Mardi 7 mars 2023, notre co-initiateur Gilles Hériard Dubreuil a rendu l’âme. Il a marqué de nombreuses personnes. À travers le texte ci-dessous, l’équipe du Courant pour une écologie humaine souhaite lui rendre hommage et le remercier pour les nombreuses richesses qu’il lui a apporté.
Gilles Hériard Dubreuil fut l’un des trois co-initiateurs du Courant pour une écologie humaine. Il en a pris la présidence dès sa fondation en 2013 et l’a assumée jusqu’au terme de sa vie, sans jamais se désintéresser de cette charge, ni de l’évolution du monde. Gilles a même choisi d’investir ses dernières forces pour que soit achevé un grand texte longuement mûri qui lui tenait à cœur. S’assurant qu’il serait bien publié malgré sa mort prévisible, il le considérait comme son héritage intellectuel.
Pendant ces premières dix années du CEH, son engagement intense – et bénévole – fut aussi généreux que passionné. Toujours disponible, Gilles fut un soutien solide pour l’équipe permanente. Son engagement pour l’écologie humaine s’est développé en synergie étroite avec ses autres engagements professionnels et associatifs. Avec sa pensée foisonnante, ancrée dans la réalité, Gilles avait le joyeux génie de relier. Conteur truculant, aimant les conversations ouvertes, il ne cessait de lancer des ponts entre les personnes, les idées, les théories, les situations. Tout – et surtout chacun – l’intéressait, sauf ce qui était vain, superficiel, et inutilement « urgent ».
Enraciné dans sa terre des Landes où il aimait se ressourcer – et forestier dans l’âme – Gilles est resté jusqu’à l’irruption de sa maladie un voyageur infatigable sur de multiples terrains d’actions. Sa pensée originale et vigoureuse s’est forgée au contact des habitants des territoires contaminés par les catastrophes écologiques. D’abord et surtout celle de Tchernobyl qui l’a appelé à faire de multiples séjours en Ukraine et en Biélorussie et jusqu’en Laponie. Travaillant toujours en équipe, Gilles s’est passionné pour la gouvernance des communautés locales confrontées aux situations post-accidentelles. Il a poursuivi cette action en Martinique dont la nuisible chlordécone a pollué les terres agricoles, et dans la région de Fukushima.
Gilles avait une hauteur de vue rassurante et un regard plein de confiance dans la vie : il décryptait la société post-moderne – et sa « catastrophe anthropologique » – avec le même œil avisé, tranquillement critique, et surtout lucide. Il parlait de la catastrophe comme d’une révélation bienfaisante, un appel salutaire à changer de point de vue sur le monde, à inventer de nouvelles pratiques, à instaurer de nouvelles relations, dont il cherchait la source dans l’histoire. Rétif aux postures artificiellement clivées, il aimait les regards croisés. Gilles encourageait les chemins personnels et communautaires, ancrés dans des « territoires vivants ». Il s’intéressait au mouvement plus qu’au but : « Un esprit avisé est un esprit en marche », répétait-il en pensant citer Paul Valery sans parvenir à retrouver sa source.
Homme absolument libre, récusant les étiquettes comme les idéologies, doté d’une forte autorité naturelle et d’une indépendance d’esprit peu commune, Gilles était soucieux de véritable participation. Il a œuvré à la fondation de Nuclear Transparency Watch, un organisme destiné à poser les débats et controverses autour du nucléaire sur des données partagées et fiables. Il avait participé plus récemment à la fondation du Collège des communs. Ce sont ces mêmes communs dont il faisait la promotion – en spécialiste – au sein du Courant pour une écologie humaine, par opposition au « système individualo-collectiviste » où la personne est « téléguidée » par « les carottes et les bâtons » règlementaires ou fiscaux plutôt que reliée et responsabilisée. Son éthique, il l’appliquait avec ses collaborateurs qu’il aimait voir grandir, se déployer et même partir pour de nouvelles aventures. Sa cohérence de vie était marquante.
Depuis un an, Gilles avait trouvé la formule qui synthétisait à ses yeux la « sortie » (pour ne pas dire l’Exode) rendue nécessaire par l’impasse de la modernité : « Nous devons passer d’un monde d’objets à un monde de relations ». Cette maxime connut en lui son achèvement pendant le voyage de six mois que lui a soudainement imposé la maladie. Douloureuse et féconde transformation personnelle, ce fut comme sa descente en humanité. En écho à ceux qui parlaient de lui comme d’un roc, il nous avait confié d’emblée : « Je ne suis plus Gilles le solide. Je suis fra-Gilles ». Et ce nouvel état – malgré tout ce qu’il lui coûtait – l’avait comme transfiguré. Il en avait conscience, se disant prêt à toute hypothèse, de guérison ou non. Son épouse Hélène – qui lui lisait les textes et messages qu’il ne pouvait plus déchiffrer – et leur fils Martin ont pu, jusqu’au bout, prendre soin de Gilles, goûter sa présence, sa confiance et tout son amour.
Gilles était capable de révéler à chacun qu’il était un chercheur. De ses propres expériences, il savait tirer des leçons universelles et les transmettre : face aux conséquences de « la » catastrophe (celle de Tchernobyl) qui a largement construit sa pensée – Gilles avait un jour éprouvé un douloureux sentiment d’impuissance, jusqu’à imaginer que toute son action pouvait être inutile. Sa foi chrétienne lui avait alors permis d’accéder à une double conviction : « Tu n’es pas chargé du monde… Mais ce que tu fais n’est pas dérisoire ! » Cette révélation synthétise le rayonnement de Gilles : libérateur et stimulant.
Pour chacun, pour ceux qui peinent, apparemment en vain, et aussi pour le Courant pour une écologie humaine qui lui doit tant, notre ami reste porteur d’une Espérance indéfectible : quand elle est donnée, la vie est plus forte que la mort.
Adieu cher Gilles.
Et merci pour tout !
Si vous souhaitez laisser un témoignage à propos de Gilles Hériard Dubreuil, c’est possible en cliquant sur ce lien : hommage à Gilles Hériard Dubreuil.