Isabelle Poitou est biologiste ; elle a fondé l’association MerTerre en 2000, consciente de l’enjeu environnemental généré par les déchets abandonnés diffus que personne ne considère véritablement alors. L’objectif de MerTerre est de fédérer citoyens et associations engagés autour de cette problématique des déchets sauvages, d’analyser et catégoriser les déchets et d’en valoriser ensuite les données recueillies afin d’aider les politiques publiques à passer à l’action.
MerTerre : fédérer, centraliser, nettoyer !
En écrivant sa thèse – au Cedre, hébergée par Ifremer -, Isabelle Poitou prend conscience que le thème des déchets abandonnés diffus est un “sujet orphelin” : jusqu’alors, personne ne s’est vraiment intéressé à la centralisation des données et des savoirs concernant leur évolution sur le territoire.
Stimulée par cette faille, elle décide de fonder, en 2000, à Marseille, l’association MerTerre dont l’ambition première est d’unir les forces sur cette thématique – en centralisant notamment les données issues des opérations de nettoyages citoyennes – afin d’aider les politiques publiques à mettre en place des plans d’action.
Après un long chemin, MerTerre créé en 2019 une première plateforme de science collaborative – remed-zero-plastique pour Réseau Méditerranéen zéro plastique -, développée techniquement par le Muséum national d’Histoire naturelle et soutenue par le ministère de la transition écologique dans le cadre de sa feuille de route sur la lutte contre les déchets marins ainsi que par la région sud Provence Alpes Côte d’Azur.
En 2021, cette plateforme est déployée au niveau national sous le nom de zéro déchet sauvage (ZDS) et compte aujourd’hui 570 structures contributrices. Ce sont des outils collaboratifs – un bien commun – au service des pouvoirs publics pour agir à la source du problème.
Cette homogénéisation, ce regroupement des façons de diagnostiquer et d’évaluer les déchets, offrent un bel espoir d’union sur l’ensemble du territoire français.
MerTerre : vers l’internationalisation
MerTerre coordonne plus de 580 organisations en France métropolitaine et en Outre-Mer grâce à la plateforme ZDS. Son objectif est de sensibiliser et faire monter en compétences les acteurs engagés des territoires, en les accompagnant, notamment, dans l’application de méthodes de caractérisation des déchets.
MerTerre est également engagé dans des programmes européens, via (entre autres) le projet MARLISCO qui lutte contre les déchets marins et CAPonLITTER pour réduire les déchets abandonnés issus des activités touristiques littorales et récréatives. Certains chantiers sont également suivis à l’international où MerTerre pourrait toujours plus déployer son expérience pour outiller les pays qui en éprouverait le besoin.
Un cas concret : l’opération Calanques Propres
C’est en 1993, que l’Union Calanques Littoral et Mountain Wilderness initient la première opération de nettoyage citoyen sous le nom de Calanques Propres, qui est reprise par la Mairie d’Ensuès-la-Redonne depuis 2002 à l’occasion de leurs opérations.
En 2003, sous l’impulsion de l’association Marseille Horizon, l’idée de fédérer les structures du littoral déjà engagées depuis des années dans des actions de ramassages sous le nom de Calanques Propres voit le jour.
En 2005, MerTerre rejoint l’opération et apporte son expertise dans les méthodes de caractérisation quantitative et qualitative des déchets recueillis par les participants.
En 2008, la coordination de Calanques Propres est confiée à MerTerre et c’est entourée de ses partenaires institutionnels et privés, que l’opération s’étend progressivement de la Côte Bleue à la Ciotat et vers l’intérieur des terres (Huveaune et Aygalades), sur plus de 39 zones.
Concrètement, MerTerre diffuse préalablement une méthode de caractérisation des déchets à l’ensemble des associations participantes. Une fois sur le terrain, on propose des sacs dédiés : pour le plastique, le métal, le carton et le papier, pour le verre et les textiles.
Après le ramassage, il y a une phase de tri : on compte le volume et le poids de ces déchets. On mesure également le nombre de bouteilles en plastique, les canettes en aluminium, les bouteilles en verre, les mégots de cigarette, les gros objets… tout ce qui est facile à compter. Ces informations sont ensuite entrées dans la base de données zéro déchet sauvage. L’opération Calanques Propres a permis de tester les méthodes de caractérisation et d’utilisation de la plateforme dans le cadre de nettoyages d’envergure.
En revenant régulièrement sur les mêmes zones de collecte, on repère les points noirs – là où la concentration de déchets est la plus forte – en tachant d’en comprendre le mécanisme et aider ainsi les pouvoirs publiques à mettre en place des plans d’action pour réduire ces dépôts sauvages.
Lutter contre les déchets sauvages
8 000 000 000 tonnes de plastiques ont été produites dans le monde en 40 ans. Or, le plastique n’est pas biodégradable, il contient des produits chimiques qui sont libérés dans la nature sous l’action du soleil ; c’est donc non seulement une pollution physique mais également chimique. Les microplastiques générés se retrouvent ensuite partout, jusque dans notre sang et il est très difficile d’en débarrasser les écosystèmes.
Ce court paragraphe illustre bien le fait que quand on s’intéresse au sujet des déchets abandonnés diffus – et notamment des plastiques – on se rend rapidement compte que l’on ouvre une porte qui en ouvre de nombreuses autres derrière…
Pour lutter contre ces déchets, Isabelle Poitou a de nombreuses propositions. La première étant de s’informer et prendre conscience de la réalité du problème, en communiquant à tous les niveaux de l’écosystème social. Il s’agit ensuite d’obtenir des moyens financiers pour porter des projets de préservation de l’environnement sur les territoires. C’est ce qu’a notamment permis la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire ; les pouvoirs publics ont dorénavant et l’argent – grâce aux entreprises – et l’autorisation du système d’investir de l’argent sur des plans de lutte contre les déchets abandonnés diffus.
La lutte contre les déchets sauvage est un problème complexe ; il impose de décortiquer tous les maillons de notre système de production et de consommation capitaliste et de le modifier de l’intérieur. Pourtant, les déchets sont la pollution la plus facile à enrayer – bien plus que le gaz ou autres dégagements liquides, par exemple. Il faut donc une responsabilisation de l’ensemble du système afin que chacun trouve des solutions là où il est, via une économie vertueuse qui permet au système de s’adapter.
MerTerre, créatrice de liens
Le plus important, selon Isabelle Poitou, est de récréer du lien entre la personne et son environnement, la personne et ceux qui l’entourent, la personne et ce qu’elle consomme ; la qualité d’un écosystème résulte de la qualité de ces liens.
“L’humain fait partie d’un ensemble vivant, qu’il ne comprend pas et ne maîtrise pas, dont il n’a pas les clés ; il n’a pas le pouvoir de créer la vie ou de régler les écosystèmes. On est très chanceux que le vivant soit aussi bien fait. Nous devons retrouver cette place humble de l’Homme, au milieu de ce système naturel intelligent dont nous devons nous inspirer.
Écoutons la nature – et d’abord celle qui est en nous ; nous sommes une part de la nature, mais nous sommes de la nature consciente et éclairée grâce au travail fait par nos pères depuis des générations. Grâce à cette intelligence du vivant et ce bon sens lié à la pratique du terrain, ensemble, je pense qu’on peut réussir à relever les défis environnementaux qui s’annoncent. Retrouvons la voie du vivant et de la joie de la vie !”
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