La Cuisine avec Charlotte : une aventure de vie, en famille

7 Juin, 2022 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ, TÉMOIGNAGES

Charlotte est la grande sœur d’Enzo, autiste sévère. Ils partagent tous deux un goût pour la cuisine, qu’ils transmettent sur leurs comptes Instagram et Youtube @lacuisineaveccharlotte, que suivent un peu plus de 50,000 abonnés. Nous les avons rencontrés : ils racontent ce quotidien peu commun.

La Cuisine avec Charlotte : les débuts

Charlotte, créatrice de contenus : “L’idée de la création de mon compte Instagram vient de ma mère. Je venais de retourner chez mes parents, en piteux état, après 4 ans de relation amoureuse avec un pervers narcissique. Il fallait que je retrouve une activité qui me fasse du bien. Centrer ma page sur la cuisine était une évidence : je viens d’une famille nombreuse dans laquelle on a toujours beaucoup pratiqué cette activité ! J’avais déjà environ 2000 “petits choux” (le nom des membres de ma communauté), quand ma mère m’a dit : “tu cuisines beaucoup avec Enzo, on ne voit jamais des autistes sévères comme lui, pourquoi ne l’intégrerais-tu pas à ton projet ?”.

Sur La Cuisine avec Charlotte, j’ai un concept en trois posts. Le premier consiste à proposer des recettes en photos, pour pouvoir les faire chez soi en suivant les étapes à son rythme. Le second rapporte des anecdotes, une histoire familiale ou bien les propriétés d’un ingrédient. Et le dernier est inspiré du côté “prof d’histoire” de ma grand-mère : je cherche les histoires derrière les recettes.

Pour moi, la cuisine est un partage. Aujourd’hui, dans les grandes villes, chacun chauffe une barquette au micro-ondes et la mange devant un écran. Pourtant, il n’y a rien de mieux que de prendre le temps de cuisiner et partager un plat fait avec amour. Chacune des recettes postées est toujours l’occasion de me retrouver ma famille ou avec mes amis. On se raconte nos journées, ils évaluent la recette, je me fais charrier sur ce qui peut être amélioré pour être “instagrammable”… Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un prétexte pour que je refasse le plat à plusieurs reprises !

La cuisine (et pas que !) avec Enzo

Enzo ne sait ni lire, ni écrire. C’est un adulte qui sera dépendant toute sa vie. Il n’est pas responsable de sa condition et n’a pas conscience de son handicap ni du poids qu’il peut représenter.

Au quotidien, on essaie de trouver des compromis, dans les deux sens. On lui en demande beaucoup : se tenir correctement, faire des efforts, parler, prononcer, appliquer les règles de politesse usuelles. Si aujourd’hui, l’autonomie d’Enzo dépasse celle d’un enfant de deux ans et demi, c’est parce qu’on y a travaillé pendant 20 ans !

En cuisine, j’irais sans doute trois fois plus vite s’il n’était pas dans mes pattes. Mais c’est un très bon exercice pour lui : ça l’oblige à toucher des matières – gluantes, froides, visqueuses – qu’il refusait de toucher auparavant. Il gagne en autonomie, au point qu’aujourd’hui, il est capable d’éplucher des carottes tout seul.

Et c’est devenu un lien fort entre nous. Il adore être filmé et regarder les vidéos réalisées. Il explose de rire en les visionnant. C’est son petit bonheur ! Depuis quelques semaines, d’ailleurs, c’est lui qui salue la communauté par un enthousiaste “Salut les petits Choux !” : il m’a tellement entendu le dire qu’il finit par le répéter régulièrement.

Dans mes diverses communications, je ne fais aucune généralité sur l’autisme. Je ne parle que du cas d’Enzo, qui est un autisme sévère avec déficience intellectuelle associée. Enzo est extrêmement difficile au quotidien, il répète 75 000 fois les mêmes phrases. Il a la taille d’un adulte de 20 ans mais la capacité de destruction d’un enfant de deux ans et demi. Sa manière d’interagir, de voir les choses, de ne pas avoir de notion du danger ou encore d’avoir l’attention d’un poisson rouge, fait qu’Enzo ne peut jamais être tout seul. À part une petite demi-heure devant la télé, dans une pièce où l’on est sûr qu’il ne peut pas faire de bêtises.

