Artificialisation des sols : état des lieux

2 Nov, 2020 | NATURE & ENVIRONNEMENT

Selon le Plan Biodiversité publié en juillet 2018 par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, 25 m² de sol sont artificialisés en France chaque seconde. En d’autres termes, une fois que vous aurez fini de lire cet article, quasiment deux stades de foot auront été dénaturés. Et cette artificialisation n’est pas sans conséquences : destruction de la biodiversité, participation au réchauffement climatique, facteur d’aggravation de l’exclusion sociale… 

Un état des lieux alarmant  

Selon le Plan Biodiversité, l’artificialisation est « un objet encore mal caractérisé » dont aucune définition claire n’a été légalement définie. Par ailleurs, les moyens de mesure de cette artificialisation sont hétérogènes. La méthode Corine Land Cover (basée sur les images satellites) estime une artificialisation moyenne des sols français de 16 000ha / an depuis 2006 contre 61 000 ha (près de 4 fois plus) via la méthode Teruti-Lucas (enquêtes de terrain ponctuelles recoupées avec des études de Politique Agricole Commune) ou 23 000 ha / an si l’on se base sur l’analyse des fichiers fonciers. Difficile d’estimer un taux d’artificialisation annuel précis ! 

Quelles que soient les sources et définitions, les spécialistes s’entendent à dire que l’artificialisation des sols en France est supérieure à la moyenne européenne et qu’elle augmente plus rapidement que la population. Ainsi, selon l’analyse de l’Agence Européenne de l’Environnement, la surface moyenne annuelle dénaturée pour la France est de 470 m² / habitant, contre 410 m² / hab pour l’Allemagne ou encore 260 m² / hab pour l’Italie. (ces chiffres ont été obtenus par la méthode Corine Land Cover, facilement réplicable dans tous pays Européens : une sous-estimation est donc à prévoir). 

Après 20 ans d’augmentation de l’artificialisation des sols sur son territoire, l’État français l’a défini comme tout processus impliquant une perte d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF), conduisant à un changement d’usage et de structure des sols (Plan Biodiversité de 2018). Il y intègre donc toutes les opérations d’aménagement pouvant entraîner l’imperméabilisation partielle ou totale des sols dans le but de répondre à des demandes humaines : habitations, commerces, infrastructures, équipements publics…

Raisons de l’accroissement 

Avec 4.2 millions de ménages supplémentaires depuis 1999, la croissance démographique en France est l’une des principales causes de l’accélération de l’artificialisation des sols. Pour autant, elle est loin d’être la seule ! 

L’attrait des Français pour les logements individuels en périphérie des zones urbanisées ont également leur part de responsabilité dans cette augmentation incessante de l’artificialisation des sols. Sur la période 2009-2018, les scientifiques estiment que l’habitat a représenté 68 % des terres artificialisées. Le parc immobilier français compte 35.4 millions de logements pour un peu moins de 67 millions d’habitants. 

À cela s’ajoute une augmentation non négligeable, inégale selon les régions (1.5 % dans l’Hexagone contre 3.6 % sur les territoires d’Outre-Mer), du nombre de logements vacants (8.4 % soit 3 000 logements) et la sous-exploitation des bâtis existants liée majoritairement à la popularisation des résidences secondaires (10 % du parc immobilier français). 

À noter, bien qu’elle ait diminué depuis les années 1988 (-0.7%), la part des logements occasionnels reste l’une des plus élevées d’Europe avec 25 % de la population propriétaire d’un logement secondaire en France contre 18 % en Allemagne ou encore 6 % aux Pays-Bas. Si l’on fait un calcul rapide, il y a donc actuellement un quart du parc immobilier français occupé temporairement (logements secondaires) ou inoccupé (logements vacants). Cela oblige parfois la construction de réseaux de transports et de structures marchandes supplémentaires qui participent également à l’augmentation de l’artificialisation des sols français.  

