Sarkis Rouhban a eu 20 ans d’expérience en management opérationnel à l’international dont 2 ans de direction générale, avant de devenir consultant en management au sein de CEE-management. Il raconte son parcours et les leçons qu’il en a tiré pour devenir un bon dirigeant.
Sarkis Rouhban, pouvez-vous nous parler de votre parcours en quelques mots ?
Je suis d’origine libanaise. Je suis mariée et j’ai quatre enfants et quatre petits-enfants.
En 1976, j’ai commencé des études d’ingénieur à Beyrouth. Quand la guerre a éclaté, j’ai dû quitter le Liban pour finir mes études en France. Puis, avec ma femme, nous sommes partis à l’international ; travaillant dans le secteur pétrolier, nous avons fait plus de dix pays. Je suis passé d’ingénieur de chantier à superviseur, puis directeur de filiale et enfin, directeur général.
C’est en l’an 2000 que je suis rentré en France. Je fais aujourd’hui du conseil auprès des dirigeants, en étant associé chez CEE-management.
Faut-il toujours commencer par les dirigeants pour instaurer une atmosphère vertueuse au sein de l’entreprise ?
Oui. L’escalier se balaie par le haut !
Il s’agit de commencer par interpeller le chef, comprendre ses besoins et ses ambitions. On fait ensuite de même avec toute l’équipe de direction pour que chacun soit en vérité avec tous. Et quand sont instaurés de sains principes qui créent un cadre favorable, alors, les comportements vertueux ruissellent à tous les niveaux et l’entreprise finit par avoir de meilleurs résultats financiers.
C’est curieux que l’on n’apprenne cela nulle part ! On parle beaucoup de stratégie. Mais avant d’imaginer une quelconque stratégie, il faut travailler la politique de l’entreprise : quelles sont les valeurs, les principes et les règles que l’on veut vivre ensemble ? Quel est le but commun ? Que voulons-nous pour notre environnement sociétal et écologique ?
Et cela est tout sauf théorique : il faut que ce soit vécu dans l’organisation et que le patron donne l’exemple. Petit à petit, les salariés sentent que c’est authentique, que l’ambiance est saine et que l’on peut s’entraider, être soi-même, donner le meilleur au service des autres, le client étant celui qui est ultimement servi.
Comment devient-on un bon dirigeant ?
Un patron a forcément des défauts : c’est un être humain. Le mot « défaut » – faire défaut – est d’ailleurs positif : j’ai besoin des autres pour me compléter. Ce que je ne sais pas faire, d’autres ont les talents pour le réaliser.
Tout le monde n’a pas les talents naturels pour être un bon manager. Mais même quand on a ces qualités, il faut du temps et de l’expérience pour devenir vraiment bon. Et il faut accepter d’être aidé. Les formations intellectuelles ne sont pas suffisantes ; rien ne remplace la pratique, l’expérience, le vécu. Et, chemin faisant, on peut humblement accepter de se remettre en question.
Pour être un bon manager, il faut également savoir pratiquer la subsidiarité : laisser chaque échelon décider par soi-même des sujets qui les concernent directement. C’est eux qui sont sur le terrain, qui reçoivent l’information en premier et sont donc en mesure de la traiter. Or, la subsidiarité n’est pas un penchant naturel des managers : il faut leur apprendre à lâcher prise et faire confiance aux autres.
Enfin, un bon manager doit donner le sens : quel est notre but commun ? Pourquoi travaillons-nous ensemble ?
Ce triptyque-là – communiquer en vérité et avec bienveillance, oser la subsidiarité, injecter du sens – crée un environnement qui permet à chaque salarié de s’épanouir et de donner le meilleur de lui-même.
Et vous ? Comment êtes-vous devenu un bon dirigeant ?
J’ai été un mauvais manager. J’avais 31 ans quand on m’a nommé directeur d’une filiale dans le pétrole, en Angleterre. J’étais tellement fier de moi que je me suis cru le roi du pétrole ! À l’époque, j’avais suivi quelques formations en management et je voulais tout mettre en pratique ! Mais, en dépit de tous ces outils, ça ne marchait pas. Je me sentais seul et la relation avec l’équipe ne prenait pas. Petit à petit, grâce à mon épouse, je me suis rendu compte que ça ne pouvait pas marcher parce que j’étais centré sur mon ambition propre. Mon discours n’était pas authentique et mon équipe ne s’y trompait pas. Or, diriger, c’est servir.
