Sur les chemins du réenchantement #ChroniqueDuMycellium

1 Avr, 2023 | PHILOSOPHIE

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute, propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui les pistes n°17 et 18 de sa réflexion sur le « réenchantement du monde »ainsi qu’un piège à éviter.

En ces temps troublés, comment parler de réenchantement du monde ? En moi monte une réponse, une voix qui m’invite inlassablement à m’émerveiller devant les beautés et les propositions offertes par la vie, dans notre monde incarné avec son lot de soucis et de déceptions-désillusions, avec nécessairement des souffrances à traverser et des deuils à faire. Invitation et élan à vivre ce chemin, qui toujours nous amène plus loin et nous ouvre à du neuf.

Piste n°17 : joie errante

En abordant cette nouvelle chronique, je me laisse porter par ces quelques vers du poète Jean Lavoué :

Pour parvenir à écrire quelques mots
Quelques arpèges de vent
Un souffle une prière
Lâche-là tes pensées tes doutes tes ruminations
Enjambe le parapet de tes tâches inquiètes
Écoute la musique des fleurs et du silence
Et souviens-toi des arbres
De leurs saisons bouleversées

J’ai rencontré l’auteur de ces vers lorsque je me suis inscrit à un atelier en ligne de poésie qu’il animait lors du premier confinement. Ancien travailleur social, Jean Lavoué est devenu poète et éditeur, installé en Bretagne près de Lorient. Lors de cet atelier, il nous a initié à cette très belle expérience que certains appellent « vivre poétiquement le monde », au contact de quelques auteurs contemporains dont Christian Bobin, récemment décédé.

Ce faisant, j’ai découvert Jean Sulivan, grand voyageur et mystique, également Breton, dont un texte intitulé « Joie errante », porte un titre me ravit. Ce que j’ai lu de lui me rejoint en profondeur. Et je devine que cet homme, plein de flamme et de noblesse, a été souvent désemparé et parfois même dévasté avant de se retrouver. Au fond, Jean Sulivan a vécu lui aussi une histoire de désenchantement-réenchantement.

J’allais oublier : Jean Sulivan était prêtre mais je choisis d’écouter d’abord en lui l’homme en recherche qui s’adresse à nous tous en dehors de tout ministère. Dans les quelques lignes qui suivent, il nous propose cette vision, matière à méditer : « Quand un homme s’est trouvé, quand il a saisi son importance et son inimportance, il devient libre, insolent et amical, il crée, il invente son passé même et chante de sa propre voix l’alléluia torrentiel de la vie surabondante à travers bonheur et malheur ».

Piste n°18 : Printemps s’avance…

Rappelons-nous ! Il y a tout juste trois ans à la mi-mars 2020, nous avons dû nous « confiner ». Péril en la demeure ! La prudence, la sagesse et la responsabilité ont primé. Nous nous sommes résignés à rester chez nous, à renoncer à nos déplacements, souvent à télétravailler. Pour beaucoup d’entre nous, cela a été une occasion inattendue de « cultiver notre jardin » en écoutant un peu plus notre vie intérieure, en recourant à plus de créativité personnelle ou en nous concentrant sur la vie relationnelle du moment et parfois même en expérimentant une ascèse dont nous n’avions pas l’habitude.

Or le printemps s’annonçait quelques jours plus tard. Ceux qui ont été confinés à la campagne – ce qui était mon cas – ont pu vraiment profiter de cette ambiance printanière qui « envahissait » peu à peu tout l’espace. Cela m’a alors inspiré une poésie que j’ai tout naturellement intitulée « Printemps s’avance printanier ». Je sens aujourd’hui que j’y exprime cette sensation que le printemps revient… quoi qu’il arrive, qu’il soit « vert » (la plupart du temps) ou qu’il soit « noir » (quelquefois).

Oui, le printemps est là, il s’avance et nous ne pouvons l’arrêter. Le printemps est tout autour de nous, mais il est aussi en nous, ne l’oublions pas !

Alors recevons le printemps cette année encore comme un ami fidèle et de retour qui nous apporte un renouveau de vitalité.

Printemps s’avance printanier

Elégies et chansons
Alouettes et pinsons
Ritournelles sans fin
Tourterelles en chemin

Effluves et soupirs
Murmures et fous rires
Les moqueries des merles
Baroques sont les perles

Les nymphes sont sorties
Et l’azur infini
Il vente d’est en ouest
Et toujours printemps reste

Printemps s’avance printanier

Tonne soudain le printemps noir
Effroi pénombres et sombres soirs
Fracas des rêves interrompus
Douleurs et chairs endeuillées
Larmes et pleurs mis à nu

Printemps s’avance printanier

Printemps vert
Toujours si gai
Printemps vert
Si animé
Tu es frère de l’été

Printemps noir
Et si sévère
Printemps noir
Toujours austère
Tu es frère de l’hiver

Printemps vert, printemps noir
Tous venus de la nuit des temps
S’avancent innocents

Printemps vont vers terres nouvelles
Souffle mystère ciel inspiré
Printemps rêvés des asphodèles
Printemps s’avancent printaniers

Piège n°8 : « À l’abri, sur ma montagnette »

Pour terminer cette chronique, je vous propose un piège qu’il vaut mieux éviter sur nos chemins du réenchantement.

Connaissez-vous Félix Leclerc, ce « troubadour québécois », chanteur, chansonnier, poète nationaliste, souvent révolté et provocateur, témoin d’une époque déjà ancienne bien agitée elle aussi ?

Rédigeant cette chronique, m’est revenue soudain en mémoire une vieille chanson de lui où il est question d’une maison perchée sur une montagnette, dont le propriétaire croit s’être protégé de tous les périls. Cependant, son abri ne l’empêche pas d’avoir constamment peur ! Alors il doit tout le temps se « remonter » et se rassurer. Il me fait un peu penser à l’avare de Molière, devenu obsessionnel. N’avons-nous pas tendance parfois à faire inconsciemment de même ?

Bien sûr, nous avons tous légitimement besoin de paix et de sécurité. Mais si dans notre vie courante nous « restons à l’abri sur notre « montagnette », nous nous coupons du monde et, pire, nous risquons de favoriser le développement d’un monde égoïste, individualiste et plus que probablement anti écologique, un monde qui restera « désenchanté ».

Alors laissons l’ami Félix chanter avec drôlerie et dérision « La montagnette » :

La montagnette (extraits)

Nonante septante
Fondue des Saint-Bernard
J’arrose ça le soir avec un p’tit cruchon
Coucou la dent du lion
J’suis à l’abri des bombes dans ma jolie maison

tou ta di toutou ta di toutou toutou tou pitipou pitipou tarla

Nonante septante
Fondue des Saint-Bernard
Coucou la dent du lion
J’suis à l’abri des bombes dans mon tombeau de plomb

Préférons-nous nous protéger dans un « tombeau de plomb » ou nous exposer à ciel ouvert en travaillant à prendre soin de notre « maison commune » et parfois à la rebâtir? 

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Pour terminer, je tiens à rendre hommage à Gilles Hériard Dubreuil, l’un des trois initiateurs du Courant pour une écologie humaine. Sans lui, sans eux, cette chronique et de très nombreuses autres initiatives n’auraient pas vu le jour.


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