Lâcher prise, audace, anti-fragilité… Christophe Bichet, 37 ans, conférencier inspirationnel et mentor, atteint d’une maladie rare et fan d’escalade, a énormément de matière à offrir sur ces sujets. Oserez-vous lire cet article, au risque de vous laisser emporter par une vague d’audace ?
“L’audace – cette volonté de tenter des choses qu’on n’a pas l’habitude de faire mais qui nous branchent, nous inspirent, nous enthousiasment – est absolument capitale dans la vie !“
Christophe Bichet
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Deux défis qui emplissent une vie
Christophe Bichet : “J’ai deux grandes passions dans la vie. La première, c’est la grimpe ; je suis grimpeur professionnel. La deuxième, bien malgré moi, est… la maladie ! Je suis un malade professionnel. Depuis que je suis tout petit, j’ai beaucoup de problèmes de santé. Il s’agit d’une maladie génétique rare – la maladie de fanconi – qui m’a fait passer par une greffe de moelle osseuse et de multiples cancers.
J’ai été diagnostiqué lorsque j’avais 5 ans ; en conséquence de cette maladie, j’ai une petite taille – je mesure 1m49 et demi ! – et les chances de développer un cancer sont multipliées par 400 par rapport à la population normale, avec un risque accru de devoir passer par une greffe de moelle osseuse. Lorsque j’ai été diagnostiqué, on me prédisait une espérance de vie d’une quinzaine d’années… Ça fait beaucoup d’épreuves potentielles.
Lorsque je grimpe, ma taille est parfois un inconvénient – lorsqu’il faut que j’aille chercher des prises un peu plus loin, une personne de taille standard y arrive beaucoup plus facilement – et parfois un atout insoupçonné – j’ai un rapport poids/puissance génialissime, je suis très léger, et comme je chausse du 35, les prises de pied sont plus confortables pour moi que pour quelqu’un qui chausse du 43 !
Je jongle donc entre ces deux défis, un que j’ai choisi et l’autre qui est plutôt subi, mais avec lequel j’essaye de faire de mon mieux.”
De l’importance de l’audace
Je ne sais pas s’il est important d’être audacieux… je sais en revanche que de ne pas l’être est chiant ! On finit par s’ennuyer en ne remplissant pas sa vie de nouveautés, d’activités ou de pensées qui nous remettent en question et nous enrichissent. Alors, on finit automatiquement par se remplir de choses qui ne nous intéressent pas – plaintes, informations qui ne nous aident pas. Que ce soit à la télé, à la radio, sur Internet, on se laisse envahir par les malheurs du monde.
Il est très facile d’entrer dans cette dynamique-là ; on finit par ne plus vivre du tout. L’anxiété prend le dessus ; le cercueil n’est pas loin, même s’il est virtuel !
Voilà pourquoi l’audace, cette volonté de tenter des choses qu’on n’a pas l’habitude de faire mais qui nous branchent, nous inspirent, nous enthousiasment, est absolument capitale pour vivre !
L’escalade, une passion dès l’enfance
J’ai découvert l’escalade par le biais de mes parents qui ont toujours eu à cœur de nous emmener au contact de la nature. On a fait de la randonnée, de la montagne, du canoë kayak, du camping…
Mais ça s’est formalisé pour moi au moment où l’on habitait en région parisienne. Mes parents allaient souvent en forêt de Fontainebleau, site mondialement connu par les grimpeurs. Pendant que mes parents grimpaient, la fratrie s’amusait à jouer dans le sable et à “grimpouiller”. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte que j’arrivais à faire des rochers que mes parents n’arrivaient pas à faire ! Ça a été le début d’une envie dévorante pour moi !
Les leçons de vie de l’escalade
La grimpe et l’escalade m’ont appris que, pour avancer, prendre de la hauteur, voire même désescalader, revenir sur terre, il s’agit de faire deux mouvements fondamentaux : s’accrocher et lâcher prise.
C’est vraiment deux mouvements fondamentaux qui ne sont possibles que si je suis en compagnie de personnes en qui j’ai confiance. Si je n’ai pas un minimum confiance en la personne qui m’assure, je ne peux grimper qu’à des endroits faciles, dans ma zone de contrôle. Ce n’est pas négatif, c’est juste moins intéressant sur le long terme.
Pour donner le meilleur de moi-même dans la grimpe, lorsque je suis sur la paroi, j’ai besoin d’une personne compétente qui m’assure en bas ; elle doit savoir comment faire pour me rattraper si je loupe ma prise, par exemple. J’ai besoin qu’elle soit attentive, attentionnée envers moi, qu’elle me regarde, qu’elle soit présente. J’ai également besoin d’être encouragé, même silencieusement. Ça peut être simplement grâce à une attention soutenue. C’est très sensible lorsque l’on grimpe.
