Transformer nos déchets en pierre : la bonne idée de Néolithe – Nicolas Cruaud

14 Nov, 2024 | ENVIRONNEMENT, SCIENCES & TECHNOLOGIES

Et si on s’arrangeait pour accélérer le processus de fossilisation de nos déchets ? Si on transformait nos déchets non recyclables en pierre ? C’est le pari réussi de Nicolas Cruaud, fondateur de Néolithe. Il nous raconte sa géniale innovation.

“Fossiliser tous les déchets enfouis ou incinérés en France pourrait réduire de 7 % les émissions de CO2 du pays. Il est donc crucial que les entreprises et les citoyens s’informent et exigent des solutions plus responsables.”

Nicolas Cruaud

À propos de Nicolas Cruaud, fondateur de Néolithe

Nicolas Cruaud, 28 ans, polytechnicien, est président de Néolithe, une start-up angevine de 200 personnes. Cette entreprise, fondée en 2018 avec deux associés – dont William Cruaud, son père -, est spécialisée dans le traitement des déchets non recyclables.

« Ce qui me botte, ce sont les projets industriels qui luttent contre le changement climatique. L’environnement, c’est l’enjeu du siècle et les petits gestes ne suffisent pas. »

Nicolas Cruaud

L’origine de Néolithe

Nicolas Cruaud, président fondateur de Néolithe : “L’idée de Néolithe vient de mon père, William, qui a passé 40 ans à faire de la taille de pierre en Anjou. Il travaillait avec un matériau calcaire appelé le tuffeau, formé par la sédimentation et la fossilisation des matières organiques du Crétacé.

En observant ce processus géologique naturel de fossilisation, il s’est demandé s’il était possible de le répliquer et de l’accélérer pour transformer nos déchets en un matériau de construction. De cette réflexion est née notre technologie de “fossilisation accélérée des déchets”.

C’est en 2018 qu’il m’a présenté son idée : traiter les déchets non recyclables en les transformant en pierre. Ca m’a immédiatement interpellé. Nous avons commencé à travailler dessus pendant mes études et, en 2020, après avoir terminé notre cursus, mon autre associé, Clément Bénassy, et moi-même avons lancé Néolithe.

Travailler en famille, avec mon père, ma mère, mon frère et même un cousin, a ses défis, mais ça rend notre aventure entrepreneuriale moins solitaire. C’est une dynamique enrichissante qui nous aide à avancer !

Les trois fondateurs de Néolithe : Nicolas Cruaud, Clément Bénassy et William Cruaud

Quel est l’état des lieux sur la gestion des déchets en France et en Europe ?

Des déchets sont produits à différents moments du cycle de vie d’un produit, notamment lors de l’extraction des matières premières, de sa fabrication ou même de son utilisation.

En France, il y a 30 millions de tonnes de déchets non recyclables produits par an. La moitié provient des ordures ménagères et l’autre moitié, des entreprises. Ces déchets sont composés de plastique, de papiers et cartons souillés, et de textiles mélangés. Ils sont principalement enfouis ou incinérés.

La réglementation en matière de déchets est cruciale pour le modèle économique de Néolithe. En France, la loi de 2015 sur la croissance verte vise à réduire les capacités d’enfouissement et, par là-même, favoriser l’émergence d’alternatives comme celle de Néolithe.

Par ailleurs, au plan européen, l’intégration de la filière “traitement des déchets” dans les quotas carbone va renforcer la position de Néolithe sur le marché.

Récupération des déchets non recyclables

Est-ce votre conscience écologique qui vous a incité à lancer Néolithe ?

Mon père est un amoureux du caillou. S’il préfère évidemment éviter de créer des montagnes de déchets, ce qui le motive avant tout, ce sont les matières minérales. Il travaille au service innovation : comment faire mieux, différemment, inventer des choses nouvelles dans le caillou… ; voilà les questions qu’il se pose au quotidien.

