Un architecte qui parle d’une architecte ? Pierre-Louis Gerlier dévoile l’incroyable travail d’Anna Heringer, une architecte allemande contemporaine, qui a eu la chance de réaliser concrètement le projet son diplôme au Bangladesh. C’est beau et c’est écolo : on vous laisse découvrir !
À propos de Pierre-Louis Gerlier : diplômé d’une école d’architecture (2007, École Spéciale d’Architecture, Paris), d’un master d’urbanisme (2009, Columbia University, New-York) et d’un CAP de menuiserie (2019, Lycée professionnel Léonard de Vinci, Paris), Pierre-Louis Gerlier s’intéresse tant à l’architecture dans son contexte urbain qu’aux détails – ce qui, selon lui, fait la beauté de l’architecture. En savoir plus.
Anna Heringer : entre Allemagne, Autriche et le Bangladesh
Pierre-Louis Gerlier, architecte, urbaniste, designer : “Anna Heringer a étudié l’architecture à l’université des Arts de Linz en Autriche où elle décroche son diplôme en 2004.
En 1997 déjà, à 19 ans, elle s’était envolée dans le nord du Bangladesh avec l’ONG Dipshikha qui assiste des communautés marginalisées dans l’éducation, l’agriculture et le développement de leur savoir-faire. Il était très important pour elle de travailler avec des personnes locales, et non pas pour une ONG internationale extérieure au pays.
C’est à cette occasion que prend racine son questionnement sur les potentialités du local en matière de construction : comprendre comment une culture est vécue dans le quotidien, comment cela se traduit dans les faits et comment on peut bâtir avec des ressources locales ; voilà les leçons de cette première expérience qui continuent à irriguer sa pensée et ses réalisations aujourd’hui.
À la fin de ses études, en 2005, elle a la chance de retourner à Rudrapur, au Bangladesh, pour réaliser le sujet de son diplôme d’architecture : la METI school (Modern Education and Training Institute) – également appelée Handmade school – avec des ressources locales exclusivement.
On peut dire d’elle que c’est une architecte écologiste !
Le projet “handmade school”
Anna Heringer a donc imaginé ce projet d’école lors de ses études d’architecte et a réussi à récolter des fonds, à la fin de ses études, pour en entreprendre la construction au Bangladesh.
L’ architecture d’Anna Heringer parie sur le low-tech, en construisant simple, beau et qualitatif. Au fond, pour faire une architecture écologique, c’est assez simple : il suffit que le bâtiment soit bien orienté, de créer des ouvertures aux bons endroits et de prévoir aération et isolation, selon les exigences du climat. Et en observant un peu autour de nous, on réalise que toutes ces astuces existent déjà dans l’architecture traditionnelle.
Anna Heringer s’appuie sur 3 ressources : les ressources naturelles (en l’occurrence la terre et le bambou), les habitants et la géographie. L’école qu’elle a créé en s’appuyant sur ce triptyque est donc éminemment écologique, en plus d’être sublime.
Mieux encore, avec le temps, elle est devenue un élément de fierté local : des personnes du monde entier se déplacent dans ce coin reculé du Bangladesh pour l’admirer. Anna Heringer a su redonner du sens à l’architecture locale et la moderniser en utilisant des méthodes traditionnelles et surtout en impliquant les habitants dans le processus d’élaboration et de construction de leur école.
Malheureusement, aujourd’hui en France, les futurs habitants “consomment” leur maison : ils l’achètent pour la revendre, ne la considérant ni plus ni moins que comme un investissement. Ca n’a pas de sens : pour avoir une architecture belle et de qualité, il faut que les futurs habitants s’impliquent dans ce processus de construction d’une manière ou d’une autre, avec la complicité et le savoir de l’architecte.
Un projet qui a reçu de prestigieuses récompenses
La METI school a eu beaucoup d’écho dans le monde de l’architecture. Anna Heringer a remporté plusieurs prix : l’Aga Khan Award for architecture en 2007, le Bronze for Africa and Middle East, le Regional Holcim Awards Competition et le Global Award for sustainaible Architecture en 2011.
