Biodiversité et Long Terme : un défi pour la gouvernance

La biodiversité a une histoire

La thématique de la biodiversité doit être resituée dans sa perspective historique. Elle plonge ses racines dans l’apparition de la vie sur terre (il y environ 3,5 milliards d’années). Le développement de la biodiversité est lié à la pression de changement imposée par l’environnement dans un équilibre positif entre création et disparition d’espèces. Cinq grandes crises d’extinction des espèces ont été observées depuis environ 570 millions d’années(1) liées à différents facteurs comme l’augmentation plus ou moins brutale du taux de CO2 dans l’atmosphère, l’élévation de la température, la chute de météorites, l’effondrement du taux d’oxygène de l’air, avec, dans la dernière grande crise identifiée, la disparition de 96% des espèces vivantes (les espèces vivantes actuelles sont issues des 4% restants).

Comme l’indique Pierre Henry Gouyon(2) : « la biodiversité n’est pas un état, c’est une dynamique. L’image conservatoire de la biodiversité en tant qu’état va à l’encontre du mouvement même de la diversité. Elle ne permet absolument pas de préserver la biodiversité sur le long terme. […] Il ne faut pas conserver mais il faut envisager des solutions permettant de maintenir une dynamique qui produit de la nouveauté pour être véritablement en prise avec le long terme ». Il ajoute que « l’extinction est nécessaire car elle « sculpte » la biodiversité, elle favorise les lignées divergentes en créant des discontinuités entre les lignées. Mais elle ne le fait qu’à condition qu’elle soit constamment compensée par le fait que de la nouvelle diversité soit engendrée par les processus de mutation et de divergence.

Dans cette perspective, Pierre Henry Gouyon met l’accent sur l’influence des contextes culturels et sociaux dans lesquels se développent les réflexions sur la biodiversité: « nous sommes pétris d’une culture judéo-chrétienne à vocation universaliste et nous avons peine à imaginer les façons différentes dont des civilisations qui ont pourtant autant de valeur que la nôtre abordent cette question de la biodiversité ».  A titre d’exemple, notre civilisation s’est imaginée qu’il existait des forêts « vierges » (la forêt amazonienne par exemple) que les Hommes n’avaient jamais explorées, et que c’était la raison pour laquelle elle regorgeait de biodiversité. L’état de nature serait ainsi le fil rouge de la nostalgie de l’Eden. Comme l’a montré Philippe Descola(3), c’est une vision erronée, la forêt amazonienne est incroyablement « jardinée » par les indiens Ashuars. Si ces derniers cessent leur activité, cela entraîne une baisse nette de la diversité. C’est un savoir différent du nôtre mais qui présente un intérêt certain. Comme l’indique encore Pierre Henry Gouyon : “Notre vision à nous est que le monde a été créée avec toutes les espèces et la diversité actuelle et que ce monde nous a été donné pour que nous puissions nous en servir. Malheureusement, cette vision reste incroyablement présente dans nos sociétés, y compris parmi les scientifiques, bien que l’on sache pertinemment que le monde ait connu des évolutions. Du fait des questions de temps long, l’impression est qu’à l’échelle humaine, cela n’évolue plus. L’idée concomitante à celle-ci est que l’on peut puiser dans cette richesse naturelle, comme l’on puise dans une mine, sans se préoccuper du mouvement de l’évolution puisqu’il est terminé d’une certaine façon ».

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Gilles Hériard Dubreuil, Julien Dewoghélaëre, Mutadis

Extrait de « Biodiversité et Long Terme : un défi pour la gouvernance »
Vraiment durable, revue interdisciplinaire du développement durable


 (1) BOEUF Gilles, Très Long Terme et évolution du vivant, publié en ligne sur le site “Ecolo Ethik“, 16 février 2014, http://ecolo-ethik.org/le-tres-long-terme-contre-limmediatete/
(2) GOUYON Pierre Henry, in “Regards croisés sur la gouvernance du très long terme“, opus cité.
(3) L’anthropologue et américaniste, philosophe de formation, Philippe Descola est spécialiste des Indiens d’Amazonie. Ses travaux ethnographiques menés en Equateur auprès des Indiens Jivaros Achuar – à l’origine de sa thèse soutenue en 1983 et intitulée « La Nature domestique, Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar » – abordent notamment la question du rapport à la nature établi par les sociétés humaines.