François Leprince est bronzier d’art. Il raconte sa reconversion à l’artisanat d’art, à 40 ans, les spécificités techniques de son métier et le bonheur qu’est de créer du beau. De quoi être transporté !
Retrouver l’étincelle
François Leprince : “Je suis ingénieur de formation et artisan depuis 20 ans – et très content de l’être ! Après quinze années à travailler dans le luxe dans une multinationale, je me suis posé la question de mes évolutions. Jusqu’alors, mon travail consistait principalement en de l’organisation et de la gestion et là, subitement, je n’y trouvais plus de sens. Il manquait une dimension… Mais laquelle ?
Grâce à un ami, j’ai fait la rencontre d’une personne qui avait créé une fonderie d’art en Auvergne. Et en faisant la visite de son atelier, je suis tombé fou amoureux d’une coulée ! Elle m’a évoqué des souvenirs d’adolescence, au musée Rodin, à Paris, où se trouvait une petite vitrine qui expliquait la réalisation d’une fonte, à partir d’un modèle jusqu’au moule, la coulée, ciselure et la patine…
Ce processus me paraissait magique. Lors de cette visite, j’ai retrouvé cette étincelle, une vibration en moi. J’avais beau avoir quarante ans, je me suis dit : pourquoi pas ?
Et changer de vie professionnelle
J’ai travaillé 7 mois durant pour cette fonderie, dans une mission d’organisation et de sourcing. J’en ai profité pour me mettre à l’établi : sensations incroyables ! Travailler la cire, ciseler, souder, patiner. Au bout de ces quelques mois, j’ai décidé de lancer mon entreprise.
Si j’étais habile de mes mains, je n’avais jamais fait de commerce de ma vie et j’étais encore loin d’être expert dans ce métier ! Ma femme a paniqué, me traitant de fou ; nous avons convenu d’un délai d’un an pour que mon travail devienne rentable…
Il ne me restait qu’à turbiner à fond ! J’ai fait des kilomètres de ciselure, de soudure. En néophyte complet, je ne m’interdisais aucune expérimentation, je voulais tout découvrir. Progressivement, j’ai compris ce qui marchait ou pas. À force d’avancer, la qualité de mon travail et mes temps de production se sont améliorés ; ça m’a permis d’accéder à des marchés.
Et après deux ans de labeur passionné, j’étais en mesure d’être en compétition avec les plus grosses fonderies d’art françaises !
Deux types de bronziers
Il y a principalement deux types de bronziers. Certains sont spécialisés dans la statuaire, et d’autres, comme nous, dans le mobilier. Les techniques de fonderie varient quelque peu d’une métier à l’autre.
Le mobilier requiert une grande rigueur sur les zones d’assemblage car le mélange de matières y est très fréquent et chacune a ses contraintes propres. Les bronziers statuaires, quant à eux, seront beaucoup plus subtiles sur les patines. Dans notre métier, on tourne principalement sur des noirs, bruns, verts, sans plus de profondeur que cela, généralement pour des questions de coûts.
Les étapes de création d’un bronze d’art
Le métier de bronzier d’art consiste à développer des objets ou des sculptures à partir d’un modèle, plan, fichier numérique en trois dimensions. En général, les bronziers et fondeurs d’art ne sont pas à l’origine de la création des objets.
Nos clients sont des décorateurs, des designers, des artistes. Notre travail est de décomposer les éléments voulus par nos clients en éléments simples. Nous devons savoir d’emblée comment intégrer l’ensemble des matières qui vont intervenir dans la réalisation des objets – cuir, miroiterie, électrification, ébénisterie… – Ces matériaux présentent des contraintes de mise en œuvre particulières.
Une fois que nous avons développé les modèles de fonderie pour une réalisation, on lance les opérations de moule. On coule le métal dans les moules puis on enlève la gangue – en plâtre ou en sable – qui entourait le métal. On décoche l’ensemble et on obtient un brut de fonderie. Ce brut est un matériau qui comporte trous, barres, gerces, zones de non-venue. On peut couler un visage auquel le nez manque, par exemple !
Avec le brut de fonderie, on en est à 30 ou 40 % du processus, en fonction de la complexité de l’objet. Après, on ébavure, on ponce, on recisèle en refaisant une matière sur le métal. Le but est de retrouver sur la peau du métal une belle nervosité, quelque chose qui corresponde au modèle voulu par l’artiste créateur. Ensuite, on assemble et on patine. C’est à cette étape-là que l’on passe de petits éléments à des pièces qui peuvent atteindre trois ou quatre mètres de haut.
Devenir bronzier
Il y a quelques formations en France pour devenir bronzier ou fondeur. Le nombre de ces formations diminuent, cependant. Le savoir se transmet beaucoup par les équipes en place – l’apprentissage joue un rôle important, on devient bronzier comme on peut devenir charpentier ou céramiste ; d’où l’importance de mettre en place un système de gestion des connaissances pour éviter leur perte au moment où les anciens partent à la retraite.
On vient souvent dans ce métier par attrait de la matière. On aime le bois, la terre… Moi, j’aimais le métal, le feu. J’étais particulièrement passionné par le processus de transformation à partir d’éléments de base. On peut trouver du sable avec des propriétés particulières qui va avoir un rendu unique. Et puis, il y a la conduite du feu. Comment amener les métaux en fusion à 1200 degrés ? Comment transférer le métal dans les moules ? Et toutes les techniques déjà mentionnées ci-dessus qui font la particularité et l’attrait du métier.