De mon côté, c’est l’impact potentiel de ce processus industriel sur l’environnement qui m’a frappé. Fossiliser les déchets non recyclables – qui sont jusqu’à présent enfouis ou incinérés en France – pourrait réduire de 7 % les émissions de CO2 du pays – l’équivalent de deux fois les émissions du transport aérien dans l’Hexagone !

Se dire qu’avec une seule technologie – pas si compliquée à déployer, une fois maîtrisée, et pas spécialement plus chère que l’enfouissement ou l’incinération – on peut abattre des grosses quantités d’émissions de CO2… voilà qui est remarquable. Et c’est le fait d’une seule entreprise !

Si l’on arrivait à trouver une dizaine de technologies de ce type sur tous les secteurs, 80 % du problème environnemental disparaitrait… J’ai la conviction que l’outil industriel doit pouvoir aussi servir des volontés écologiques. On s’en est servi pour faire de la production de masse, pour servir une consommation de masse ; on peut tout aussi bien s’en servir pour protéger l’environnement, abattre les coûts, etc.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de fabrication de votre granulat ?

Vous l’avez compris, nous développons une technologie pour transformer les déchets non recyclables en granulats de construction. Ces granulats peuvent être utilisés comme substituts des granulats naturels, notamment pour le béton non-structurel, pour le secteur du BTP (nous sommes en plein processus de certification pour le béton structurel, utilisé pour les fondations, etc.).

La demande en granulats est bien supérieure à l’offre, avec environ 300 millions de tonnes consommées chaque année en France. Notre solution n’est donc pas seulement une réponse à un besoin environnemental, mais aussi une opportunité économique.

Nous récupérons les déchets de nos premiers clients – collectivités et centres de tri – qui les transportent jusqu’à nous. Eux-mêmes gèrent la collecte et le tri des déchets. Pour les non-recyclables, ils paient l’enfouissement ou l’incinération. Grâce à nous, ils paient plutôt la fossilisation.

Une fois ce type de déchets dans nos murs, il y a une étape de préparation : de cette matière, nous extrayons tous les indésirables. Puis, nous la micronisons pour obtenir une poudre très fine composée de particules inférieures à 500 microns. On va alors faire réagir cette poudre avec des liants minéraux. Cela donne une espèce de pâte à modeler végétale que l’on va monter à très haute pression. À ce stade, nous devons attendre environ deux mois pour que le matériau termine sa réaction chimique. Nous obtenons alors un granulat qui a une résistance comparable à celle des granulats naturels. On peut ensuite donner à la matière la forme que l’on souhaite.

Ce processus ne nécessite aucune combustion, aucune chaleur. Nous avons baptisé ce produit “Anthropocite” : le granulat de l’ère humaine !

Anthropocite : le granulat produit par Néolithe avec les déchets non recyclables

Un message pour conclure ?

Je sais qu’il y a beaucoup de publicité négative sur le tri à la source : je rencontre régulièrement des personnes qui se demandent si ça sert vraiment à quelque chose. La réponse est oui ! Il y a une partie du flux de la poubelle jaune qui in fine ne sera pas recyclable mais ça reste tout de même très majoritairement recyclé. Le tri à la source est important et il ne faut pas le négliger. À l’échelle de la personne, c’est là où l’on peut agir.

À l’échelle des entreprises qui conçoivent des produits, c’est l’éco-conception qui va être significative : penser mono-matière, réparation, etc.

Une dernière chose : on sait tous à quel point changer nos habitudes peut être compliqué. Pour que les entreprises changent les leurs, il faut qu’elles y trouvent un intérêt quelconque. Si c’est leurs propres clients ou leurs salariés qui les incitent à changer leur politique en matière de gestion de déchets – et leur propose, pourquoi pas, les services de Néolithe – il y a beaucoup plus de chance que l’entreprise soit réceptive au changement. N’hésitez donc pas à les demander, c’est comme cela qu’ils arrivent !”


Vous voulez aller plus loin ? On vous propose cet article de Pierre-Yvez Gomez : cultiver un nouveau récit écologique

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