Et c’est exactement la même chose dans la vie, avec son conjoint, ses partenaires, ses collègues… Il est beaucoup plus difficile de donner le meilleur de soi-même quand on est seul.
Fondamentalement, j’ai appris que la vie était une succession d’accroches à ce qui nous semble important, essentiel, et de lâcher-prises du superflu. Le superflu ? Ça peut être des pensées, des paroles, des histoires, des personnes, des habitudes, des vêtements… on peut le décliner dans toutes les directions. Ce mouvement-là, c’est le mouvement de la vie, tout simplement.
Grimper m’a vraiment réappris à vivre, avec d’autres personnes.
Passer outre le “c’est pas possible”
“Il m’est arrivé de nombreuses fois de me dire de prime abord “ça c’est impossible pour moi”.
Je pense notamment à une voie dans le sud de la France, la Chiquette du Graal à côté de Buoux. Les premières fois où je l’ai grimpée, j’étais persuadé que je n’avais pas la taille suffisante pour aller chercher les prises. Imaginer que c’était possible était impossible !
Il a donc fallu que je lâche mes pensées. J’y suis retourné sans a priori, pour le plaisir de faire des mouvements et d’essayer. Et parce que la ligne était jolie, parce que j’étais avec des gens avec qui j’avais envie de grimper, un passage qui me semblait impossible m’a donné envie d’essayer certains mouvement, certains placements… À un moment donné, je me suis rendu compte que… peut-être… avec le pied là… et le positionnement du corps comme ça… ça pouvait marcher. Au fur et à mesure, en essayant encore et encore, le peut-être que ça peut marcher s’est transformé en mais effectivement ça marche ! La voie entière s’est alors ouverte à moi, sans arrêt et sans chute.
La persévérance me semble être une qualité essentielle. Mais la persévérance un peu insouciante que les enfants ont, celle que nous, adultes, avons tendance à mettre rapidement à la poubelle parce qu’on réfléchit trop.
L’escalade m’a appris à savoir lâcher le mental, la réflexion. À un moment donné, si on a envie d’y aller et que ça nous inspire, que ça a du sens, même s’il n’y a aucun raison pour que ça fonctionne au commencement, et bien allons-y ! Allons-y et on verra bien.
Tant qu’il y a cette énergie un peu fofolle, cette vitalité, cette pulsion de vie, il faut l’utiliser. Tant pis si le monde extérieur dit que c’est impossible, qu’il n’y a pas de solutions, que vous n’y arriverez pas, etc. ! Allez-y !
Sortir du découragement
Lorsqu’on a peur, qu’on est découragé, qu’on ne sait plus où aller ni quoi faire, la première chose à faire est de se l’avouer. Se dire simplement “je n’en peux plus, j’en ai marre”. Ça paraît idiot mais c’est une étape indispensable d’avoir le courage de se dire qu’on est cuit.
Seulement après cela, on peut se laisser aller à des petites choses qui font du bien, même si ça paraît insignifiant. Ça peut être boire un sirop parce qu’on en a envie, appeler une amie, regarder un film qui vous inspire…
Lorsqu’on en a vraiment marre de tout, c’est très important de remettre de la légèreté, de la simplicité, du plaisir dans le corps pour que le corps se remette en mouvement et qu’ensuite l’inspiration, les idées reviennent.
J’ai beaucoup d’exemples parce que je suis passé par une période de dépression lorsque j’avais 22 ans. Je me souviens très bien que certains jours, le simple fait de me lever pour aller boire de l’eau, pour aller prendre un verre de sirop, c’était déjà une réussite. Mais je ne pouvais pas commencer ailleurs que là, parce que je n’avais plus assez d’énergie pour faire quoique ce soit d’autre. J’ai donc commencé par là. Et puis, petit à petit, j’ai renoué contact avec le monde, des amis, en sortant de chez moi, etc.
Vraimen,t lorsque tout paraît insurmontable et qu’on a plus envie de rien, l’envie peut venir de choses très simples et insignifiantes.
Sortir de la plainte
Je crois que la plainte est quelque chose de très handicapant et en même temps, c’est subtil : le fait de dire ce qui ne va pas est absolument nécessaire.
Quand ça va pas, il faut le verbaliser, le décrire, le partager à un être vivant… Il faut que ça sorte !
Et en même temps, à un moment donné, si l’on ne fait que partager ce qui ne va pas, ce qui est problématique, ce qui ne fonctionne pas, on va droit dans le mur. C’est la gravité qui prend le dessus ; on ne voit plus que ça, on n’arrive plus à bouger, ça nous cloue sur place.
Cette manie que l’on a tous, qui consiste à dire et à répéter ce qui ne va pas et à se plaindre, il faut arrêter et se poser la question : que puis-je faire pour que ça aille mieux ? Pour changer d’état d’esprit ? Respirer, bouger son corps… ça peut commencer par-là. Des choses toutes simples, encore une fois, qui permettent de reprendre les choses en mains.
