Tiré du mémoire de Cyrille Krebs, responsable de l’alvéole Éducation, ce texte nous rappelle l’importance de vivre dans le réel et de prendre conscience des éléments qui nous entourent. La contemplation : une voie vers le bonheur…
La vie contemplative apparaît chez Aristote comme l’activité la plus haute de l’esprit humain. Selon lui « Le bonheur est (…) coextensif à la contemplation, et plus on possède la faculté de contempler, plus aussi on est heureux, heureux non pas par accident, mais en vertu de la contemplation même, car cette dernière est par elle-même d’un grand prix. » [1].
Ce qui nous est révélé dans la contemplation : l’être est partout présent [2]. Tout être est une réalité en soi, indépendante de nous même (extra mentale). Chaque personne est singulière, elle se tient dans l’existence par elle-même. Son « exister » en fait un être autre que tous les autres. Nous pouvons tous les jours faire cette expérience de l’altérité à travers le réel que nous découvrons. L’existence des choses s’impose à nous de l’extérieur, elle nous transcende. Le réalisme de la philosophie de l’être nous ouvre à la nécessité de consentir à ce qui est [3].
Voici ce qu’écrivait Etienne Gilson ; « J’ai ainsi vécu de longs mois pendant bien des années, plongé dans la foule des étants et comme enivré de leur innombrable présence, mais je n’ai rencontré l’être que plus tard, lorsque, sans effort conscient ni intention particulière, je m’aperçus que si j’attendais chaque année avec cette impatience le moment de revoir ces choses, c’est que je les aimais. Je ne les aimais pour aucune raison d’utilité ni de beauté, car aucune ne me servait à rien et la plupart n’étaient pas belles, je leur étais simplement reconnaissante d’être. Je leur avais une gratitude infinie d’être là, surtout les plus modestes et, comme dans une humble victoire sur le néant, de faire le miracle d’exister. » [4]. Face à ces « choses », nous faisons l’expérience de notre propre « exister » en tant que personne et en même temps de notre subjectivité. Seul sujet au milieu de tous les sujets, j’apparais comme la personne la plus importante dans le monde et pourtant… À partir de notre propre subjectivité nous faisons une première expérience qui nous conduit à une objectivité première, celle de l’existence des choses et de notre propre « exister ». Nous devons sans cesse vivre l’expérience de l’être pour rester présent au réel y compris dans les choses les plus anodines. Gilson, nous dit qu’il est plus facile de saisir l’être dans « l’humble silex qui ne pense rien, ne dit rien, ne fait rien, sauf seulement d’être quelque chose qui est » [5]. Il convient de préciser que le caillou n’est pas un être substantiel [6] au sens fort ; il n’a pas l’unité substantielle d’une personne « corps et âme spirituelle ». La saisie de l’être en acte, nous pouvons la faire avec plénitude à travers tout « étant » dans la mesure même où il est. La personne en tant qu’elle est en acte offre une richesse plus profonde car la personne transcende l’univers et elle est le bien le plus grand qui s’y trouve.
Nous sommes chacun dans notre vie face à la réalité extra mentale qui nous appelle à ne pas sombrer dans « l’absolu de l’égoïsme et de l’orgueil », à ajuster et harmoniser notre monde intérieur à la réalité existante dans la rencontre de l’autre. Etre n’est pas une contrainte pour l’homme mais, pourvu qu’il se tourne vers le bien qu’il lui faut, un commencement et une voie d’accomplissement conforme à sa nature [7].
[1] Aristote, Ethique à Nicomaque, 1178b
[2] Il s’agit ici de la contemplation naturelle de l’intelligence.
[3] « Par son intelligence l’humain se tourne vers le réel, en principe, sans le ramener à lui-même. Il [l’homme] est entraîné vers le dehors, vers l’altérité ». Fabrice Hadjaj, Qu’est ce qu’une famille ? p 76 Edition Salvatore.
[4] E. Gilson : Rencontre de l’être p 146
[5] E Gilson, rencontre de l’être.
[6] Est substantiel ce qui est par soi.
[7] « Les difficultés que nous avons actuellement à bien saisir comment la personne humaine implique nécessairement la nature en l’assumant proviennent d’une confusion déjà ancienne au niveau philosophique, et qui reprend, avec la contestation d’aujourd’hui (spécialement chez Marcuse), une importance nouvelle. Il s’agit de la confusion entre détermination et limite : on estime que toute détermination, impliquant une négation, constitue une limite. […] En effet une détermination, dans la mesure où elle fait connaître ce qu’est un être, permet de découvrir sa finalité. Une telle détermination n’est pas une limite. » in Liberté – Vérité – Amour, Marie Dominique Philippe, Fayard p 89