Le bûcher des illusions #CoupDeCœurlecture

21 Sep, 2023 | ART & CULTURE

Ce mois-ci, la maison des bouquins donne la parole aux plus vulnérables, ceux qui se sont engagés dans le mouvement des Gilets Jaunes, ceux qui sont invisibles, à la périphérie de notre société. Le bûcher des illusion, écrit par Frédéric Brunnquell est paru le 30 août 2023 aux éditions Albin Michel.

Le bûcher des illusions : l’histoire

« J’ai vécu des mois avec ces personnes. J’ai essayé de les comprendre. Tous m’ont ému. Je me suis pris à extrapoler leurs vies pour leur accorder le droit au romanesque. Il était une fois… »

Enfin ils parlent. Ils osent exposer leur ressentiment, s’ouvrir aux autres, sortir le mal-être de leurs tripes. Un courage collectif leur permet de partager leurs faiblesses, dévoiler ces sentiments jugés honteux et trop longtemps refoulés.

Depuis des années, ils vivent arc-boutés contre une société idéalisée de winners individualistes qu’ils ont chacun, à un moment de leur vie, espéré rejoindre. Les plus aisés ont construit des piscines et acheté des voitures, les plus pauvres espèrent des logements sociaux et beaucoup d’entre eux croulent sous les dettes des crédits à la consommation.

Ce jour-là, sous le toit en bois de palettes recyclées, les masques tombent.

Le bûcher des illusions : l’avis d’Anne

“Enfin quelqu’un qui parle d’eux.
Pas de château
Pas de Rolex
Pas de chauffeur
Et pas de vacances au bout du monde non plus…

Venez faire connaissance avec ceux qui rament au quotidien, qui vivent sur le fil du rasoir, qu’un tout petit pas de côté ferait tomber dans la précarité et qui pourtant – pourtant – infiltrent l’espoir, les solutions et l’énergie pour se battre jour après jour avec la volonté de s’en sortir.

L’auteur aime “les gens” : ceux qui attendent le bus au même arrêt que vous, achètent leur pain dans votre boulangerie habituelle, vous servent une bière au café du coin… Et comme son métier, c’est de créer des documentaires, eh bien il les a interrogés ces inconnus, a sympathisé, puis a écrit des micros romans à partir de leurs vies respectives.
Voilà : des invisibles entrent en littérature comme des héros.

Chapeau Monsieur Brunnquell votre livre m’a beaucoup émue.”

Le bûcher des illusions : extrait

“(…) Lydie serre fort la main de Francine et se lève à son tour. Elle tremble. Elle commence à raconter son histoire avec une petite voix :

– Je m’appelle Lydie, j’ai quarante-huit ans. Je ne travaille plus depuis cinq ans à cause d’une spondylarthrite ankylosante. Une saloperie qui me détruit les articulations. Dans une dizaine d’années, je ne pourrai plus marcher. La sécu m’a placée en invalidité et me verse une allocation qui me permet tout juste de vivre. Si je travaille, ne serait-ce que quelques heures par semaine, la CAF applique un abattement et je perds l’essentiel de mon allocation. La société me maintient en vie mais me condamne à la pauvreté. Dans les supermarchés, je regarde toujours les produits en bas des rayons. Je suis destinée à la marque Repère, aux poulets sous vide à 1,50 euros, aux baguettes à 30 centimes, aux pommes chimiques. Condamnée à manger de la merde, et à mourir plus vite encore.

J’ai compris que si je voulais m’en sortir, je devais inventer ma survie. Alors je me suis mise à visiter les maraîchers des environs. Je leur achète pour quelques centimes les légumes les plus moches, les fruits tordus, les volailles abîmées. Et je les cuisine, je les cuisine, j’en fais des conserves pour l’hiver, des confitures et puis je fais mon pain. Avec une machine à coudre héritée de ma mère, je répare les fringues des copains. J’assemble des édredons avec des chutes de tissu, que je vends sur les brocantes. Je ne vous dis pas que c’est la belle vie, mais je reconstruis ma dignité. Et je crois que nous en sommes tous là, chacun avec une histoire différente, à vouloir nous battre pour retrouver notre fierté. Mais nous avons beau le crier et le hurler, personne ne le comprend. Militer avec vous, tenir l’épicerie à mi-temps avec Francine, me redonne de l’espoir. Je le paie cher en douleurs, toutes les nuits mon corps hurle. Mais je vis plus heureuse et tellement moins seule depuis que les Gilets jaunes occupent les ronds-points.

Pendant que Lydie parle, la cabane se remplit de monde. Francine pleure en regardant son amie. On se promet de poursuivre toutes les après-midi ces prises de parole tant elles font du bien.”

À propos de l’auteur

Frédéric Brunnquell a commencé sa carrière à Radio France, puis a été pigiste une dizaine d’années au cours desquelles il a écrit plusieurs livres. Il a travaillé 12 ans de 1996 à 2008, comme grand reporter à l’agence de presse CAPA où il a réalisé de nombreux reportages en France et dans le monde. Il est depuis 2012 auteur réalisateur indépendant. Ses films ont été primés et en sélection dans de nombreux festivals. Il a publié Hommes des tempêtes, en 2021 aux éditions Grasset.


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