Les qualités nécessaires pour devenir bronzier d’art
Être bronzier d’art requiert courage et persévérance. Nous travaillons en moyenne une semaine sur chaque pièce. Si on laisse passer un petit défaut en début de processus, par une forme de lâcheté, ce défaut perdurera jusqu’au rendu final. Il faut le courage de revenir en arrière et recommencer plutôt que d’avancer en faisant semblant d’ignorer ce défaut. Chaque erreur – si minime soit-elle – se voit. Nos clients attendent une pièce unique et mettent le prix pour l’acquérir. Nous n’avons le droit qu’à l’excellence.
Il faut aussi de l’humilité. Il nous arrive de nous tromper, on ne sait pas tout. Nous travaillons un métal, une matière froide. On peut penser qu’elle est inerte mais en réalité, elle vit sous nos outils, elle résiste.
Sur une coulée, comprenez qu’il y a 1200 paramètres techniques à maîtriser. Les meilleurs fondeurs industriels en maîtrisent environ 250. Nous, artisans, n’avons pas d’outils de simulation, nos pièces sont souvent uniques. C’est grâce à l’expérience que nous pouvons déterminer la meilleure méthode à suivre, mais notre maîtrise est bien moindre. Cela laisse une grande part au hasard. Il faut donc être capable de compenser et corriger à l’établi. Cela requiert une vraie habileté, une curiosité et expérience capitale à acquérir et à transmettre.
Quand on oublie le Fordisme et que la fierté nait
Il y a une spécificité dans mon entreprise, c’est que je pousse à la polyvalence totale. La personne qui commence une ciselure sera celle qui terminera la pièce à qui elle est confiée. Cela veut dire que chaque pièce n’aura pas le même rendement économique et que chaque action ne sera pas effectuée par la personne la plus compétente dans ce domaine.
Ce que j’y vois de bénéfique, c’est que chacun participe à chaque étape du processus et tirer de la fierté de son travail. Quand on va visiter une galerie à Paris avec toute l’équipe, chacun peut identifier une œuvre personnelle, c’est une immense source de fierté individuelle !
Créer du beau, un acte quasi spirituel
Évidemment, tous les objets qui passent dans mon atelier ne suscitent pas forcément chez moi un intérêt particulier. Mais certains me procurent un réel plaisir de par leur esthétique qui touche parfois à la perfection. Lorsque, derrière l’objet, je détecte une réflexion qui suscite une sorte d’émerveillement, une évidence, cela m’enchante !
Une pièce d’art apporte quelque chose de beau qui traduit un équilibre interne, une harmonie. L’art apporte une sérénité à ceux qui peuvent l’admirer. Des pièces de l’ordre du design de la vie courante peuvent être très belles. Mais une belle pièce d’art propose littéralement une forme d’élévation, quasi spirituelle.
Un exemple pour vous faire comprendre : il y a deux ans, je visitais la cathédrale de Saint-Malo ; j’y ai vu des peintures extraordinaires. Il s’agissait d’une oeuvre d’Augustin Frison-Roche. J’ai été happé par l’or, les bleus, les rouges profonds. Je me suis senti emporté dans une communion de sens, dans une autre réalité ; c’était extraordinaire.
Pour l’humanité, cette recherche est primordiale ; celle d’un mode d’expression qui nous transporte.
Une fierté personnelle
L’une des pièces dont je suis le plus fier est un mobile : 100 kilos de métal qui flottent dans l’espace. Il s’agit d’un escalier hélicoïdal qui démarre d’une maison cylindrique, fermée, créée dans une splendide céramique bleue et blanche fabriquée par une artiste anglaise.
Progressivement, l’escalier hélicoïdal traverse d’autres maisons circulaires de plus en plus larges avec des ouvertures de plus en plus importantes. Finalement, on atteint une ouverture vers l’infini, avec des nuages de céramique qui flottent dans l’espace. Le tout doré avec de vieilles techniques de dorure au feu. Cela représente des centaines d’heures de travail en coordination avec l’infographiste, le concepteur de la pièce et mon équipe.
Le principal challenge était de comprendre comment assembler une telle chose en suspension. Chacun, dans l’équipe, avait sa suggestion. Finalement, l’équilibre vient comme une évidence, avec la pureté d’un geste, d’un calage. Cela exige d’essayer sans relâche.
Il ne faut jamais se dire “on ne m’a pas appris, je n’ai jamais vu ça” et s’interdire de réaliser ce qui parait impossible à première vue. Au contraire, sachons nous projeter, imaginer où l’on veut atterrir, ce que l’on veut être capable de réaliser. Et lorsque des difficultés émergent, il faut savoir se poser les bonnes questions, même si les solutions ne sont jamais évidentes. Par contre, une fois qu’on a identifié les vrais problèmes, les réponses peuvent venir assez naturellement. Le plus important est de ne pas avoir peur et d’oser rêver.
Travailler avec tout son être
Je ne pense pas que ma vocation d’artisan soit venue par réaction à mon ancien travail qui comportait une grande part de travail purement cérébral. Néanmoins, avec la fonderie, j’ai brusquement senti que je pouvais combiner des sensations physiques de toucher, d’ouïe, de vision, de beauté, à une capacité de réflexion. Tout était enfin uni : mes sens, mon intellect et une pratique manuelle à laquelle tout le corps participe.
J’aime dire à mes collaborateurs qu’ils ne sont pas de la main d’œuvre mais des cerveaux d’œuvre ; j’attends d’eux qu’ils expérimentent et mettent leur intelligence en pratique, en combinant contraintes de la matière, maîtrise des outils pour satisfaire au mieux les attentes de nos clients. Une telle attitude, me semble-t-il, fait grandir.”