Réunir les agriculteurs de la région autour d’une ferme expérimentale pour tester et valider scientifiquement des pratiques agricoles alternatives : c’est le projet de Louise Bellet, jeune agricultrice de 28 ans, qui s’apprête à reprendre l’exploitation familiale en Picardie, à Coyolles près de Villers-Cotterêts. Après plusieurs années passées à l’étranger et un master de sciences de l’environnement en poche, elle veut cultiver en utilisant les capacités de l’écosystème et en renonçant aux intrants chimiques.
Parlez-nous de votre projet de Ferme coopérative expérimentale.
J’ai repris l’exploitation familiale en voulant y intégrer mes connaissances, innover, cultiver en phase avec mes principes et en respectant l’écosystème. Après avoir rencontré plusieurs agriculteurs intéressés par cette idée, j’ai décidé de créer une ferme expérimentale sur 30 hectares de mon exploitation pour tester de nouvelles pratiques agricoles ayant une meilleure performance économique, environnementale et sociale. Ce programme de recherche sera encadré par des scientifiques pour fonder les nouvelles pratiques agricoles. Afin de pouvoir ensuite les généraliser et éviter leur marginalisation comme c’est souvent le cas. Et puis nous travaillerons avec les coopératives qui nous vendent les semences et les produits chimiques, et qui achètent nos récoltes. Car toute la chaîne de production doit être intégrée au programme : c’est la condition de sa réussite économique. Enfin nous mènerons ce projet à plusieurs: dans un rayon de 100 km nous sommes 250 agriculteurs qui nous connaissons. La majorité sont conscients que le système actuel n’est pas durable. En bref, l’objectif est, avec les 70 agriculteurs fédérés autour de ce projet, de valider un système de transition agricole.
Quelles sont ces bonnes pratiques plus performantes économiquement, écologiquement et socialement ?
Beaucoup d’études montrent aussi que certaines pratiques apportent une réelle valeur ajoutée environnementale et sociale, profitant à la fois à l’écosystème et à la société. Ainsi l’agro-foresterie, qui consiste à intégrer l’arbre dans le système agricole, permet d’accueillir un habitat d’insectes logé dans l’arbre, de planter des arbres fruitiers, ou d’exploiter le bois. Le couvert est aussi une pratique intéressante: ce sont des cultures, parfois intermédiaires parfois permanentes, qui viennent couvrir le sol lorsque qu’il n’est pas cultivé et qui habillent ainsi le paysage tout au long de l’année. Grâce à elles, la terre est toujours vivante et accueille des micro-organismes qui l’enrichissent, elle est également protégée des intempéries.
Pourquoi utiliser ces pratiques aujourd’hui ?
Ces pratiques n’ont rien de révolutionnaires, mais elles répondent à un problème environnemental: aujourd’hui les sols sont fragilisés et appauvris. Notamment à cause de la fréquence de pratiques agricoles industrielles agressives pour les sols comme la culture de la betterave dans ma région par exemple. Cela détruit la biodiversité et finalement la résistance des sols qui deviennent plus sensibles aux maladies par exemple, avec un coût financier élevé car les sols étant plus fragiles, il faut acheter plus de produits chimiques. Or ces produits sont basés sur des ressources épuisables (1kg d’azote nécessite 3kg de pétrole selon certaines sources) et leur coût augmente. En plus on en devient dépendant : par exemple, les mauvaises herbes devenant résistantes aux herbicides, il faut mettre de plus en plus de produit. Face à ces problématiques, nous voulons ramener les bonnes pratiques dans le système conventionnel.
En quoi votre projet de ferme expérimentale met-il l’homme, comme agriculteur et comme consommateur, au centre?
Avec cette ferme expérimentale, l’idée est de mettre en lien tous les acteurs agricoles qui agissent souvent séparément : les agriculteurs, mais aussi des chercheurs, des associations environnementales, les syndicats agricoles… Je voudrais aussi placer les agriculteurs au cœur des enjeux d’agriculture écologique car aujourd’hui ils en sont éloignés : ce sont surtout les consommateurs, désireux de se nourrir sainement, et la réglementation, de plus en plus axée sur l’environnement, qui portent ces idées. Je veux aussi restaurer une agriculture qui a du sens pour le territoire où elle est, c’est-à-dire une agriculture qui crée des emplois, qui est en lien avec son environnement et ses consommateurs. L’agriculture a un vrai potentiel de structuration et d’identification du territoire. Mais aujourd’hui, elle crée peu d’emplois, elle ne tient plus ce rôle de liant social, les fermes sont isolées, la majorité des productions agricoles sont exportées et ne sont pas consommées localement. Je voudrais permettre à l’agriculture de redevenir un élément de dynamique locale pour le territoire rural et ses habitants.
Etat d’avancement du projet: Louise Bellet et les quelques 70 agriculteurs qui suivent le projet entrent maintenant dans la phase de consultation des agriculteurs et des scientifiques pour les deux ans à venir. La ferme expérimentale devrait ouvrir ses portes en 2017.