Les politiques publiques, tant nationales que locales, favorisent également ce phénomène. De nombreuses collectivités perçoivent l’accroissement des constructions sur leurs territoires comme une source de revenus (via les impôts notamment : taxe Foncière, taxe d’Habitation…). Elles travaillent donc à rendre leurs communes attractives et désirables auprès des investisseurs. Selon l’INSEE, en 2017, ces impôts auraient représenté plus de 30% des recettes communales et auraient généré un peu moins de 41 milliards d’euros à l’échelle nationale. À la vue de ces chiffres, difficile pour les communes rurales de résister à l’incitation à la construction… et donc à l’artificialisation des sols.

En parallèle, prêts à taux zéro, Loi Pinel, Loi Censi-Bouvard, Loi Alur, dispositif Scellier… les politiques publiques étatiques en faveur de la propriété foncière sont également nombreuses et popularisées par tout bord politique. 

Dernier point et non des moindres : l’artificialisation des sols est grandement accentuée par la dévaluation économique, toujours plus importante, des terres agricoles françaises par rapport aux terres urbanisables. La Safer estime qu’entre 1997 et 2010, le prix au mètre carré des terrains à bâtir aurait augmenté de 318 % contre 65 % pour les terres et prés libres. En moyenne, les terrains constructibles français valent donc 55 fois plus chers que les terres agricoles. Les propriétaires fonciers en zone rurale sont inévitablement de plus en plus tentés de céder leurs parcelles à des promoteurs immobiliers, au détriment de la filière agricole.

Remise en question  

Sous motif de répondre aux besoins sa population grandissante, la France a vu se multiplier des complexes commerciaux, des réseaux de transports, des infrastructures de loisirs (cinémas, salles de fêtes…) dont la pertinence est parfois remise en question. 

À titre d’exemple, l’Hexagone dénombre actuellement 835 centres commerciaux, pour une surface équivalente de plus de 18 millions de m². Avec une surface marchande moyenne de 0.27m² (uniquement liée aux centres commerciaux) par habitant. On pourrait penser que la France est équipée d’un réseau commerçant adapté à sa démographie. 

Et pourtant, selon le CNCC, 117 parcs d’activités commerciales sont en projet et devraient voir le jour d’ici 2022 : Open Sky Valbonne (06), Issy Cœur de Ville (92), Shopping Promenade Arles (33)… Cette artificialisation supplémentaire de 660 000 m² est dénoncée comme un favoritisme envers les intérêts des promoteurs immobiliers et des entreprises privées au détriment de la préservation de la biodiversité. 

Même constat pour le réseaux aéroportuaire français, largement critiqué par les écologistes qui le jugent beaucoup trop développé pour la population française. Selon le dernier recensement, la France compte près de 160 aéroports dont 40 d’entre eux accueillent moins de 300 000 voyageurs par an (soit 0.3% du trafic national). La densification de ce réseau est telle que de nombreuses structures sont situées à moins d’une heure de route l’une de l’autre comme les aéroports d’Annecy et de Chambéry, de Nîmes et de Montpellier ou encore de Metz et de Nancy. À ce titre, la Normandie et ses trois millions d’habitants est desservi par 4 aéroports dont 3 dans un rayon de 50 km : Deauville, Rouen, Le Havre et Caen ! 

De nombreux spécialistes s’accordent à dire qu’une vingtaine d’aéroports pourraient être supprimées, à l’image de celui de La Môle (Saint Tropez) situé à 50 km de Toulon-Hyères, 80 km de Nice-Côte d’Azur ou encore 100 km de Marseille et qui accueille en moyenne 4 000 voyageurs/an, soit moins de 11 passagers par jour ! 

outre son impact sur l’environnement, cette densification impacte l’économie française. La Cour des Comptes estime que plus de la moitié des aéroports reçoivent des subventions de l’État (de l’ordre de 100€/passager). Cette subvention peut parfois être plus importante encore, comme ce fut le cas à Montluçon-Guéret qui, en 2005, a reçu une aide de 270 000€ de la part des services publiques, soit plus de 3500€/passager ! 

