Face à la prolifération des écrans et aux problèmes de société posés par l’hyperconnexion, l’association Lève Les Yeux (LLY) part à la « reconquête de l’attention ». Yves Marry, cofondateur, propose des chroniques sur l’impact de la technique dans nos vies. Ci-dessous, il engage à découvrir Sing me a song, un film-documentaire réalisé par Thomas Balmès, sorti le 23 décembre 2020, qui confronte tradition et modernité, dans un village bouddhiste du Bhoutan.
Vous voulez nous parler de cinéma ?
Oui, je veux vous parler de Sing me a song, le dernier film – documentaire de Thomas Balmès, qui a notamment été primé à Sundance en 2014 pour son film Happiness.
Sing me a song, donc, est sorti en décembre dernier en salles et l’association dans laquelle je suis engagé, Lève les yeux, a noué un partenariat avec la société de diffusion, si bien que nous avons participé à des débats après des projections, un peu partout en France.
Et alors en quoi ce film vous concerne, vous et votre association ?
Et bien ce film transmet notre message, mais de la meilleure des manières, c’est à dire avec poésie.
Laissez moi vous en dire un peu plus.
Nous sommes avec Peyangki, jeune moine bouddhiste dans les hauteurs du Bhoutan. La mélodie des cloches, le scintillement du soleil d’Himalaya sur les dorures du Monastère… On est bouleversé par tant de beauté, puis très vite… une autre émotion s’invite en nous, une gêne un peu froide, quand un intrus, en apparence anodin, fait son apparition.
Cet intrus, c’est le smartphone. Il est connecté à internet, et il vient planter le drapeau de la modernité numérique tout en haut du petit paradis perché, du pays du Bonheur intérieur brut…
Je ne veux pas spoiler évidemment et j’invite nos auditeurs à aller voir ce superbe film mais, on l’aura compris : le chemin vers l’Éveil est quelque peu encombré…
Et ce film a aussi une résonance particulière pour vous, qui avez vécu en Birmanie quand internet et les smartphones sont arrivés ?
Oui, tout à fait. C’est à vrai dire la même émotion qui m’a poussé à vouloir fonder Lève les yeux de retour en France, avec mon ami d’enfance Florent Souillot. Cette même gêne, ce malaise que l’on ressent chaque jour dans le métro, dans la rue, partout, quand autour de nous les têtes sont baissées et les âmes semblent s’éteindre dans la lumière bleue des écrans.
Arrivé début 2014 à Rangoun, je m’étais fait une bande d’amis dans le quartier où je vivais. On jouait de la guitare sur les petites chaises des teashops. L’attention aux autres, dans cette région du monde, est extraordinaire, chaque personne croisée vous regarde dans les yeux et vous sourie.
Puis, exactement de la même manière que pour les jeunes moines du monastère au Bhoutan, les smartphones sont venus « voler » l’attention de mes amis, qui ne jouaient plus de guitare et ne me regardaient plus. L’aliénation a été fulgurante.
On pourrait toutefois vous rétorquer que la modernité numérique fait partie du « progrès », qu’elle est souhaitée par ces populations…
Certes, vous avez raison, ce sont là des questions très compliquées et je renvoie à l’ouvrage décisif de Serge Latouche sur ce sujet, « L’occidentalisation du monde », qui répondra bien mieux que moi.
Ce qui reste incontestable voyez-vous, c’est la nature de mon ressenti, et donc celle que vous aurez sans doute quand vous visionnerez Sing me a song. L’arrivée de la société de consommation et de la technologie numérique, partout, semble assécher les âmes, et amène tout sauf le bonheur.
On ressort du film avec une forme de tristesse, mais qui ne doit pas nous abattre et bien au contraire nous mobiliser, ici et maintenant.
En se demandant par exemple : a-t-on vraiment besoin de la 5G, dont 2 Français sur 3 disent qu’ils n’en veulent pas, et qui s’annonce comme une catastrophe écologique et sanitaire de plus… ? On en parle dans une future chronique !
Cette chronique a été diffusée dans la matinale du 21/09/2020 sur RCF.