Accueillir un enfant porteur de handicap

21 Nov, 2023 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ

Aude Garnier est la maman de Timothée. Elle raconte le parcours, pas toujours simple, d’une mère à qui l’on annonce que son enfant à naître est particulièrement vulnérable et probablement porteur de handicap ; défis, obstacles, blessures mais également joies et lumières du quotidien d’un proche aidant. Un témoignage bouleversant.

Mère et aidante d’un enfant exceptionnel

Aude Garnier : “J’ai 40 ans. Je suis la maman d’un petit garçon extraordinaire de cinq ans, Timothée. Mon mari – Thibaut – et moi savions dès la grossesse qu’on avançait vers un enfant qui ne serait pas comme les autres. Il souffrait déjà d’une cardiopathie. À sa naissance, il nous a fait la surprise d’arriver avec une trisomie 21 ainsi qu’une surdité aux deux oreilles qui a été diagnostiquée progressivement, puis infirmée après de nombreux rendez-vous médicaux !

En apnée, la première année

J’ai vécu en apnée la première année de vie de Timothée : plus de 400 rendez-vous médicaux pour surveiller son cœur, ses oreilles et toutes les surprises apportées par la trisomie 21.

Cette année était d’autant plus stressante que le cardiologue m’avait donné deux instructions : il fallait éviter que Timothée pleure avant l’opération programmée pour soigner sa cardiopathie – car son cœur était trop fragile pour le supporter ; il ne fallait pas non plus qu’il tombe malade pour éviter des complications pulmonaires, ce qui signifie qu’il fallait éviter les transports en commun, les contacts avec les familles ayant d’autres enfants fréquentant une collectivité, quelle qu’elle soit, etc. Énormes contraintes au quotidien !

J’ai donc vécu cette première année comme un marathon, en ne voyant que la ligne d’arrivée : l’opération du cœur. Je pensais qu’après cela, je pourrai respirer.

Changer de perspective et passer en mode “ultra trail”

En réalité, quelques jours après cette fameuse opération, il y a eu des complications. Timothée s’est mis à souffrir régulièrement de laryngites sévères qui dégénéraient en détresse respiratoire en l’espace de quelques minutes, obligeant à plusieurs reprises la présence du Samu en urgence pour le réanimer.

Là, j’ai eu une prise de conscience : j’avais vécu une première année très dense. Mais ça n’était finalement pas un marathon. L’opération n’était pas la ligne d’arrivée espérée – même si c’était déjà un énorme soulagement d’avoir ce risque de problème cardiaque en moins. J’ai commencé à envisager la vie comme un ultra trail avec des hauts, des bas, et surtout des pauses salvatrices pour se reposer et se ressourcer.

Voir la trisomie 21 autrement

Accueillir un enfant porteur de handicap dans sa famille peut faire peur ; on parle souvent des difficultés, moins des bonheurs qui en résultent. Or, je peux témoigner que Timothée nous apporte énormément de joie. Les personnes qui rencontrent Timothée le qualifient de rayon de soleil. Avec mon mari, on sent qu’il nous a donné notre mission sur Terre ; grâce à lui, nous n’aurons probablement jamais de crise de sens !

J’ai entendu dire qu’en Egypte antique, on considérait les enfants avec une trisomie comme des surdoués du cœur ; ils étaient vus – m’a-t-on raconté – comme une bénédiction pour les familles. Cette idée ne m’a pas lâchée. Notre petit Timothée est bel et bien surdoué du cœur, il a une forme d’intelligence relationnelle et émotionnelle hors normes.

Être aidante

Aujourd’hui, une personne sur six est en situation d’aidance en France et cela ne va cesser d’augmenter dans les prochaines années. C’est donc un enjeu de société et de santé publique. Être aidant, c’est accompagner un proche qui est malade, en situation de handicap ou en perte d’autonomie.

Si je me réjouis de voir toutes les avancées qui se passent dans le champ du handicap, je note tout de même qu’il y a un gros trou dans la raquette : l’accompagnement des aidants. Ce sont pourtant ces derniers qui permettent aux personnes en situation de handicap d’avancer.

