L’architecture humaniste selon Francis Kéré – Pierre-Louis Gerlier

23 Juin, 2024 | ENVIRONNEMENT, HABITAT & ARCHITECTURE

Un architecte qui parle d’un architecte ? Pierre-Louis Gerlier raconte la belle histoire de Francis Kéré et nous fait entrer dans cette oeuvre totalement dédiée au bien-être des personnes qui en auront l’usage. Effet Wahou assuré !

“Le but de Francis Kéré n’est pas seulement de faire de la belle architecture, mais de faire une architecture au service des personnes qui vont l’occuper.”

Pierre-Louis Gerlier

À propos de Pierre-Louis Gerlier

Diplômé d’une école d’architecture (2007, École Spéciale d’Architecture, Paris), d’un master d’urbanisme (2009, Columbia University, New-York) et d’un CAP de menuiserie (2019, Lycée professionnel Léonard de Vinci, Paris), Pierre-Louis Gerlier s’intéresse tant à l’architecture dans son contexte urbain qu’aux détails – ce qui, selon lui, fait la beauté de l’architecture. En savoir plus.

Francis Kéré : une oeuvre architecturale qui pense “global”

Quand j’ai commencé l’architecture, Francis Kéré faisait partie de mes modèles. De fait, son but n’est pas seulement de faire de la belle architecture, mais de faire une architecture au service des personnes qui vont vivre avec.

Il a une approche globale, c’est-à-dire qu’il ne va pas simplement construire des espaces mais penser au bien-être des personnes, à leurs habitudes locales, à la facilité de réparation, à l’impact écologique et à l’économie d’usage qui va être générée autour du projet.

Francis Kéré

Francis Kéré, architecte africain

Diébédo Francis Kéré est un architecte africain né en 1965 à Gando, un petit village du Burkina Faso. Il a connu un double exil. Le premier lorsqu’il a dû quitter son village, à l’âge de sept ans, pour aller à l’école à Ouagadougou. Et le second quand il était charpentier et qu’il a souhaité devenir architecte. Grâce à une bourse, il a pu partir en Allemagne pour apprendre ce métier. Il obtient son diplôme à l’université technique de Berlin en 2004.

Cet architecte a conscience qu’il a eu une chance immense d’obtenir une bourse et d’étudier en Europe. Toutes les connaissances acquises, il souhaite en faire profiter au plus grand nombre, en commençant par sa communauté. C’est ainsi qu’à la fin de ses études, il créé une association pour récolter des fonds dans le but de construire une école primaire à Gando, son village natal.

L’arrière de l’école primaire de Gando

Francis Kéré : l’architecte qui s’appuie sur les ressources locales

Les spécificités du travail de Francis Kéré sont multiples.

Il y a d’abord l’utilisation de matériaux locaux ; des matériaux disponibles sur place, donc, bon marché, adaptés au climat, dont les habitants connaissent les propriétés et savent faire usage. Voilà pourquoi, en Afrique notamment, il construit beaucoup en terre ; la terre, c’est bon marché, c’est beau et c’est parfait pour une bonne inertie thermique. Cerise sur le gâteau : il y a un vrai savoir-faire local dans la construction en terre.

Un autre but de Francis Kéré est d’inclure les populations dans le projet architectural et de les faire ainsi monter en compétence. Il va donc énormément s’appuyer sur elles : via leur savoir-faire, leurs connaissances, leurs besoins. Ensemble, ils vont réaliser des tests et prototypes pour que le rendu final corresponde le mieux possible aux attentes.

On est loin du modèle où l’architecte dessine et les ouvriers construisent en suivant les ordres. Avec Francis Kéré, c’est une communauté qui se crée, dans lequel il y a un architecte et un maçon, des habitants, les futurs usagers, jusqu’aux enfants qui participent également à l’élaboration du futur bâtiment.

Sa première réalisation a donc été l’école primaire de Gondo, en 2001 – Quelques années plus tard, il a construit une bibliothèque, une école secondaire, des bâtiments pour les professeurs, etc.

Toit ondulé de l’école primaire de Gando

Focus sur l’école primaire de Gando

Quand Francis Kéré construit des bâtiments, il souhaite offrir de beaux espaces et des espaces confortables.

Enfant, il avait beaucoup souffert de sa propre école où il faisait très chaud et sombre. Voilà pourquoi, pour l’école primaire de Gando, il a créé un grand toit en tôle ondulée qui se détache du bâti pour permettre une très bonne circulation de l’air et donc éviter que ce ne soit une fournaise dans le bâtiment. Ce toit qui déborde sur l’extérieur créé aussi un préau qui offre un lieu de sociabilisation.

Un autre projet que j’aime bien, c’est la bibliothèque de Gando, pour laquelle il a utilisé les savoir-faire locaux en poterie pour créer un plafond constellé de puits de lumière.

