Après une carrière militaire de 19 ans dans la Marine Nationale, Wilfrid Delalande devient agriculteur et reprend l’exploitation familiale en Haute-Vienne. Un nouveau choix de vie longuement mûrit avec son épouse et leurs 6 enfants. Installé avec sa famille depuis deux ans et demi, il raconte son quotidien et notamment son investissement au sein des Robins des champs, une association d’agriculteurs solidaires.
De la mer à la ferme
Wilfrid Delalande, agriculteur : “Je suis fils d’agriculteurs : mes parents étaient tous deux exploitants agricoles. Après mon baccalauréat, j’ai travaillé 19 ans dans la Marine Nationale comme militaire-mécanicien, pour faire de la maintenance sur avion. La question de revenir à l’agriculture se posait régulièrement. C’est au départ à la retraite de mon père, en janvier 2020, que j’ai repris l’exploitation familiale, à Val d’Issoire, près de Bellac. Je venais d’obtenir mon Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA), après 8 mois de formation en reconversion professionnelle.
L’exploitation compte 155 hectares de terre en élevage bovin, avec 100 vaches-mères en système naisseur. Je garde une partie de mes femelles en reproduction et le reste en engraissement. En culture, je fais un peu de céréales, du maïs et des prairies pour l’alimentation de mes vaches.
Une vocation, dès l’enfance
C’était un rêve d’enfant de travailler sur la ferme. En entrant dans la Marine, j’ai signé un contrat de 8 ans à l’issue desquels le choix se posait : devais-je poursuivre ou arrêter pour retourner à l’agriculture ? Il y a eu plusieurs étapes de réflexion. Nous avons étudié le projet avec mes parents, différents interlocuteurs et mon épouse. Il en est sorti qu’à cette période, c’était trop tôt : il n’y avait pas suffisamment de travail à la ferme pour tous.
Malgré tout, le projet m’est resté en tête. Nous en avons beaucoup discuté, avec ma femme. À un moment, j’ai même totalement renoncé au projet. Et puis, au fil des discussions et du temps, l’idée s’est concrétisée : ensemble, en famille, nous avons déménagé sur la ferme familiale, où nous vivons aujourd’hui.
S’installer ne va pas sans difficulté
Même si la décision a été prise conjointement, ça n’a été facile pour personne de changer ainsi de vie. Il a fallu quitter nos amis, nos habitudes, notre confort, douze ans de vie en Bretagne et retourner en Limousin, dans mon giron familial. Pour mon épouse, masseuse-kinésithérapeute, le monde agricole était radicalement différent de tout ce qu’elle connaissait.
Les six premiers mois ont été difficiles pour toute la famille. Cette vie agricole, je la connaissais par mes parents. Mais ça n’a rien à voir de donner un coup de main pour conduire un tracteur ou rentrer trois vaches dans un bâtiment pour aider son père et faire de la ferme son gagne-pain quotidien. Ce n’est pas comparable. Pour réussir à en vivre, il faut y consacrer du temps…
Aujourd’hui, le travail d’agriculteur, c’est 7j/7. Il n’y a plus de week-end, même si on essaie de prendre du temps en famille. Ce n’est pas toujours facile pour mon épouse et les enfants d’accepter cette contrainte. Fort heureusement, depuis 10 jours, nous habitons sur l’exploitation, ce qui facilite grandement la vie.
Des joies, parce qu’il y en a !
Aujourd’hui, je n’ai aucun regret par rapport à mon ancienne vie. Pendant 19 ans, j’ai vécu “une première vie”. Grâce à mon métier, j’ai eu l’occasion de voyager, de partir en mission, de rencontrer des personnes très différentes… Mais le choix de ma nouvelle vie a été bien mûri et me tenait à cœur. Et j’aime beaucoup mon métier actuel : travailler la terre, m’occuper des animaux, etc. L’agriculture est un métier de passion.