Ma première année d’aidance, j’ai dû arrêter de travailler. Cela a été un cauchemar financier. J’avais le droit à quelques 43€ par jour de la CAF pendant trois ans. Au-delà de cette période, si l’on ne peut pas déclarer de nouvelle maladie, le congé de présence parentale s’arrête…

Autre exemple qui illustre le fameux “trou dans la raquette” évoqué : ce congé de présence parentale était la période où j’avais le plus besoin d’une mutuelle. Mais malheureusement, ce statut ne me permettait pas d’avoir recours à ma mutuelle employeur…

Aude Garnier et son fils Timothée, dont elle est aidante

La charge mentale des aidants

Aider les aidants à supporter leur charge mentale est primordial. J’ai vécu un tournant lors de notre premier rendez-vous à l’Institut Lejeune. C’est une structure spécialisée dans l’accompagnement des familles concernées par la trisomie 21. On sortait d’une année particulièrement compliquée – vous l’aurez compris ; le professeur qui nous a accueilli s’est d’abord adressé à mon mari et moi – en fonction du temps restant, il prendrait un moment avec Timothée – en nous demandant comment on allait.

Pour les accompagnants de cet institut, les aidants sont la priorité car ils considèrent l’écosystème familial comme absolument nécessaire à l’accompagnement du handicap.

Je venais de beaucoup donner et j’avais besoin de retrouver un équilibre ; mon interlocuteur m’a encouragée à reprendre un travail, sans culpabiliser, et à laisser mon enfant s’adapter à mon rythme et à celui de la société plutôt que l’inverse. C’était très important pour moi d’entendre que mon fils avait besoin de parents qui allaient bien. Aujourd’hui, je confirme que mon travail est une bouffée d’oxygène qui m’apporte de la légèreté au quotidien.

Être aidante et travailler en entreprise : c’est possible

En tant qu’aidant, on a avant tout besoin de flexibilité sur le plan professionnel : pouvoir aménager nos horaires autour de rendez-vous médicaux, par exemple ; et obtenir un temps partiel car la prise en charge reste chronophages. Mais aujourd’hui, cette question du temps partiel est difficile à aborder en entreprise.

3/5 aidants ne se déclarent pas à leur employeur, voire 3/4 d’entre eux selon d’autres sondages. Si, à l’échelle de la société, nous luttons contre la discrimination des personnes en situation de handicap, je remarque une discrimination vis-à-vis des aidants dans le monde du salariat… Cela étant dit, savoir si l’on se confie sur sa situation à son employeur, et comment, reste évidemment un choix à prendre chacun à son niveau.

Suite à mon entretien à l’Institut Lejeune, j’ai osé imaginer reprendre un temps complet dans un travail inspirant pour moi. J’ai donc passé des entretiens pour ce type de poste. L’un d’entre eux m’a particulièrement intéressée. Lors de l’entretien final, j’ai mis sur le tapis ma vie personnelle et leur ai expliqué que je ne pourrai certainement pas aller au delà d’un 80 %. J’ai alors senti que mon employeur prenait toute la mesure de ce que je pouvais vivre au quotidien et qu’il était prêt à m’offrir toute la souplesse dont j’avais besoin pour bien faire mon boulot, tout en assurant mon rôle d’aidante au mieux.

Devenir parent et aidante

Quand on est parent d’un enfant en situation de handicap, il est primordial de savoir s’écouter : qu’est-ce qui va vraiment me permettre d’avancer ?

Ainsi, j’ai vite senti la différence entre les médecins qui me donnaient des ailes, de chez qui je repartais chargée d’énergie positive, et ceux que j’allais voir le ventre noué ; certains médecins ne sont pas à l’aise avec la question du handicap, ça les renvoie à quelque chose de trop difficile et ils nous le renvoient de plein fouet. Il faut savoir faire des choix pour s’entourer de ceux qui nous correspondent.

Ce n’est pas un conseil facile à suivre. Quand on met un pied dans une structure qui a parfois une longue liste d’attente, on se sent chanceux d’y accéder. Pourtant, une fois dedans, on peut prendre conscience que ce n’est pas ce qui nous convient ; j’ai appris à oser dire non et essayer autre chose.

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Accepter d’être aidé

Au début, avec mon mari, on était tellement heureux d’avoir un enfant à la maison qu’on ne voulait pas se rapprocher d’associations liées à la trisomie 21. On voulait juste profiter de notre bébé. Puis en entrant dans cet écosystème du handicap, on s’est rendu compte que les couples aidants pouvaient être mis à rude épreuve dans la durée… Nous avons pris la conscience de l’importance d’accepter l’aide que d’autres peuvent nous apporter.

