Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute, propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui les pistes n°15 et 16 de sa réflexion sur le « réenchantement du monde », ainsi qu’un piège à éviter.
Piste n°15 : notre présence au monde
Aujourd’hui, je vous suggère de chercher à mieux ressentir notre « présence au monde », en allant au-delà des apparences habituelles.
Certains parleront de leur appartenance à la « Nature », au « Monde du vivant » ou au « Cosmos ». D’autres peuvent même éprouver comme un « lien d’éternité » avec le monde dans lequel ils baignent. Mais l’on peut tout simplement vivre une relation au monde variant selon les circonstances et la tonalité de nos humeurs intérieures.
Quoi qu’il en soit, ne soyons pas trop timides en nous questionnant. En nous mettant à l’écoute profonde de nous-mêmes, nous trouverons ou retrouverons presque certainement des sensations très personnelles et peu conventionnelles.
Pour nous aider, je vous propose des textes d’auteurs très divers, qui peuvent être comme des intercesseurs pour mieux ouvrir nos yeux et nos cœurs à notre relation au monde. Alors, prenons le temps et laissons-nous vibrer à ces expériences vécues par d’autres, mais qui peuvent avoir quelque chose d’universel… et puis demandons-nous : « et moi, que puis-je dire ou nommer simplement aujourd’hui ? ».
Regarde le ciel, il te voit… embrasse la terre, elle t’aime.
George Sand
Voir un monde dans un grain de sable,
Un ciel dans une fleur sauvage,
Tenir l’infini dans la paume de la main,
Et l’éternité dans une heure.
William Blake
Il se perd avec une délicieuse ivresse dans l’immensité de ce beau système
avec lequel il se sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent. Il
ne vit et ne sent rien que le tout.
Jean-Jacques Rousseau
Les étoiles n’avaient qu’un rôle : m’apprendre à lire.
Mahmoud Darwich
L’effroi sacré, voilà la meilleure part de l’homme … c’est dans le saisissement
qu’il ressent profondément la réalité prodigieuse.
Johann von Goethe
Habiter poétiquement le monde, c’est une mère qui remet l’ourlet du
drap au bord du visage de son enfant endormi, et c’est comme si elle
prenait soin de toute la voie étoilée.
Christian Bobin
Nous sommes tous des poussières d’étoiles.
Hubert Reeves
La mer, la mer, toujours recommencée,
Ô récompense après une pensée !
Paul Valéry
Cette exclamation si évocatrice de Paul Valéry fait penser au « sentiment océanique » vécu par Romain Rolland, inspiré par les spiritualités orientales. Dans ces traditions, notre existence individuelle est vue comme la goutte d’eau issue de l’océan et y retournant, l’océan figurant tout l’univers, mais également le temps toujours en mouvement. Quelle image saisissante illustrant en même temps notre individualisation et notre appartenance à un « grand tout », à la fois origine et destinée !
L’on peut parfois éprouver comme Romain Rolland la sensation de ne faire qu’un avec l’univers et en même temps (ou plus tard) « un effroi sacré », celui dont parle Goethe… qui est moment à traverser et chemin à parcourir pour
s’émerveiller devant l’aspect si précieux de nos vies.
Éveillés par ces visions diverses, revenons à notre vision personnelle. Au-delà des clichés, chacun d’entre nous éprouve dans son for intérieur des sensations particulières de présence, d’appartenance ou même d’alliance au monde (le monde étant aussi bien le « cosmos » infini que « l’humanité » ou encore notre « planète », c’est-à-dire notre maison et notre jardin communs).
Mieux ressentir consciemment notre présence au monde aura l’avantage de nous amener à mieux vivre en conscience notre chemin dans ce monde.
Piste n°16 : comme un poisson dans l’eau
Tu dois d’abord cesser de vouloir à tout vent, laisse l’infini te remuer.
Zhuangzi, 4 ème siècle av J.-C.
Dans la Chine de cette époque, se développe la culture du Tao, force fondamentale qui coule en toutes choses et qui est aussi « la Voie » : celle d’une sagesse innée à l’intérieur de nous que nous sommes invités à suivre. Dans cette perspective « les hommes sont comme des poissons dans l’eau », car ils n’ont qu’à se laisser guider naturellement, comme le nageur porté par le courant. Le Tao est ainsi défini comme « l’agir épousant la nature ».
L’eau
L’eau, issue d’une petite source, se démultiplie, apportant partout la vie sur Terre. Elle est l’élément le plus humble qui ne résiste à rien, mais qui vient pourtant à bout de tout. Le Tao est comparé à l’eau qui coule : « que faiblesse
prime sur force et souplesse sur dureté ! ».
Le poisson
Le poisson nage dans l’eau comme « l’agir épousant la nature ». Alors « Vivre comme un poisson dans l’eau », c’est pour nous, humains, accueillir tout le réel dans lequel nous « baignons » (ce réel incluant aussi bien notre vécu intérieur que la réalité extérieure, dont, bien sûr, les « lois de la nature »).
Lisant en ce moment avec un immense intérêt le livre de la sinologue Anne Cheng intitulé Histoire de la pensée chinoise, j’ai commencé, presque malgré moi, à intégrer à ma façon la métaphore du poisson. Cela m’aide à « me rendre au réel » plus facilement, sentant mieux quand il est insensé de me rebeller ou de refuser ce réel. Alors j’ai eu plusieurs fois l’impression, à mon grand étonnement, de vivre tout à coup « comme un poisson dans l’eau ». Je me surprends même à me proposer « sois poisson ! ». Devant un obstacle ou un deuil à faire, cela me permet de « repartir ». S’ouvre en effet comme un chemin neuf pour m’aider à retrouver plus de paix intérieure. C’est une expérience au goût rafraîchissant qui me donne la sensation de regagner de l’espace et de l’aisance.
Au fond, se proposer de vivre comme un poisson dans l’eau, c’est une façon d’être plus présent au monde en non dualité (selon les traditions orientales) ou en unité (dans notre culture), c’est-à-dire habité et porté par un lien de
proximité, d’appartenance et d’alliance.
Piège n°7 : vivre notre rapport au monde au gré des vents
Je veux dire par là basculer au gré des « vents médiatiques » de l’émotion à la rationalisation ou inversement. Trop soumis à la société de l’information et du spectacle, nous risquons en effet d’entretenir un rapport au monde alternativement très émotionnel où nous surréagirons puis à l’inverse très détaché où nous nous replierons sur une vision rationalisée. C’est prendre le risque de stagner dans une ambiance d’impuissance et de souhaits stériles.
Nous avons plutôt intérêt à écouter Pierre Rabhi : avant que d’être changé, le monde n’a-t-il pas besoin d’être réenchanté ? N’avons-nous pas besoin de l’aimer et de le contempler pour retrouver l’énergie d’en prendre soin ? C’est cet amour profond que j’appelle la « symphonie de la Terre », qui, au-delà des constats alarmants sur les désastres actuels et à venir, me pousse à œuvrer à la mise en œuvre de solutions.
Découvrir les pistes 13 & 14 de réenchantement du monde
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