Cette équipe comptait des ingénieurs et des techniciens plus âgés et plus expérimentés que moi. Il m’a fallu reconnaître qu’ils connaissaient leur boulot mieux que moi. Un premier pas d’humilité qui m’a coûté ! Et je l’ai verbalisé : « vous savez mieux que moi faire votre métier. Je vous viendrai donc en aide si vous avez besoin de moi. En revanche, j’exige des résultats. »
J’ai mis du temps mais ils se sont rendu compte que mon management devenait plus authentique et plus juste. Je me sentais moins seul, et j’ai finalement été adopté par mon équipe et ensemble, on obtenait de très bons résultats. Ensuite, poste après poste j’ai suivi le même mode de management jusqu’au poste de directeur général. Mon management était considéré comme atypique par le reste des dirigeants : j’étais sur le terrain. J’écoutais chacun, je les aidais et leur faisais confiance. La bourse, les enjeux stratégiques, le contexte géopolitique, passer du temps à être « visible » dans les hautes sphères : cela n’était pas ma priorité même s’il ne fallait pas tout négliger.
Vers l’an 2000, j’ai réalisé que ma place n’était plus là. Je suis rentré en France pour transmettre cette expérience aux dirigeants.

Tout le monde peut-il devenir un bon dirigeant ?
Je ne pense pas que tout le monde puisse devenir un bon manager. Il faut avoir un minimum de qualités : le sens des aJe ne pense pas que tout le monde puisse devenir un bon manager. Il faut avoir un minimum de qualités : le sens des autres, l’écoute, la patience, de la bienveillance vis-à-vis des personnes, du courage. Tout le monde n’en est pas doté.
Certaines personnes sont brillantes, efficaces. Elles savent gérer et atteindre des résultats. Mais gérer, ce n’est pas diriger.
Et je pense qu’il y a un ordre dans les qualités nécessaires pour devenir un bon manager.
- En premier – le plus nécessaire – c’est l’humilité : écouter et accepter la critique, savoir se remettre en question. Ceci permet de développer progressivement un dialogue de vérité dans toute l’entreprise.
- Ensuite, avoir un cœur attentif, l’écoute et la bienveillance.
- Puis, il faut la force, la détermination, l’énergie, l’exigence.
- Après viennent les qualités intellectuelles. Plus on monte de niveau de management, plus est nécessaire une forme de clairvoyance, de capacité d’anticipation.
- Enfin, vient l’humour. Quelqu’un qui a de l’humour, de la joie, ça aide beaucoup les équipes.
Comment faire quand l’atmosphère de travail n’est pas saine ?
Je vous le disais : avant toute chose, il faut mettre en place des valeurs, des règles de vie, qui deviennent la référence au quotidien. Par exemple : écouter l’autre sans lui couper la parole ; éviter les critiques sur quelqu’un d’absent ; ce qui n’est pas interdit est autorisé ; choisir et évaluer les managers sur leur capacité à créer les conditions pour faire progresser l’équipe, etc.
Et quand on assiste à des comportements qui ne conviennent pas – mépris, regard ou parole blessantes… – il faut qu’il y ait une grande exigence de la part du dirigeant. Il n’est pas permis de faire ça ; on va donc en parler : pourquoi as-tu enfreint cette règle ? Si la personne accepte de reconnaître ses tords et de s’excuser, l’équipe peut avancer. Mais si elle refuse ou si elle continue ses mauvaises pratiques, il faut sanctionner et oser se demander si elle est bien à sa place.
Ce type de comportement peut faire trop de mal et casser des personnes qui peuvent partir en burn out, pour ne parler que de cela. C’est terrible. Il y a aussi les malins, les tricheurs, les « grandes gueules », les faibles, etc.
Un bon dirigeant accompagne et s’ajuste à chacun pour qu’il progresse.
Quelles sont les plus grandes joies d’un dirigeant ?
L’ultime satisfaction d’un manager est de voir ses équipes grandir, voire devenir meilleures que lui-même, que ce soit sur les compétences techniques ou sur les qualités humaines.
Mais pour cela, il doit passer du temps « gratuit » avec ses équipes, accepter d’en « perdre » pour écouter, suivre, aider, sans avoir seulement en tête les résultats financiers, même si ces derniers sont importants.
Un dernier message ?
Un jour, une dame m’a appelé pour me demander : « qu’avez-vous fait à mon époux ? Maintenant, il m’aide à la cuisine, il joue avec les enfants, il sort les poubelles : que s’est-il passé ? » Son mari faisait partie d’une équipe de direction et nous ne nous étions rencontrés en séminaire que durant deux jours !
Cela me fait sourire d’y repenser mais c’est évident que tout ce que l’on apprend pour devenir un bon dirigeant sert à déployer notre humanité dans toutes les facettes de notre vie ! Et il n’y a rien de plus réjouissant.”
Pour aller plus loin sur le sujet, découvrez les 5 règles vitales du management, de François-Joseph Vella.