils ont tort de considérer celle-ci comme une mode passagère. La « mission » traduit dans des termes appropriés l’attente contemporaine des parties prenantes de plus de clarté sur l’activité d’organisations dont les stratégies ont été perçues comme illisibles ou déraisonnables.
La question n’est donc plus d’être pour ou contre la SAM, mais de se saisir ou non de cet instrument dans l’intérêt de l’entreprise. En montrant en quoi son activité bénéficie à son écosystème, une entreprise peut trouver un moyen pour remettre du sens dans ses pratiques et mobiliser les énergies tant internes qu’externes en faveur de son projet. Il ne s’agit pas de plaquer des objectifs sociaux ou environnementaux dictés par le conformisme du moment, mais de prendre conscience que les activités qui découlent de sa raison d’être peuvent produire davantage de bénéfices pour ses parties prenantes que les seuls biens ou services qu’elle procure. C’est pourquoi le débat sur la SAM met au jour deux profils de dirigeants et donc un vrai clivage entre ceux qui, négligeant son intérêt stratégique, feront l’exercice sous la contrainte ou comme un coup de communication, et ceux qui entreprendront cette démarche en étant conscients du besoin d’utilité et de motivation qu’éprouvent tant de communautés de travail.
Version originale de l’article publiée le 5 mai 2021 dans Le Monde