Je suis l’aînée de 6 enfants. On s’est toujours tous occupés d’Enzo. D’ailleurs, quand mes parents ne seront plus là, il viendra vivre avec moi. Pourquoi ? Je n’ai pas d’autres explications que l’amour que je lui porte. Avec lui, la relation est pure. Il renvoie ce qu’on lui donne.

Être vrai, sur les réseaux sociaux 

Je n’ai pas un compte Instagram tout rose, plein de paillettes. Mes réseaux sociaux reflètent la réalité. Si Enzo a mal dormi, il a mal dormi, s’il doit se faire disputer, il se fait disputer. En dehors des recettes de cuisine, ce que ma communauté de Petits Choux apprécie le plus, c’est notre second degré. Notre joie de vivre, malgré les difficultés. Cette réalité minimise peut-être les petits tracas quotidiens des uns et des autres.

La grande majorité des membres de ma communauté n’est pas atteinte par le handicap – que ce soit pour eux-mêmes ou pour un proche. Ce que je poste provoque donc une ouverture d’esprit : ce que peut être le quotidien avec une personne atteinte d’un handicap. Le handicap fait parfois peur parce qu’on ne le connaît pas ; on pense qu’il faut interagir différemment ; on ne sait pas comment s’y prendre. Et, quand on ne connait pas quelque chose, souvent, on a peur. Un peu comme Enzo avec tout ce qui l’entoure, au fond. Si, aujourd’hui, Enzo accepte aussi bien le bruit, les transports, le contact, etc. c’est parce qu’on lui a appris à appréhender toutes ces choses qui lui faisait peur avant.

S’adapter à la différence

J’exclue tout de suite le handicap physique des propos que je vais tenir, parce qu’effectivement, une personne en fauteuil roulant n’a pas de choix. C’est à la société de s’adapter à elle.

Mais c’est différent pour le cas d’Enzo. Il a la capacité de s’adapter à la société. Ca prend énormément de temps, de travail et de patience. C’est difficile pour lui, et par ricochet, pour nous. Mais ce n’est pas au monde de s’adapter à Enzo. Enzo doit apprendre à s’adapter à son environnement. Parce qu’un environnement sans bruit, sans contact, sans trop de lumière – une bulle – n’est pas viable une vie entière.

Ainsi, pour éviter qu’il soit dans des situations trop stressantes, pas vivables pour lui sur le long terme, mes parents l’ont toujours volontairement mis, dès le plus jeune âge, dans des situations qui lui étaient problématiques. Il a alors, petit à petit, appris à gérer tout ça au quotidien.

Maintenant, si je pense que c’est à Enzo de s’adapter au mieux à la société, la société se doit d’être bienveillante sur ses petites différences.

Force de vie : donner et recevoir

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Je sais que c’est une phrase qui ne plaît pas à tout le monde, mais dans mon cas, ça marche. 

Quand on donne, on reçoit aussi. Tous les liens – familiaux, professionnels, avec une communauté ou ses amis – doivent être travaillés. Comme avec Enzo, c’est un échange dans les deux sens.

Je reçois de ma communauté et je reçois d’Enzo. Quand il me saoule trop, que je lui dit qu’il me fatigue et qu’il explose de rire et me fait un câlin, quelque part, il me rend ce qu’il a reçu. Quand il apprend le second degré et que, quand je lui demande de faire quelque chose, il me regarde et répond tu me fatigues, c’est aussi un don. Il y a une contrepartie, même si elle met parfois du temps à arriver.

C’est ça qui me donne de la force : travailler en ayant un but et atteindre ce but. Alors, on peut gravir l’échelon suivant et ainsi de suite. Rome ne s’est pas fait en jour, vivre avec Enzo, c’est pareil !”


Découvrir la page instagram de La Cuisine avec Charlotte : @lacuisineaveccharlotte

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