En décembre 2023, nous avons reçu Vincent Vignon, écologue, fondateur d’un Bureau d’études en ingénierie écologique : l’Office de Génie Ecologique (OGE). Son témoignage suscite de nombreuses émotions, passant de l’émerveillement face au vivant à la désolation liée à la brutale chute de la biodiversité actuelle. Heureusement, les écologues veillent. Place à Vincent Vignon.
À propos de Vincent Vignon, écologue depuis plus de 30 ans
Vincent Vignon est naturaliste dans l’âme ; il suit le brame du cerf jusqu’en Italie, se met à l’affût du loup dans les Asturies et à la recherche du pique-prune dans les cavités des arbres de la Sarthe. L’anime une vraie passion pour la nature qui plonge ses racines loin dans l’enfance.
En 1991, il a contribué à créer un bureau d’études spécialisé – l’Office de génie écologique, installé à Saint-Maur-des-Fossés. Y travaillent des consultants en charge de la gestion d’espaces naturels et de projets d’aménagement notamment urbain ou routier.
Il est également membre du conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Île-de-France et membre du conseil scientifique du Conservatoire des espaces naturels des Hauts de France.
À quoi sert un écologue ?
Vincent Vignon, écologue : “On peut faire le parallèle entre notre métier d’écologue et un médecin. Notre malade est la nature – j’emploie à dessein le mot de “nature” et pas de “biodiversité”, bien que ce terme soit relativement bien compris par tous.
Depuis 1976, nous disposons d’une loi sur la protection des espaces naturels et des paysages en France. Les projets d’aménagement du territoire sont accompagnés de manière de plus en plus stricte grâce à cela. De fait, depuis longtemps, y compris en haute montagne, nos territoires sont fortement transformés par nos activités. Pas un espace n’y échappe dans nos régions.
Ainsi, quand un projet d’aménagement du territoire nous est soumis, on doit observer le patrimoine naturel : dans quel état se trouve-t-il ? Comment ce projet risque de malmener le territoire ? En fonction du diagnostic sur la faune et la flore que l’on pose, on doit trouver des solutions avec les porteurs de projets mais également avec les associations locales, les services de l’état, les conseils scientifiques régionaux, etc.
Aujourd’hui, la nature va très mal, nous assistons à un effondrement réel de la biodiversité ; on a donc une obligation de résultats pour éviter, réduire ou compenser (dans le pire des cas) les impacts de nos aménagements.
Quelle formation pour devenir écologue ?
Quand j’ai démarré ce métier, il y avait probablement moins d’un millier d’écologues. Aujourd’hui, nous sommes entre 30 et 40 000 salariés en France. Cela peut sembler beaucoup, c’est encore une goutte d’eau par rapport à l’étendu du travail. Ce nombre est d’ailleurs en forte augmentation.
Concernant les formations censées fournir de bons écologues, celles-ci couvrent à peine la moitié des besoins ; et la connaissance – essentielle – de la faune et de la flore doivent s’apprendre à l’école buissonnière. Il faut trois bonnes années pour arriver à identifier des espèces animales et végétales dans un certain nombre de domaines, avec une présence assidue sur le terrain. Il faut donc avoir anticipé avant de se lancer dans ce métier car cette connaissance de la nature est la base.
Quand la protection de la faune fait tomber des projets à l’eau
La première fois qu’un insecte a dû être pris en compte dans un projet d’aménagement, c’était en 1997. Pour faire simple, ce coléoptère, le pique-prune, a le niveau de protection de l’ours.
Cet insecte est un héritage d’un monde forestier perdu qui s’est prolongé dans les formes traditionnelles de l’agriculture. À travers cette espèce, tous les sujets sont rassemblés : l’histoire des paysages, la taille des arbres, la création ancestrale de vergers… tout cela a constitué des réseaux de cavités fantastiques qui ont accueilli la faune des forêts anciennes, aujourd’hui disparues.
Le pique-prune va mal parce que les paysages ont changé, l’abandon de l’agriculture traditionnelle n’aide pas la nature et, osons le dire, l’intensification de l’agriculture a plutôt tendance à la massacrer.
