Une année de vie en cité

4 Fév, 2018 | TÉMOIGNAGES

Brune vient de passer un an dans une cité du sud de la France, en service civique au sein de l’association Le Rocher. Son témoignage rappelle qu’agir et être là, ouvert à l’autre et pour l’autre est une valeur essentielle pour faire émerger une Société de Bien Commun.

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Les grandes ambitions des premiers temps

Durant mes premiers mois au Rocher, une question m’accapare l’esprit : « Que faire ? ». Que faire comme activité, que faire avec les jeunes, les familles, les enfants, que faire de bien, que faire de mieux ? Je me suis vite rendue compte que cette logique ne pouvait pas s’adapter aux actions que nous réalisons. En me demandant “quoi faire”, je restais frustrée dans mes actions : frustration de ne pas pouvoir tout réaliser, de ne pas arriver jusqu’au bout de certains projets, de voir combien les choses prennent du temps… Avec le temps, justement, j’ai pris conscience que nos activités ne sont en réalité que des moyens, des outils, pour créer une relation.

Par exemple, un weekend de randonnée avec des adolescents n’a pas comme but de leur apprendre à marcher, mais bien à entrer en relation. Nous leur donnons la possibilité de parler à des adultes autres que leurs parents, leurs professeurs, les jeunes du quartier… Puisque ce n’est plus l’activité qui importe mais la façon dont on la vit, cette question de savoir « Que faire ? » n’a plus de raison d’être.

Une célèbre phrase de Saint-Exupéry dans Pilote de guerre résume parfaitement ce questionnement : « Ne pas chercher « Que faut-il faire » mais « Que faut-il être », là est la question essentielle ». Avec cette phrase, tout devient plus simple. Moi qui n’ai pas de savoir-faire, de connaissances spécifiques, ni de techniques de travail adaptées au milieu dans lequel je vis, il ne me reste plus qu’à « être ».

Donner et apprendre à recevoir

S’il est assez aisé de comprendre qu’en se donnant pour les autres nous recevons en retour, il faut aussi prendre conscience que lorsque nous aidons les autres, nous créons une situation de dépendance dans la relation. Saint Vincent de Paul disait : « Faites-vous pardonner par les pauvres le bien que vous leur faites ». Cette phrase m’a longtemps interpellée et notamment son interprétation du Père Jean-Christophe Chauvin qui dit : « Le pauvre nous fait le cadeau de pouvoir être bon. Et quand on regarde bien, c’est le plus grand cadeau ! ». Je pense que si venir en aide à ces personnes nous permet « d’être bon », notre rôle au sein du Rocher est aussi de permettre à ces mêmes personnes, à leur tour, « d’être bonnes ».

Je vois quasiment tous les jours ces cadeaux, ces aides que les gens de la cité ont besoin de nous donner et que j’ai parfois du mal à accepter. Tel papa qui vient ramasser les feuilles mortes du jardin ou qui bricole dans nos locaux, telle maman qui vient cuisiner un déjeuner (sans même le manger avec nous), tels voisins qui déposent en secret le journal dans notre boite aux lettres tous les matins, telle grand-mère qui raccommode nos pulls, tels enfants qui écrivent des livres sur le Rocher (en plusieurs tomes !). Si je ne pense pas forcément avoir besoin de ces aides, je me rends bien compte que les accepter, accepter que moi aussi j’ai besoin d’eux, que moi aussi je peux être « faible », permet un rééquilibre dans notre relation, efface la « dette » qu’ils pensaient avoir envers le Rocher. Et finalement, d’une logique de don de soi avec laquelle j’avais commencé mon année, j’ai appris à recevoir.

“Faites-vous des amis”

À notre arrivée en cité, le premier conseil de notre chef d’antenne était : « Faites-vous des amis. ». Au premier abord, le principe me paraissait bon. Mais très concrètement, je restais assez sceptique sur la façon dont j’allais me faire des amis à Mistral. Rencontrer les gens, jouer avec les enfants, discuter avec les jeunes : d’accord ; mais m’en faire des amis, cela me paraissait un peu ambitieux… Après un an passé là-bas, je me rends bien compte à quel point se faire des amis dans la cité est le cœur de notre mission. N’ayant pas de savoir-faire particulier ni de solutions apparentes à leurs problèmes, la seule chose que nous pouvons leur proposer, et qu’ils ne trouvent pas auprès des travailleurs sociaux, est la possibilité de construire une relation d’amitié. Aujourd’hui, oui, j’ai des amis dans la cité et je parle de véritables amis avec qui l’on peut parler à cœur ouvert. De ces amis, j’espère, et même je sais, qu’il y en a avec qui je garderai contact.

