Rose Valland. Avez-vous déjà entendu ce nom-là ? Née en 1898 et morte en 1980, cette femme a eu un étonnant destin d’espionne, pourrait-on dire, et de justicière, sauvant de la spoliation nazis plusieurs dizaine de milliers d’oeuvres d’art. Une vie narrée par Jennifer Lesieur dans un livre réédité chez Le livre de Poche en septembre 2024 : Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre.
Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre : l’histoire
Quand Goering pénètre au musée du Jeu de Paume pour s’emparer d’un Fragonard, d’un Rubens ou d’un Brueghel, elle est là. Si un marchand d’art français conseille les nazis pour embarquer les trésors spoliés aux collectionneurs juifs, elle est là. Cachée derrière ses lunettes épaisses, elle note. Au risque d’être fusillée. Car elle sait qu’un jour elle rendra toutes ces œuvres à leurs propriétaires.
Pendant les cinq ans d’Occupation, elle note tout, jusqu’au signalement d’un train bourré de tableaux et de statues, qui grâce à elle sera dérouté par les résistants du rail en 1944.
Quel était son nom ? Rose Valland.
” Hitler porta sur les fontaines, les immeubles, les volets fermés, un regard de propriétaire. Il tenait enfin cette ville qu’il admirait, volée à un peuple qu’il méprisait. Une capitale engourdie, où il n’avait croisé aucun regard de défi. […] Pour lui, l’art n’était pas tant une source de beauté, de contemplation, d’ouverture des perceptions qu’une addiction mauvaise, une obsession fanatique parmi tant d’autres. Et un moyen de se venger, d’effacer l’humiliation du traité de Versailles et celle des Beaux-Arts qui n’avaient pas voulu de lui.”
Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre : l’avis de Bernard
“Jennifer Lesieur a réussi un double coup : celui de l’enquête de vie de Rose Valland en parallèle du parcours des oeuvres spoliées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Qui dit mieux ?
L’autrice a été épaulée par Emmanuelle Polack, spécialiste des spoliations artistiques. Leur collaboration nous garanti l’authenticité historique du récit.
Grâce à ce dernier – qui se lit comme un roman – voilà une femme de l’ombre qui retrouve un peu de lumière ; valorisation bien méritée par ses actions, son abnégation, sa résistance – au sens propre et figuré.
Sans elle, nos musées n’auraient certainement pas le même visage…”
Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre : extrait
“Un fourmillement nerveux précéda son arrivée.
Le 3 novembre 1940, des soldats allemands vidèrent 400 caisses déposées l’avant-veille au musée du Jeu de Paume. Elles contenaient des toiles de maîtres par centaines, des sculptures, des meubles, des tapis et tapisseries, des objets précieux qui furent disposés, en un jour et une nuit, dans les espaces du bâtiment. L’accrochage fut rapide, précis, dans une agitation que les musées, en temps normal, ignorent. Au bout d’une centaine d’allers-retours entre l’entrée et l’étage, le mouvement ralentit, s’arrêta, et le silence revint. Jamais exposition n’avait été plus vite mise en place. Jamais le Jeu de Paume n’avait vu une telle profusion de chefs-d’œuvre.
Le matin venu, le maître des lieux passa en revue les salles de son seul œil valide, mains derrière le dos, un sourire satisfait aux lèvres. Le baron von Behr, un nazi de haute taille, sanglé dans un grand uniforme de la Croix-Rouge allemande, n’y connaissait pas grand-chose en art, mais assez pour deviner la qualité de l’ensemble. Pas de doute, son équipe avait bien travaillé.
Puis on attendit.
Enfin, une berline noire fit crisser le gravier devant l’entrée. Un ordre claqua, les sentinelles armées se figèrent au garde-à-vous. Une masse énorme s’extirpa gauchement de la portière arrière. La mine bonhomme, vêtu d’un manteau trop long qui élargissait encore plus sa silhouette, coiffé d’un chapeau informe, le Reichsmarschall Goering tendit une main potelée à celle, sèche et ferme, du baron, incliné en profond respect. Ils franchirent la porte, et le numéro 2 du Reich laissa échapper un grognement d’aise.”
Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre : pour aller plus loin
Découvrez le podcast de Radio France dédié à Rose Valland : Rose Valland, héroïne de l’ombre.
“Le secret absolu dans lequel elle avait cadenassé sa vie et son action a effacé plus que son nom. L’existence de Rose Valland, criblée de béances, comporte un gouffre qui relève de la magie noire. Il n’existe aucune image animée d’elle. Aucun film, aucune vidéo amateur, aucun extrait de documentaire, aucune apparition, même floutée, fugitive, hors champ ou accidentelle, sur aucune pellicule. Traverser presque tout le XXe siècle sans se laisser capter par une caméra est un tour de force qu’elle a réussi, à supposer qu’elle l’ait souhaité.”
Extrait de “Rose Valland, l’espionne à l’oeuvre”
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