« Prendre soin de tout l’homme et de tous les hommes ». Cette sentence, cœur de la démarche du Courant, provient de la suggestion d’un économiste, François Perroux. Celui-ci montrait que la fonction de l’économie est de produire et d’échanger des biens pour un plus grand bien social.
Si l’économie perd cette vocation, elle devient une machine à pomper des ressources pour fabriquer des objets sans nécessité et sans usage. Une machine de mort, qui détruit de la valeur parce que l’environnement, les ressources et les hommes s’usent plus vite que les biens qu’elle crée. Et que les bénéfices apparents d’aujourd’hui, en termes de confort, de qualité de vie ou de gadgets, sont payés par une dette colossale sur les générations futures.
« Prendre soin de tout l’homme et de tous les hommes » c’est donc redonner à l’économie sa vocation et son sens. Une économie épuisante et épuisée, qui fait de moins en moins rêver les jeunes, même ceux des pays émergents, tant elle devient absurde et incertaine.
Car la théorie économique dominante s’appuie sur le principe inverse : c’est la recherche de l’intérêt individuel qui est le moteur des décisions et des choix. La somme des intérêts privés forme l’intérêt général et fabrique… le meilleur des mondes. Cela n’a jamais été démontré mais qu’importe, cette idéologie s’est imposée à tel point que beaucoup croient qu’elle se confond avec la science économique, alors que ce n’est qu’une école de pensée, dite néolibérale, parmi d’autres, comme en son temps le marxisme se prétendit être la science économique avec l’aplomb et le succès que l’on sait.
Remettre l’homme au coeur de l’économie
Or, la théorie néolibérale est en faillite à son tour. La raison en est bien connue : en postulant que chaque individu cherche son intérêt, on est obligé de construire des organisations de plus en plus complexes pour faire travailler, échanger et consommer des individus égocentrés. Dans les entreprises, on finit par considérer que les salariés sont si individualistes qu’il faut des systèmes de contrôle, de règles et de standards pointilleux pour organiser le travail. En même temps, on distribue des primes individuelles qui encouragent… l’individualisme… Et plus on encourage l’individualisme, plus on développe la bureaucratie chargée d’éviter les déviances et de normaliser les comportements -et donc plus les coûts s’accroissent. L’économie meurt sous les coûts d’organisation… C’est ce que vivent les entreprises aujourd’hui. Et le même mécanisme est à l’œuvre pour la consommation ou les échanges mondialisés, toujours plus soumis aux standards et aux règles à mesure que l’individu roi est supposé triompher…
Qu’est-ce que l’Ecologie humaine oppose à cette tendance, avec son affirmation « prendre soin de tout l’homme et de tous les hommes » ?
« Prendre soin de tout l’homme », c’est repartir du travail réel, produit en entreprise ou ailleurs, tel qu’il est effectué par des êtres humains concrets, vivants, qui ne cherchent pas uniquement leurs intérêts mais aussi à bien faire, à être utiles ou à être solidaires des autres.
C’est revenir à l’homme dans toutes ses dimensions, sa performance mais aussi sa vulnérabilité, ses compétences mais aussi ses limites. C’est prôner une économie réaliste, qui ne se fonde pas sur des abstractions mais sur la matérialité du travail humain, créateur de richesse. « Prendre soin de tout l’homme » c’est prendre soin avec rigueur et patience de la manière dont le travail se réalise et réalise le travailleur. C’est revenir ainsi à l’origine de la valeur économique.
« Prendre soin de tous les hommes », c’est s’intéresser aux destinataires de la production. Qui en profite et qui en est exclu ? L’économie participe à la construction de la société en produisant de biens et des services. Se préoccuper de ceux qui n’en bénéficient ou pas, c’est faire œuvre d’intelligence, d’innovation pour trouver de nouveaux marchés, de nouveaux moyens d’atteindre tous les hommes si les services ou les biens produits peuvent leur être utiles. Se préoccuper de la manière dont on consomme, et comment la consommation libère ou aliène, c’est servir tous les hommes, même ceux qui se croient riches de biens matériels.
L’écologie humaine porte sur l’économie un regard bienveillant : c’est par et pour les hommes que le fonctionnement de l’économie est acceptable.
S’il les méprise ou les exclut, il faut le modifier. En s’enracinant dans le réalisme de l’action humaine, le travail, l’utilité concrète, on peut imaginer d’authentiques progrès pour améliorer le contexte dans lequel vivent les humains, le rendre plus agréable, plus paisible ou plus sûr, pour aujourd’hui et pour demain.
En ce temps de crise où, dans les entreprises comme les services publics, on cherche de nouveaux souffles pour l’économie, l’écologie humaine n’a pas de solutions toute faite, mais invite à en trouver sur une base à la fois nouvelle et évidente : l’homme au cœur de toutes choses, comme mesure de toutes choses.