Vers un réenchantement du monde #ChroniqueDuMycelium

18 Mai, 2021 | L'ÉCOLOGIE HUMAINE, PHILOSOPHIE, SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement la « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui deux pistes de « réenchantement du monde » et un piège à éviter. 

Piste n°1 Et si nous nous réenchantions d’abord nous-mêmes ? 

J’ai déjà évoqué avec vous la fameuse invitation de Gandhi : « Si vous trouvez le monde injuste, alors soyez le changement que vous souhaitez pour le monde ! ». En effet, chacun comprend aisément que le monde ne deviendra plus juste et équitable que si chacun de nous devient plus juste et équitable envers les autres.

Mais j’ai toujours eu l’intuition que la proposition de Gandhi contenait un sens plus profond encore. Je suis persuadé en effet que, lorsque l’on se transforme, l’on fait l’expérience que « le monde change ». Notre perception du monde se modifie et nous commençons à le vivre autrement. Dit d’une autre façon, notre « lien avec le monde » s’est modifié, alors « le monde s’ouvre et peut se réenchanter ». Le philosophe Heidegger proposait l’expression « être au monde », pour souligner notre appartenance à un monde avec lequel nous formons un tout. L’écologie humaine porte la même vision d’un monde non séparé, où humains, animaux et plantes forment et habitent une « maison commune ». Ainsi, œuvrer à notre transformation et à notre bonheur profond, c’est en même temps œuvrer au réenchantement du monde.

Nous avons certainement déjà tous fait cette expérience, mais je vous propose aujourd’hui d’en prendre plus profondément conscience pour la goûter pleinement et pour en retrouver plus tard le chemin.

Bien entendu, nos actions auront à se mettre au diapason de cette attitude. Elles le feront naturellement si nous vivons notre transformation intérieure avec conviction, humilité et ferveur. Laquelle des deux vient-elle en premier, l’action ou l’attitude transformatrice du monde ? Peu importe. Soyons tour à tour comme Marthe l’active et Marie la contemplative, décrites dans l’Évangile avec leurs dons respectifs. Elles représentent deux attitudes humaines aussi belles et indispensables l’une que l’autre, deux attitudes complémentaires devant le mystère de l’existence et a marche du monde. Faisons-nous confiance et laissons-nous être inspirés par l’une et/ou par l’autre.

Piste n°2 Construire une cathédrale

J’aime cette histoire qui nous vient du Moyen-Âge : ce matin-là, un jeune seigneur du nom de Roland chevauche avec ses amis aux alentours de la demeure familiale. Le long d’une rivière. Ils découvrent une carrière de pierres qu’ils ne connaissaient pas. Intrigué, Roland questionne trois tailleurs de pierre qui travaillent à la carrière : « Dis-moi, qu’aimes-tu le plus dans ton métier ? ». 

  • Le premier répond : « C’est que mon patron, Maître Simon, me paye correctement pour que je fasse vivre ma femme et mes enfants ».
  • Le deuxième dit : « Je suis si heureux qu’il m’ait appris à tailler les pierres pour qu’elles s’emboitent et forment des arcs boutants ! ».
  • Et enfin le troisième s’exclame : « Avec Maître Simon, nous construisons une cathédrale ! ». 

Revenons à nos vies d’aujourd’hui et ne soyons pas trop nostalgiques ni intimidés par la tâche : peut-être œuvrons-nous déjà ou pourrions-vous un jour participer à la « construction d’une cathédrale ». Il nous faudra beaucoup de foi et de patience car nous avons appris que les cathédrales nécessitent des dizaines voire des centaines d’années avant d’être terminées ! Pouvons-nous faire confiance, sans bien les connaitre, aux architectes, aux maîtres d’œuvre et à nos compagnons de travail ? Dans toute œuvre collective, nous ne pourrons pas tout comprendre et tout savoir à l’avance.

 S’engager dans un travail pour le « bien commun » nous demande beaucoup de gratuité dans le don de nous-mêmes ! Sommes-nous prêts à nous engager sans être sûrs, sans pouvoir totalement faire confiance aux autres, sans connaitre les résultats à l’avance ?

Entre nous, notre cathédrale d’aujourd’hui, c’est peut-être sonner à la porte de nos voisins, construire une cabane avec nos enfants, planter des arbres, faire du bénévolat, écrire à des amis, exercer notre métier… 

Piège n° 1Rester impuissants

Œuvrer avec nos moyens à la beauté du monde et travailler à le rendre plus humain peut nous apparaitre comme une tâche surhumaine et hors de notre portée ! De plus, cela nous amènera forcément à rencontrer des obstacles, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. Nous pouvons alors nous sentir très démunis et même parfois impuissants. Combien pénible peut être ce sentiment d’impuissance ! Et pourtant, l’impuissance n’a rien de honteux, c’est une expérience propre à toute « condition humaine ». Nous pouvons apprendre à l’accepter avec humilité, sans y voir forcément une preuve d’échec de notre engagement ou, pire, une preuve du peu de valeur de notre personne. En réalité, il peut s’avérer bénéfique de vivre de l’impuissance car pour en sortir nous aurons à mobiliser des ressources personnelles qui, autrement, seraient probablement restées en friche. 

Le monde peut avancer avec et grâce à chacun de nous. Je vais vous conter cette « parabole de la goutte d’eau » qui m’est venue en voyant couler l’eau et en me rappelant que « tous les fleuves vont à la mer » : en tant que petites gouttes d’eau issues de la pluie du matin, nous ne voyons pas et ne connaissons pas encore les innombrables gouttes d’eau tombées du ciel que nous allons rejoindre pour former un petit ruisseau puis une rivière, puis un grand fleuve. Toutes les gouttes d’eau ne sont-elles pas aussi précieuses les unes que les autres pour alimenter le cycle de la vie ?

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