Ce n’est pas innocent de construire une école ou une bibliothèque. Francis Kéré est vraiment un architecte humaniste. La base de son travail, c’est de transmettre tout ce qu’il a appris, de partager ses connaissances avec sa communauté et bien au-delà.

Toit de la bibliothèque de Gando
Pot en terre qui permet la lumière dans la bibliothèque

Intérieur de la bibliothèque de Gando constellé de trous de lumière

L’architecture de Francis Kéré : un art de vivre où tout est lié

Le but de Francis Kéré n’est pas purement architectural. Il va beaucoup plus loin. Comme il vient de Gondo, il connaît bien ce milieu et les besoins de la population. Quand il construit l’école primaire, donc, il va installer autour des jardins potagers ; de fait, dans ce village, les habitants pratiquent l’agriculture de subsistance. Ils cultivent donc de quoi se nourrir, eux et leur famille.

Avec le potager près de l’école, l’idée est que les écoliers apprennent des techniques agricoles vertueuses – idéalement sans engrais chimique et sans pesticide. À partir de là, ils seront responsabilisés pour transmettre ce savoir-faire à leurs parents.

La bonne idée : planter des manguiers !

Autre exemple qui démontre la réflexion systémique de Francis Kéré : au Burkina Faso, il y a un gros problème d’exploitation du bois qui a engendré une énorme déforestation ; 60 % des arbres ont disparu en quinze ans ! Sensibilisé au problème, Francis Kéré a planté des manguiers autour de Gondo.

Pourquoi des manguiers spécifiquement ? Parce que les habitants se nourrissent principalement de foufou – une pâte de millet pillé et bouilli – assez pauvre en vitamines. Les mangues vont palier cette carence. Il a proposé à chaque enfant de planter lui même son arbre et d’en être responsable.

Par ailleurs, il va utiliser le savoir-faire local des femmes en poterie pour développer des techniques agricoles peu gourmande en eau. Il a imaginé un système de goutte-à-goutte grâce à ces pots en terre positionnés à proximité des arbres ; au lieu d’arroser l’arbre tous les jours, on l’arrose une fois par semaine. Bien plus facile à entretenir !

Mais les manguiers ne sont pas encore au bout de leur peine ! Il y a un gros problème de mites dans cette région. Quand on plante des arbres, ils ont tendance à être dévorés par ces insectes. Avant de planter le manguier, il a donc proposé de creuser un trou à proximité et d’y mettre des os d’animaux pour attirer les fourmis ; ces dernières vont manger et éradiquer les mites à proximité du lieu d’implantation.

On responsabilise les habitants, on leur fournit une alimentation plus variée et on crée une potentielle économie locale ; voilà le mode de pensée de Francis Kéré : global et vertueux. L’architecture n’existe pas pour construire et s’enrichir mais pour bien vivre, en harmonie avec sa communauté et son environnement.

Pavillon de la Serpentine, Londres, Royaume-Uni

Francis Kéré : une reconnaissance internationale

Son premier projet – l’école primaire de Gando, donc – lui permettra de gagner le prix Aga Khan qui est à mon sens le prix le plus prestigieux en architecture. Ce prix récompense les architectures qui réinventent de façon moderne les savoir-faire traditionnels.

Il a gagné de nombreux autres prix dont, en 2022, le prix Pritzker, considéré par certains comme le prix Nobel de l’architecture. C’est le premier Africain à l’obtenir. S’il était déjà connu dans un certain milieu, ce prix a décuplé sa notoriété à l’international, hors du petit monde de l’architecture ; en Afrique, c’est devenu une star, un symbole !

Francis Kéré premier africain lauréat du prix Pritzker, en 2022

Il a construit l’Assemblée nationale du Burkina Faso et celle du Bénin, ainsi que le Startup lions campus au Kenya.

En Europe, il a construit la villa Serpentine de Mary Gallery à Londres, l’Exilmuseum en Allemagne, etc.

J’espère qu’un jour, il laissera aussi une oeuvre en France !

Intéressez-vous à l’architecture !

Francis Kéré est un exemple à suivre. J’aime particulièrement son approche humaniste et globale.

En tant qu’architecte, on ne doit pas seulement construire de beaux espaces ; notre rôle est d’abriter les habitants, d’ouvrir des fenêtres pour les faire rêver et non pas construire des murs pour les enfermer. Je pense que Francis Kéré répond à cette vision.

Mon dernier message est le suivant : intéressez-vous à l’architecture ; cela vous permettra de vous défendre contre les architectes si nécessaire ! Et d’être plus exigeant avec tous les acteurs de la construction.

Aujourd’hui, de nombreux architectes consacrent leur vie à penser et faire vivre une architecture de qualité. Il y a d’innombrables solutions qui existent, des choses magnifiques qui se construisent et qui répondent aux problématiques écologiques, de biodiversité, d’adaptation au climat (notamment) du moment. Malheureusement, les populations concernées ne sont pas au courant de tout ce qui se fait et qui pourrait pourtant développer leur bien-être.”


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