« Grands Travaux Inutiles », plus connu sous l’acronyme GTI, a été créée dans les années 1980. Cette notion désigne des réalisations de grandes infrastructures qui se sont avérées, a posteriori, économiquement et / ou écologiquement contre-productives, inutiles ou déficitaires. Les illustrations sont multiples : 

  • La voie d’essai de l’aérotrain d’Orléans : construit en 1968, ce viaduc de 18 km qui aurait dû permettre de relier Paris à Orléans en une vingtaine de minutes est désaffecté depuis 1977. 
  • La Gare de Lorraine TGV : située en rase campagne, cette gare n’est pas reliée au réseau départemental et est source de nombreuses controverses. La Cour des Comptes a d’ailleurs officiellement dénoncé une mauvaise définition du projet en 2012. Des discussions sont en cours pour potentiellement la « déplacer ». 
  • Les stations de métro parisiennes Haxo ou encore Porte Molitor : faute de répondre à un réel besoin des habitants de la région, ces deux stations ne furent jamais mises en service et sont désormais uniquement visitées par des urbexeurs. 
  • La ligne SK4000 de Noisy-le-Grand : cette liaison de 560 mètres de long aurait dû relier la gare RER de Noisy-le-Grand à un centre d’affaires situé dans le centre ville. Ce dernier n’ayant jamais vu le jour, la ligne n’a jamais été ouverte au public, bien que totalement en état de fonctionnement. 

Ce concept de GTI a récemment été complété par deux notions : Grands Projets Inutiles et Grands Projets Inutiles et Imposés. Ces dernières s’appliquent aux projets en cours dont la pertinence et l’utilité sont remises en cause par les opposants pendant la phase de développement. 

Les projets les plus connus sont sans conteste l’extension du camp militaire du Larzac, l’aéroport de Notre Dame des Landes, le centre commercial Europa City (tous trois avortés) ou encore l’extension de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle avec la création du Terminal 4 (en cours)… 

Les conséquences sur la nature

L’augmentation constante de l’artificialisation des sols n’est pas sans conséquences sur la qualité de vie des Français, l’environnement, la biodiversité, le climat… 

Elle serait un facteur aggravant du réchauffement climatique : un sol artificialisé n’absorbe quasiment plus de CO2, de plus en plus présent dans l’atmosphère. Or, le pouvoir absorbant des prairies, pâturages, haies, petits boisements… est conséquent dans le cycle mondial, avec un taux d’absorption de 70 tonnes de carbone par hectare pour les pairies contre 43 tonnes pour les terres arables et moins de 1 tonne pour les sols artificialisés (70 fois moins que les prairies). 

Par ailleurs, en réfléchissant les rayons du soleil, la bétonisation participe grandement à l’augmentation de la température moyenne du globe. Cet impact a été, à de maintes reprises, mis en lumière par les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). 

L’artificialisation des sols est également une des causes principales de l’accélération de la perte de biodiversité sur le territoire. 

Voyant leurs habitats considérablement modifiés, voire, dans certains cas, détruits, la faune sauvage est obligée d’adapter son mode de vie. L’impact est parfois tel qu’aucune contre-mesure n’est possible : l’accroissement de l’artificialisation conduit alors inévitablement à la disparition de l’espèce. 

La biodiversité terrestre n’est pas la seule menacée, l’avifaune et la faune aquatique sont également largement affectées par cette artificialisation. À titre d’exemple, on estime que 421 millions d’oiseaux auraient disparu depuis 30 ans, soit en moyenne 14 millions par an… et l’artificialisation a grandement sa part de responsabilité dans ce déclin ! 

Couplée à une diminution des zones humides, l’impact sur la biodiversité française est considérable, et pourtant cette dernière est déjà mise à rude épreuve avec le réchauffement climatique et l’accroissement de la pollution de l’air. 