– Est-ce qu’il y a une distinction entre l’audace et la prise de risque ?
– Est ce qu’il y a une distinction entre la prise de risque et l’audace ? Je ne sais pas. Je ne saurai pas vraiment dire parce que de mon point de vue, vivre c’est déjà une prise de risque. Parce que tout est risqué, tout peut arriver à n’importe quel moment à n’importe qui. Donc le fait d’être en vie est déjà une prise de risque donc à partir de là le fait d’être un être vivant, si on peut parler, manger, respirer, en tout cas interagir avec le monde, à partir de là on est déjà dans une vie audacieuse quelque part. Donc quoiqu’on fasse c’est déjà risqué donc à partir de là, tout et rien sont une prise de risque. Le fait de ne rien faire et de s’enfermer chez soi est risqué. On risque de ne pas vivre, longtemps. C’est des mots qu’on utilise beaucoup en ce moment qu’on entend beaucoup, mais pour moi c’est comme pour tout on peut les retourner, on peut en faire un peu ce qu’on veut selon le contexte. Donc ce qui me semble être plus juste, c’est surtout à quel point chaque personne a l’impression de prendre des risques ou a l’impression d’être une personne audacieuse dans sa manière de vivre, dans sa manière de prendre des décisions. C’est juste ça par rapport à soi-même, ce qui est intéressant, le seul juge c’est nous-même. Est-ce que j’ai l’impression de prendre un risque oui ou non, et c’est ce qui va m’apporter la joie, la légèreté, la fierté ou pas. Le reste euh.
Cultiver l’envie d’avoir envie
Cultiver l’envie d’avoir envie… énorme sujet et pourtant très simple, voire même peut-être contre-intuitif… Il n’y a rien à faire, juste laisser les envies venir !
Je suis certain que quiconque s’assoie dans un fauteuil et ne fait rien aura, à un moment, envie de faire quelque chose : aller chercher un truc à manger, appeler quelqu’un, écrire, lire, regarder quelque chose. Forcément, si on ne fait rien, on va se remplir de quelque chose qui va venir et ce quelque chose va être un début d’envie. Il ne peut pas ne pas y avoir d’envie – même l’envie d’en finir avec l’existence est une envie. Il y a toujours des envies. Il s’agit d’être attentif et de se laisser un porter, au début tout du moins, et ensuite de creuser, d’être persévérant, curieux vis-à-vis des envies qui viennent.
Parfois, les envies viennent de l’extérieur, parfois elles nous sont dictées par ce que nos parents nous ont dit ou par ce que la société nous demande de faire. Dans une certaine mesure, c’est OK. Il n’y a pas de dogme, de règle, à avoir. Mais ce qui est sûr, c’est que quand on est en vie, il y a forcément des envies. Il s’agit simplement d’être attentif à celles qui nous touchent vraiment.
Fragilité, robustesse et anti-fragilité
L’antifragilité est une théorie développée par Nassim Nicholas Taleb. Anti-fragilité, fragilité et robustesse…
- Il y a des systèmes et des personnes robustes : on peut leur faire des commentaires négatifs ou leur confier des missions difficiles, ça reste à peu près stable.
- Il y a aussi des systèmes, personnes, entreprises, fragiles : on sent bien que si on les secoue un peu, ils risquent d’éclater comme un vase sur le sol.
- Les systèmes ou les personnes anti-fragiles, eux, se renforcent au contact de la difficulté et de la gravité.
Cette caractéristique-là m’intéresse énormément : parmi les personnes qui passent par une période difficile, peu vont être capables d’en faire une force réelle, concrète, à mettre au service du monde.
Cette compétence-là est rare, pas suffisamment développée et étudiée. C’est dommage parce qu’on a besoin de cette capacité d’anti-fragilité : prendre toute la violence d’une situation vécue et la mettre au service d’un projet, d’une idée, d’une cause. C’est absolument crucial pour le monde d’aujourd’hui. Une personne anti-fragile est capable de voir les choses comme elles sont, de ne pas se fermer et de vivre les émotions qui y sont associées, et en même temps de se dire “Et donc, maintenant, qu’est-ce que je fais avec ça concrètement ?”
Saurez-vous relever le défi ?
Mon dernier message : accrochez-vous délicatement à ce qui est vraiment important pour vous, pour votre communauté, pour votre société, pour le monde d’aujourd’hui. Nécessairement, vous allez être obligés de lâcher un certain nombre de choses, dont la plainte.
C’est comme quand on grimpe : prendre en main les prises essentielles, ce n’est pas suffisant. Si on ne fait que s’accrocher, les bras tétanisent et on tombe. Il faut également lâcher ce qui ne vous semble pas essentiel.”
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