Par Tiphaine Trédan, membre de l’instance de gouvernance du Courant pour une écologie humaine.
“Accélération. Accélération du rythme de nos vies. Nous courons après le temps comme le lapin blanc d’Alice au Pays des merveilles, sans jamais pouvoir le rattraper, avec cette sensation désagréable qu’il glisse entre nos doigts comme le sable du sablier. Comme un train lancé à grande vitesse qui ne voudrait plus s’arrêter.
Quelle serait la solution ? Ralentir ? Cheminer lentement au travers des paysages ? Honnêtement, qui voudrait d’un train qui va moins vite, s’il avait le choix ? Quelques doux rêveurs sans doute, mais ils sont peu nombreux.
Le vrai problème, au fond, n’est-il pas qu’il file, ce train, vers une destination inconnue, sans marquer l’arrêt en quelque gare ? Nous laissant dans l’incertitude de l’endroit où nous allons ? De l’endroit où nous nous trouvons ?
Hartmut Rosa, sociologue allemand, a conceptualisé et analysé en détail cette accélération du temps de la modernité. Loin de prôner une décélération, il propose plutôt d’être attentif aux moments de résonance de nos vies, ces moments où nous entrons en relation avec le monde qui nous entoure. Ces moments, gratuits, qui nous ressourcent profondément. Et il nous alerte sur les causes qui peuvent empêcher la venue de ces instants précieux.
Et si cette résonance était liée à l’attention ? « L’attention, miracle à la portée de tous à tout instant » écrivait la philosophe Simone Weil, considérant cette attention… avec une grande attention !
Assez parlé ; passons à la pratique car il n’est pas toujours facile de passer d’une notion – comme ici l’attention – à sa réalisation effective dans l’épaisseur de nos vies. Je vous propose un petit exercice pour ce mois-ci : lors d’un repas – pris en commun ou partagé – pourriez-vous être attentif à deux choses :
1. D’abord, au goût des aliments que vous avez dans votre assiette. Cela demande une petite mise à distance, certes, mais c’est pour la bonne cause. Quelles saveurs pouvez-vous retrouver ? Ont-ils le goût de ce qu’ils doivent être ? Ne portent-ils pas en eux tous les soins dont ils ont été entourés ? Ne sont-ils pas le signe que nous dépendons les uns des autres ? Que le travail de nos agriculteurs nous est plus que nécessaire, vital même ! C’est le propos de l’article de Périco Légasse lorsqu’il évoque l’agriculture française et l’ampleur de sa richesse pour nos papilles, nos paysages et notre fameuse cuisine.
2. Ensuite, pouvez-vous lever les yeux et regarder ? Re-garder. Garder à nouveau, celle, celui ou ceux qui vous entourent. Observez les traits de leurs visages, leurs mains, leurs yeux et ce qu’ils reflètent, leur sourire et tout ce qu’il dit. Étrange expérience que celle de se relier aux autres tout en entrant en soi. C’est ce qui fait de vous une personne et non simplement un individu. Une personne est reliée aux autres, quand un individu est seul. Voyez la belle initiative de la mairie de Paris qui propose d’être attentionnés envers ceux qui vivent plus lentement, plus isolés aussi.
Soyons attentifs, soyons attentionnés, et nous réaliserons – nous rendrons réel – que le temps, loin de s’enfuir, est le fil de chaîne du tissu de nos existences ; et que l’attention est le fil de trame qui entrelace notre vie à celle du monde qui nous entoure, laissant apparaître, au fur et à mesure, des motifs uniques et chatoyants.
Je vous souhaite donc, en cette nouvelle année, de lever les yeux et de savourer, avec des papilles gourmandes, la joie de vivre cette trépidante aventure qui vous est allouée !