Lorsqu’en 2004 émerge la notion de journalisme de solutions, certains ont pu l’assimiler au « journal des bonnes nouvelles », à « des petites actions qui donnent du baume au cœur », ou encore « aux trains qui arrivent à l’heure (en ajoutant : « ça n’intéresse personne ») ». Or, cette approche journalistique s’intéresse à des initiatives qui apportent réellement des éléments de réponses à des problèmes, des difficultés, qui se posent à des individus, des collectifs, une société. Florence Gault, professionnelle aguerrie, a fait le choix du journalisme de solutions. Elle explique sa démarche.
À propos de Florence Gault
Journaliste indépendante, Florence Gault a fondé le podcast En un battement d’ailes qui décrypte les enjeux écologiques et met en lumière des solutions inspirantes, issues du terrain.
En parallèle, Florence Gault est formatrice, enseignante en école de journalisme, et mène régulièrement des ateliers d’éducation aux médias, particulièrement en quartiers populaires.
En un battement d’aile : les origines du podcast
Florence Gault, journaliste : “Plusieurs choses m’ont amenée à la création de ce podcast.
Dans ma précédente carrière, je travaillais pour une rédaction nationale. Grâce à cela, en 2015, j’ai pu couvrir la COP21, en partenariat avec Place to B et la journaliste Anne-Sophie Novel. Cette expérience, grâce à laquelle j’ai pu rencontrer de nombreux acteurs de la transition écologique, a été pour moi une première prise de conscience des défis auxquels nous faisons collectivement face aujourd’hui.
Et puis, il y a eu la pandémie du Covid-19 et toute la réflexion autour du monde d’après. Que voulait-on qu’il soit ? J’ai alors décidé de quitter la rédaction dans laquelle je travaillais pour suivre une formation sur les conséquences du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et leurs impacts sociaux.
En un battement d’aile est le résultat de ces deux années de réflexion. Ce podcast regroupe des reportages qui mettent en lumière un enjeu écologique ou social. Ils exposent un problème et présentent, via une immersion sur le terrain, des acteurs qui tentent d’apporter des solutions, à leur échelle.
Les 4 fondements du journalisme de solutions
Le journalisme de solutions repose sur quatre critères :
- Réponse à un problème social ou environnemental : pour qu’il y ait une solution à mettre en avant, il faut d’abord qu’il y ait un problème clairement identifié.
- Preuves de l’efficacité : une solution qui n’a pas fonctionné reste du journalisme de solutions ; on peut expliquer pourquoi cette solution n’a pas pu être pérenne, ce qui est toujours riche en enseignements.
- Leçons tirées : comment cette solution a-t-elle pu être mise en place ? Quelles ont été les différentes étapes pour la mettre en œuvre ? Quels ont été les freins rencontrés, les obstacles ? Au contraire, qu’est-ce qui permet son déploiement ? À qui cela s’adresse-t-elle ?
- Limites de la solution : c’est souvent ce qui fait défaut dans les médias qui s’auto-proclament “journalisme de solutions”. Les solutions miracle existent rarement ! Il faut donc en montrer les limites. C’est un point essentiel qui permet d’éviter d’être dans une liste à la Prévert de solutions de tout type.
Le Solution Journalism Network
Bien que le journalisme de solutions soit encore peu répandu, de plus en plus de médias s’engagent dans cette voie pour mieux aborder les défis écologiques et sociaux.
Le Solutions Journalism Network est un organisme fondé par trois journalistes du New York Times qui diffuse et valorise le journalisme de solutions.
Il propose notamment un Solution Journalism Tracker ; cet outil offre une vision globale des initiatives à travers les cinq continents. Cela permet notamment de découvrir des pratiques journalistiques innovantes à l’échelle mondiale.
Le paysage médiatique français
Le paysage médiatique français se distingue par sa pluralité. La carte subjective d’Anne-Sophie Novel illustre bien ce nombre impressionnant de média que nous avons la chance d’avoir. Lors de mes interventions en quartiers populaires pour sensibiliser à l’éducation aux médias, les jeunes sont souvent surpris d’en découvrir la richesse et la variété.
Cependant, un défi majeur auquel fait face ce paysage est la concentration des médias. Bien que le chiffre avancé par l’économiste Julia Cagé – selon lequel 90 % des médias français appartiendraient à neuf milliardaires – ne soit pas totalement exact, il symbolise néanmoins une réalité préoccupante.
Les critiques fréquentes à l’égard des médias portent souvent sur leur partialité et leur manque de résistance aux pressions économiques et politiques. Cependant, de nombreux médias indépendants émergent pour contrebalancer cette concentration, offrant une alternative bienvenue.
Sortir du vortex des mauvaises nouvelles
Aujourd’hui, le traitement anxiogène de l’actualité est problématique : les médias français, influencés par une approche parfois catastrophiste à la Albert Londres, un journalisme qui veut “mettre la plume dans la plaie”, ont tendance à accentuer les aspects négatifs des événements. Cette tendance décourage une partie de leur audience qui se tourne alors vers les réseaux sociaux pour s’informer… ou se faire désinformer…
Environ 36 % des Français ont arrêté de suivre l’actualité en raison de son caractère angoissant, une réalité également observée à l’échelle mondiale. Face à cette crise de confiance, les médias doivent repenser leurs pratiques pour reconquérir leur public.
Le journalisme de solutions se présente comme une alternative enthousiasmante, permettant d’aborder de manière constructive les enjeux écologiques et sociaux. Je pense que c’est notre rôle en tant que média de pouvoir – pas nécessairement apaiser l’éco-anxiété – mais, tout au moins, ne pas en rajouter une couche supplémentaire.
Journalisme de solutions : informer positivement
Certaines études américaines montrent que l’on retient plus facilement une information quand elle est présentée sous le prisme « problème + solution » au lieu de n’être évoquée que par le côté « problème ».
Les humains retiennent beaucoup plus facilement une information négative. C’est ancestral ; tout ce qui peut nous mettre en alerte – et par là-même nous aider à survivre – va rester dans nos mémoires. Ainsi, pour éliminer 1 information négative, il va falloir 3 informations positives !
Le journalisme de solutions permet, en conséquence, d’atténuer le côté anxiogène de l’information, en plus de rester plus longtemps dans nos mémoires.
Soutenir les médias indépendants
Je parle en tant que journaliste qui est en train de créer un média indépendant, dans un climat où l’on reproche aux journalistes d’être soumis à des pressions d’argent, de ne pas être indépendants.
Les médias ne peuvent pas exister sans le soutien des citoyens. Si vous voulez des médias sans actionnaire, sans mécénat, sans publicité, ça ne peut exister qu’avec votre soutien, et notamment votre soutien financier. L’information est un bien public mais elle a un coût.
S’il y a des médias indépendants dans lesquels vous avez confiance, que vous aimez écouter, que vous aimez lire : soutenez-les. Pour montrer qu’il y a, d’une part des gens et une communauté derrière le média. Et puis, sans vous, ça ne peut pas fonctionner sur du long terme. Ça me semble primordial de pouvoir rapporter que vous êtes, vous aussi, maîtres de la qualité de l’information que vous souhaitez avoir.”
Vous pouvez retrouver ici le podcast de Florence Gault, “En un battement d’aile”.
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