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Contourner l’impossible

Durant cette année de service civique, j’ai passé de longues heures dans le café de Mistral, fréquenté exclusivement par des hommes plus ou moins liés au « trafic ». En allant les rencontrer, nous n’avons rien à leur proposer et nous n’attendons rien en retour. Alors que lorsque je parle avec les adolescents, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il faut que je leur propose la prochaine randonnée, que je les fasse rêver du camp d’été… Dans ce café, les rares fois où nous tentons une approche, ne serait-ce que pour les inviter à un repas partagé, nous sentons bien qu’il leur est impossible de répondre oui. Nous passons donc une heure ou deux à parler de tout, à disserter sur Marcel Pagnol, Manon des sources, le port de Marseille et la Provence et finissons souvent par une partie de Rami.

C’est parce que des deux côtés nous sommes conscients de nos différences de situations – et surtout de notre incapacité à y palier – que nous pouvons vivre cette relation sans rien chercher de plus que de passer ce moment ensemble. C’est ce que nous appelons au Rocher l’enjeu des relations sans enjeux et c’est finalement je crois, ce que je préfère. Pouvoir discuter avec une maman, passer un moment avec un jeune, jouer avec un enfant en ne cherchant rien d’autre que la relation, en n’ayant comme seul objectif que d’être avec cette personne.

Une nouvelle vision des choses

En arrivant en cité, j’avais bon espoir de mieux comprendre les grands maux qui y habitent : radicalisation, immigration, trafic en tout genre, éducation… Un an plus tard, j’ai certes vu et connu comment ces problèmes se développent et font partie de la vie quotidienne des familles, et pourtant, ces maux me semblent toujours aussi complexes, aussi inextricables, voire plus confus encore après en avoir saisi toutes les différences, toutes les nuances.

S’il y a bien une chose qui a changé, c’est que pour moi, maintenant, lorsque l’on parle de trafic je pense à Djamel, Reda, Farid, lorsque l’on parle d’immigration, je pense à Robert, lorsque l’on parle de perte de repères familiaux, je pense à Younes, Sara, Yoni. Si le fait de mettre des visages sur ces questions ne les simplifient pas, ne permet pas de trouver une solution, cela m’oblige pourtant à changer de point de vue, à penser ces questions différemment, mais surtout à les penser avec un attachement tout particulier à ces personnes. Finalement, si cette expérience ne m’a pas permis de comprendre, elle m’a permis de penser autrement, de m’ouvrir à un nouveau questionnement essentiel qui, pour être vrai, devait passer par une expérience concrète.

Pour conclure

Cette année au cœur de la cité m’a permis de passer d’une vision générale, lointaine, à une vision “à hauteur d’homme”. Certains des maux de notre société sont maintenant, pour moi, incarnés. Si les résultats concrets d’une telle action sont souvent difficiles à voir, je suis persuadée de leur utilité, tant pour les personnes que j’ai pu rencontrer que pour moi-même. Le Rocher a été pour moi l’occasion de vivre avec ces personnes loin de mon quotidien habituel, si différentes de ce que je suis et ayant, de ce fait, tant de choses à m’apporter et à apporter à notre société.”

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Le Rocher est une association catholique à objet laïque d’éducation populaire. Elle a pour but l’accompagnement des enfants et des jeunes et le soutien à la parentalité dans les quartiers labellisés « politique de la ville ». La particularité de cette association tient au fait que ses salariés et volontaires vivent en cité, sur leur lieu de travail. Cette particularité qui fait le caractère unique de l’association nous permet de nous mettre au service des gens dans leur quotidien, de le vivre, mais aussi et surtout, d’accepter qu’ils fassent partie du nôtre.
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