Par ailleurs, depuis qu’on habite sur la ferme, les enfants peuvent me rejoindre sur l’exploitation quand ils le souhaitent et repartir à l’heure qu’ils veulent. S’ils n’en ont pas envie, ils peuvent profiter des cousins qui sont à côté. Quant à mon épouse, au fur et à mesure, elle découvre mon quotidien et commence à en apprécier certains aspects. Ainsi, à la rentrée, lorsque les enfants rentreront de l’école, je pourrais passer à la maison, ne serait-ce que 5 minutes pour les accueillir. Un précieux confort de vie !
Les Robins des Champs : entraide…
J’ai rejoint Les Robins des champs lorsque je me suis installé. À l’origine, l’idée de cette association a émergé d’un groupe de jeunes agriculteurs qui se sont rencontrés à l’école. Son objectif est double.
Le premier but des Robins des Champs est le partage, la solidarité et le soutien. De fait, le métier d’agriculteur peut être très solitaire. Grâce aux Robins des Champs, nous sommes entre 25 et 30 agriculteurs à se retrouver régulièrement et à s’entraider. Ce sont devenus des amis.
Lorsque l’un de nous a un coup dur, on lui file naturellement un coup de main. Par exemple, il est arrivé qu’un jeune ait des pénuries de fourrage, les collègues se sont alors mobiliser pour lui donner quelques bottes de foin, de quoi lui permettre de boucler la saison. Une autre fois, ça a été un collègue qui a pris un orage de grêle. Toutes ses bâches de tunnels étaient percées. Par solidarité, Les Robins des Champs se sont cotisés pour lui en offrir une autre.
…et vitalité du territoire
Le second but des Robins des Champs, c’est d’organiser des animations pour la population du canton de Mézières. Chaque année, au mois de mars, nous organisons un repas festif avec dancing. Certains invitent leurs parents, leurs voisins, etc. Rien d’extraordinaire, mais ça permet de se retrouver et de discuter avec toutes les générations. Par ailleurs, le 20 août, nous nous retrouvons pour le traditionnel concours de labour. L’année dernière, nous avons même tenu une foire paysanne sur une journée, avec 8 à 10 producteurs exposants, quelques animaux pour créer une mini-ferme, des démonstrations de tonte de moutons, de travail avec des chiens de berger, etc.
C’est une belle façon de montrer que nous nous investissons pour faire faire vivre la région, pour en prendre soin. Et ça nous permet aussi de renflouer les comptes de l’association. Ce petit “trésor de guerre” nous permet de financer les actions de soutien pour les uns et les autres.
Les Robins des champs : découvrir la vraie vie des agriculteurs
En France, il y a 40 ou 50 ans, tout le monde avait un agriculteur dans sa famille. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de gens qui connaissent ce milieu. On entend tout, beaucoup et rien à la fois. Les gens ne savent pas de quoi ils parlent, mais ils parlent. Un peu comme pour le football : en France, il y a 60 millions d’entraîneurs de l’équipe de France, il y a aussi 60 millions de personnes capables de donner des conseils liés au travail des agriculteurs. Sauf que ces personnes n’ont jamais touché à un grain de terre ou approché une vache. Elles ne savent pas ce que c’est.
Les animations que nous faisons deux à trois fois dans l’année, ont leur importance : elles permettent d’accueillir des gens de tout horizon, qui vivent sur un territoire agricole, mais ne le côtoie pas autrement. Les Robins des Champs montrent ainsi la manière dont on travaille et cassent cette image de vilains petits canards qui polluent ou qui font mal aux animaux.
Aujourd’hui, pour nous, agriculteurs, c’est difficile d’ouvrir nos fermes au grand public parce que ça reste un outil de travail. Nous n’avons pas forcément le temps de faire de la communication, et nous ne savons pas forcément faire. Malgré cela, on souhaite vraiment que tout un chacun puisse avoir les informations du terrain, de la réalité de ce qui se passe.”