Or, le pique-prune habite sur ce projet d’autoroute lancé en 1997… Ce projet a eu un retard de cinq ans et demi ce qui a été un choc à l’époque pour l’ensemble des porteurs de projet.
Quand la vie fleurit dans les interstices
On voit sur l’image ci-dessus une dominante d’agriculture intensive : les grandes parcelles de couleurs homogènes. Et puis, tout un réticule – sorte de maillage – se dessine : ce sont les interstices.
C’est là que vous allez trouver l’essentiel de la biodiversité dans ce paysage qui a visiblement subit une perte considérable d’habitats naturels. Ces interstices créent d’indispensables liens et constituent la trame de subsistance du patrimoine naturel local.
C’est toujours intéressant de voir comment un paysage évolue, ce qui reste de l’état naturel “préexistant” et comment ça fonctionne. Les continuités écologiques sont le résultat d’un croisement entre ce qui évolue dans l’espace et dans le temps : les milieux naturels et les communautés d’espèces qui y vivent.
Les bordures d’autoroute, un milieu vivant insoupçonné
Je l’ai dit et je le répète : l’état de la biodiversité dans le monde ne va pas bien. Il y a cependant des paradoxes dans cette nature qui nous reste.
L’autoroute que vous voyez ci-dessus entaille une vallée, ce qui a généré des pentes, peu végétalisées, aux sols assez maigres. Face à cette entaille dans le calcaire et ce type de végétation, même si c’est en bord d’autoroute, un écologue bien constitué s’attend à voir des choses intéressantes en termes de faune et de flore !
De fait, aussi étonnant que cela puisse paraître, on découvre une certaine hétérogénéité en effectuant le relevé. Vous avez notamment un terrier de lapin, ce qui remobilise le sable ; les herbivores sont clés dans les dynamiques naturelles.
Accompagné par un bon botaniste, on trouve plein de raretés. À cet endroit, nous avons trouvé des messicoles – les plantes qui accompagnaient les cultures, avant que les traitements agricoles intensifs ne viennent mettre à mal ce cortège de variétés.
Au niveau des insectes, nous avons identifié de nombreuses espèces : abeilles solitaires, papillons, criquets, sauterelles…
Quelques reptiles (vipères, couleuvres, lézards) habitent également ces milieux qui chauffent.
Parfois, toujours en bordure d’autoroute, quand on s’en occupe bien, on peut trouver des pelouses fleuries exceptionnelles. Ces espaces sont très mal défendus (contrairement aux forêts par exemple) ; prairies et pelouses sont précieuses. Soignons-les.
Comment lutter contre le réchauffement climatique ?
Il y a un très fort lien entre réchauffement climatique et les fonctionnement de la nature par exemple dans le cycle de l’eau.
On a perdu à peu près 500 000 km de haies en France dont 200 000 en Bretagne ; la perte de ce réseau de haies a provoqué 30 % de pluviométrie en moins qui résulte, en partie, d’une perte de l’évapotranspiration des arbres.
De par l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols, etc. l’eau qui tombe du ciel coule plus vite dans les rivières, les rivières coulent plus vite vers l’océan – et les zones humides ont été en grande partie détruites ; le cycle de l’eau a été malmené.
Planter des arbres en ville, est toujours bonne idée ; recherchons ou testons les arbres qui survivront aux températures à venir et aux difficulté d’approvisionnement en eau ou – de manière symétrique – à la faible capacité des sols urbains à stocker et restituer de l’eau. Ce ne seront pas forcément des arbres d’essences indigènes. Il faut être pragmatique. Si les arbres sont importants pour le cycle de l’eau, ils sont aussi excellents pour les humains : on sait que les patients des hôpitaux récupèrent plus vite quand leur fenêtre donne sur de la végétation plutôt que sur du béton.
La nature, c’est notre assurance vie à l’échelle mondiale. Il nous faut la regarder d’un œil neuf, collectivement, et en préserver au maximum l’hétérogénéité ; lui laisser des parcelles sauvages, sans intervention humaine. Ce n’est qu’à ce prix que l’espèce humaine pourra poursuivre sa route sur cette planète.”
Pour aller plus loin : un portrait d’écologue.