L’une des choses qui me semblent dures est d’oser demander de l’aide, oser accepter que d’autres nous donnent, en sachant pertinemment qu’on ne pourra probablement jamais leur rendre en retour. Un exemple : on a plusieurs amis qui nous ont gardé Timothée le temps d’un week-end pour que l’on puisse prendre du temps en couple. même si l’on sait qu’il y a peu de chances qu’on puisse leur rendre la pareille, on accepte volontiers ce beau cadeau pour notre couple.

Enfin, j’ai tendance à être assez exigeante ; je peux avoir tendance, le soir, à faire la liste des choses que je n’ai pas faites… Or, il est important d’entretenir une vraie bienveillance envers soi-même ! Aujourd’hui, j’ai décidé d’être plus dans une optique de me féliciter pour ce que j’ai fait et de m’en réjouir. C’est une attitude à cultiver.

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Une expérience humaine à l’OCH

L’Office Chrétien des personnes Handicapées (OCH) accompagne magnifiquement les familles. J’ai découvert l’OCH par la journée des mamans, une journée où l’on prend vraiment soin de nous. Il y avait des témoignages, des ateliers de chant, de colorimétrie…

Quand on est aidante, il y a un risque d’auto-isolement. On a peu de temps à accorder aux autres et un rythme assez dense. Avoir un quotidien différent des autres suffit pour se mettre à l’écart.

Lors de cette journée des mamans avec l’OCH, on nous a parlé d’un groupe de parole qui se rejoint un soir par mois. C’est un rythme qui me convient. Parler avec des mères d’enfants différents m’aide beaucoup à être moi-même. Entre nous, on a une compréhension naturelle qui allège la conversation.

Grâce à Timothée, j’ai découvert le monde du handicap qui est un monde d’entraide et d’inspiration magnifique. C’est un milieu à contre courant de la société qui prône la performance. Là, on trouve la beauté dans le plus vulnérable, le plus fragile.

Être maman d’un enfant porteur de handicap

Être mère d’un enfant porteur de handicap est un cadeau bouleversant. C’est un chemin de vie qui me remet sur les vraies priorités. Bien sûr, nos difficultés sont plus marquées que dans d’autres familles, mais nos joies aussi sont décuplées. Et le ratio final est largement positif !

Quand j’étais enceinte, on a eu un rendez-vous avec un service de génétique qui nous a dit que les enfants avec une trisomie 21 peuvent faire beaucoup de choses “comme les autres”, mais “en mettant plus de temps que les autres”. Cette définition nous a donné des ailes, elle a ouvert toutes les portes.

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Commencer par s’aider soi-même : l’image de l’hôtesse de l’air

Je voudrais partager une image qui m’aide beaucoup au quotidien. Quand on prend l’avion, l’hôtesse de l’air annonce les mesures de sécurité :

«En cas de dépressurisation de la cabine, les masques à oxygène tomberont automatiquement à votre portée. Tirez le masque vers vous pour libérer l’oxygène. Maintenez-le fermement sur votre visage, et respirez normalement. Si vous voyagez avec un enfant ou une personne ayant besoin d’assistance, mettez votre masque en premier puis aidez l’autre personne à ajuster le sien».

Cette image m’aide à ne pas me sentir égoïste quand je prends soin de moi. C’est même le premier enjeu, de me sentir bien pour être dans les meilleures conditions pour aider mon enfant toute sa vie.

Le double rôle de proche aidante

Je pense qu’il est important de réfléchir au sens de l’expression – presque antinomique – “proche aidant”. On est proche parce qu’on est le parent, l’enfant, le conjoint, on est là pour donner de l’amour. L’aidante représente le volet technique, le côté infirmier, la coordination de soins, le suivi des prises en charge.

Ce n’est que très récemment que j’ai eu une prise de conscience sur ces deux rôles. J’ai compris que j’étais proche avant d’être aidante. J’avais besoin de me rappeler que ma première vocation c’est d’être la maman de Timothée. Quand on enchaîne les rendez-vous médicaux, qu’on nous abreuve d’injonctions et de conseils techniques, on finit par passer la journée à être aidante sans se sentir proche. N’oublions pas que nous sommes parents avant tout.”


Découvrez la version podcast : La vie cachée des proches aidants – Aude Garnier

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