La terre : un matériau à redécouvrir
Avec les enjeux climatiques actuels, on doit penser à l’avenir de la construction. Pour utiliser une image simple, il est nécessaire de se mettre à construire au crayon à papier plutôt qu’au stylo indélébile ; c’est quelque chose que l’on retrouve dans l’architecture en Afrique : si on abandonne un bâtiment, il va disparaître sans laisser d’empreinte sur le site qu’il a occupé. Alors qu’en France actuellement, on “tartine” nos paysages de bâtiments en béton ; le jour où le pavillon n’aura plus d’utilité et qu’il sera abandonné par ses propriétaires, on ne saura plus quoi faire de lui. Et on aura pollué le sol que l’on ne pourra plus redonner à nos agriculteurs. Nous devons nous mettre à penser à la remise en état après usage.
De ce point de vue, la terre est un matériau idéal. Sans doute parce qu’il a une âme, il interpelle nos sens : vous remarquerez que lorsque vous passez devant un mur en terre, vous avez envie d’y toucher ; et la plupart des personnes sont également bluffées par la beauté esthétique de ces bâtiments ainsi que par leur confort.
Autre avantage de la terre : on la trouve partout en abondance ; elle a par ailleurs une très bonne inertie thermique ; enfin, elle est facile à réparer.
C’est donc un matériau qui a un énorme potentiel ; pendant des millénaires, on a construit en terre dans la plupart des régions en France, en Bretagne, notamment, où les maisons traditionnelles sont construites en terre et non pas en granit.
Peut-on tout construire en terre ? Anna Heringer répond par la négative, la terre craignant avant tout l’humidité, piscines et centrales nucléaires sont d’office bannies ! Ses conseils pour faire durer une construction en terre : il faut de bonnes chaussures et un bon chapeau, ce qui signifie qu’il faut de bonnes fondations et une bonne toiture, qui déborde. L’humidité est probablement la pire ennemie du matériau, il faut y prendre garde. Pour éviter l’érosion, il faut en conséquence ralentir les écoulements d’eau en utilisant tous les dispositifs connus : ardoises, carreaux de céramique, bambous disposés en couches horizontales régulières constituent des aides efficaces.
Construire des murs ou ouvrir des fenêtres ?
Pour moi, le secret de la beauté architecturale vernaculaire, cette architecture traditionnelle qui est faite sans architecte, réside dans une réponse aboutie à l’équation “x = géographie + climat + culture + matériaux disponibles”.
Et c’est exactement ce que fait Anna Heringer avec son architecture : elle utilise les matériaux et la main d’œuvre disponible et elle implique les habitants dans le processus de construction.
L’architecture du XXIᵉ siècle s’est affranchie du climat, de la géographie et du lieu pour faire une architecture internationale : vous avez dorénavant les mêmes cubes en verre en Afrique, aux États-Unis, en Europe. Le béton a été largement utilisé et – pour rendre la construction vivable – on utilisait des climatiseurs ou des chauffages ultra performants.
Aujourd’hui, l’énergie coûte cher et on se rend compte que, en orientant le bâtiment de telle façon, en faisant des ouvertures à tel endroit, il est possible de construire pour bien moins cher. Cerise sur le gâteau : généralement, l’architecture est plus belle parce qu’elle a plus de sens.
L’architecture doit faire rêver, elle ne doit pas enfermer mais au contraire faire accéder à un imaginaire.
L’ architecture n’est pas faite pour construire des murs, mais pour ouvrir des fenêtres.”
Découvrez la version Podcast : Pierre-Louis Gerlier présente : Anna Heringer, l’architecte qui réinvente la durabilité
Pour aller plus loin sur ce sujet, découvrez l’interview de Grégoire Bignier : L’architecture face au défi climatique