Si le temps de Noël est celui des « belles histoires » édifiantes, le monde des affaires a les siennes qui peuvent l’être d’une autre manière. Par exemple celle de WeWork. Par Pierre-Yves Gomez, économiste et co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.
WeWork : l’éclat du succès
L’entreprise est fondée en 2010 par Adam Neumann et Miguel McKelvey qui anticipent un bouleversement radical de l’organisation du travail : le coworking. Ils proposent de louer des espaces modulables aux entreprises qui les utilisent à leur convenance et à leur rythme. Ces espaces partagés entre différentes sociétés et startups font cohabiter, dans une ambiance détendue, des salariés et des entrepreneurs individuels de divers horizons et cultures.
Le coworking devient tendance. Analystes financiers et gourous du management prédisent que les organisations « de demain » doivent extérioriser les postes de travail (des cadres) pour rester « agiles » et perméables aux innovations. Les académiques théorisent les bienfaits des précieux bouillons de culture et d’idées créatives émergeant des espaces partagés. La machine culturelle à soutenir des rêves tourne à plein.
Le succès de WeWork est alors prodigieux. En moins de dix ans, sa valorisation atteint 49 milliards de dollars. Au sommet de sa gloire, elle emploie 8000 salariés sur plus de 500 sites dans le monde. Le taux de remplissage de ses bureaux est de 75 %. Adam Neumann, son charismatique et excentrique patron, est écouté comme un mage. Les marchés et le public raffolent de belles histoires.
WeWork : l’étoile filante
Hélas, la réalité économique est moins euphorique : en 2019, les pertes de l’entreprise atteignent 1,9 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de seulement… 1,8 milliards. Durant la décennie, l’entreprise n’a fonctionné que par des levées de fonds successives. 13 milliards ont été injectés, le conglomérat japonais Softbank en a apporté à lui seul 9 en 3 ans.
L’étoile de WeWork s’éteint. Prévue en 2019, son introduction en bourse doit être ajournée jusqu’en 2021. L’activité existe, mais elle n’est pas rentable. Adam Neumann est limogé (avec une jolie prime). La valeur du titre tombe à 2 milliards de dollars en 2020 et n’est plus que de 45 millions en novembre 2023, quand l’entreprise dépose le bilan.
WeWork : la roue de la fortune
Près de 50 milliards de dollars se dissipent en 36 mois. Par quel enchantement les investisseurs et les épargnants ont-ils pu absorber une telle perte ? Précisément par la magie des belles histoires qui attisent la spéculation. Celle, finalement triste, de WeWork n’en est qu’une parmi d’autres qui ont permis, dans le même temps, des valorisations d’actifs spectaculaires grâce à d’autres promesses d’énormes marchés potentiels. Les espoirs de gains qui gonflent ici (comme désormais avec l’intelligence artificielle) font oublier ceux qui sont déçus ailleurs. À moins que trop de bulles n’éclatent en même temps et que ce soit la fin des illusions.
En attendant, les enthousiasmes qui agitent le monde des affaires se relayent et les performances financières demeurent globalement positives. Il importe seulement de ne pas détenir trop d’actifs d’une entreprise si sa belle histoire prend fin, comme le constate amèrement le fonds Softbank, lui-même en difficulté financière.
Mais la hotte du Père Noël semble inépuisable. Adam Neumann (dont la fortune personnelle est évaluée par Forbes à 2,2 milliards de dollars) a lancé en 2022, une nouvelle start-up, Flow. Son modèle d’affaires n’est pas encore clair mais elle a levé 350 millions de dollars auprès d’un fonds californien, qui la valorise déjà 1 milliard de dollars… Un nouveau conte en perspective…
Et pendant ce temps…
Mais tandis que Wall Street s’ébahissait des performances à venir de WeWork, en France, un docteur urgentiste, Paul Dardel, fondait Le Bon Samaritain, une association visant à combattre la mortalité liée aux détresses vitales. Son constat : 50.000 décès sont dus, chaque année en France, à un arrêt cardiaque. Or les premières minutes sont décisives et des milliers de vies peuvent être sauvées si les bons gestes sont pratiqués très rapidement. L’objectif de l’association est donc de diminuer le délai entre la survenue de l’arrêt cardiaque et une réanimation efficace. Ses moyens : un réseau de 300.000 volontaires, une application Staying Alive localisant les appels de détresse, les bénévoles à proximité et les milliers de défibrillateur localisés sur le territoire.
Le Bon Samaritain est financé pour un montant de 120 000 euros par an par un simple fonds de dotation à but non lucratif auquel contribuent des particuliers, des entreprises et des mutuelles (dont la MAIF pour 80 000 euros). Les dons servent au déploiement du service sur tout le territoire national.
Sobre miracle
Dans la nuit du 10 septembre 2023, l’action de WeWork est au plus bas quand, à Combourg en France, la petite Aëlia, 3 mois, pousse un cri et cesse de respirer. Atteint d’une anomalie, son cœur s’est arrêté. Le SAMU est alerté. En attendant son arrivée, il est demandé à la maman de réaliser comme elle le peut un massage cardiaque.
Mais très rapidement, un homme se présente à la porte, en claquettes et pyjama. C’est Guillaume qui habite à 6 minutes. Bénévole au Bon Samaritain, il a été alerté sur Staying Alive. Immédiatement, il entreprend des gestes de soins adaptés au nourrisson en attendant les pompiers et le défibrillateur. Puis le SAMU prend en charge la fillette. Elle est sauvée. Comme quelques milliers de vie chaque année dans les mêmes circonstances.
Guillaume Ruelleux est aide-soignant aux urgences du CHU de Rennes et pompier volontaire à Combourg. Il n’a pas gagné des milliards, il n’a pas défrayé la chronique par ses frasques, il n’a pas imaginé la révolution managériale fabuleuse de demain. Il a eu la bonne fortune d’être présent au bon moment. Pour la famille d’Aëlia, il est un héros discret mais bien réel.
Le fonds du Bon Samaritain n’est pas une entreprise spectaculaire, il n’a pas attiré les investisseurs les plus opulents, il ne s’est enrichi que de ses services gratuits et n’a ruiné personne.
Chacun choisit la belle histoire qui l’émerveille.
Source de l’article : https://pierre-yves-gomez.fr/cest-toujours-noel-a-wall-street/
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