Les conséquences sur l’homme

L’artificialisation excessive des sols fait également peser une menace sur la sécurité alimentaire du territoire. Avec une disparition d’un quart de sa surface ces 50 dernières années, les terres arables représentent à elles seules plus de la moitié des zones artificialisées.

De nombreux chercheurs de l’Institut National de Recherche en Agronomie (INRA) ou de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) craignent qu’à terme, l’Hexagone n’arrive plus à répondre aux besoins alimentaires des Français. Ils n’excluent pas l’éventualité que la France soit obligée de se tourner vers ses voisins pour subvenir aux besoins de sa population dans les années à venir. 

Les conséquences se font aussi sentir sur la gestion des ressources en eau et l’encadrement des risques climatiques potentiellement liés. Par définition, un sol imperméabilisé n’absorbe plus l’eau de pluie : il ne permet plus la régulation naturelle des flux d’eau dans les régions rurales et urbaines. À ce titre, la France a pu constater une forte augmentation du nombre d’inondations et de crues au cours des trente dernières années. Les Alpes Maritime et le Var en 2015, le Grand Est en 2016, Paris et la petite couronne en 2017…
Les nappes phréatiques ne peuvent plus se remplir naturellement, ce qui fait peser un risque hydraulique important sur la faune et la flore, mais également sur les activités humaines. 

Sans compter que les terrains artificialisés nécessitent un entretien et un effort d’aménagement (routes, électricité, assainissement…) bien supérieur à celui des surfaces naturelles qui pèse considérablement sur les budget des communes, surtout des plus petites.

Objectif « zéro artificialisation nette »

Bien que de nombreux efforts aient été réalisés ces dernières années pour réduire l’accroissement de l’artificialisation des sols en France comme en Europe (33 000 hectares artificialisés en 2011 contre 22 400 en 2016), l’évolution des surfaces dénaturées est repartie à la hausse depuis 2017. 

Conscients de cette rechute, les services publiques européens et français se sont engagés à réduire leurs impacts. Ainsi, la Commission Européenne a annoncé sa volonté de supprimer d’ici à 2050 toute augmentation nette de la surface de terres occupées. En parallèle, la France s’est engagée dans son Plan National Biodiversité de 2018 à limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN). 

L’État français considère donc que toute nouvelle opération entraînant une artificialisation doit être compensée par une action de « désartificialisation » (friche, zone d’activité vacante, parking…) et propose 6 axes stratégiques plus ou moins détaillés pour y arriver : reconquérir la biodiversité dans les territoires, construire une économie sans pollution et à faible impact sur la biodiversité, protéger et restaurer la nature dans toutes ses composantes, développer une feuille de route européenne et internationale ambitieuse pour la biodiversité, ou encore « connaître, éduquer, former » la population. 

Bien que nécessaires et louables, ces mesures divisent et questionnent les scientifiques et les écologistes qui les jugent non suffisamment engageantes ; ne sont  détaillés ni les méthodes de définition du taux d’artificialisation annuel (Corine Land Cover, Teruti-Lucas…), ni l’échelle de l’échantillon considéré (département, région, métropole, Hexagone et DOM-TOM…), ni les modèles économiques permettant de financer la « désartificialisation ». 

Or, quand on sait que pour atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » en 2030 il est nécessaire de réduire de 70 % le taux d’artificialisation annuel et de restaurer plus de 5 500 hectares par an, il est urgent d’agir efficacement. 

Quelles solutions ? 

Outre le caractère irrémédiable de l’artificialisation des sols, renaturer des terres est un processus complexe et onéreux qui suppose de déconstruire, dépolluer, désimperméabiliser puis de (re)construire autrement, via des « technosols ». 

Ainsi, en se basant sur les chiffrages du Ministère de la Transition Écologique, la restauration des 24 000 hectares annuellement artificialisés coûterait au minimum 96 milliards d’euros (sur une hypothèse de 400€ / m²). 

Plus que renaturer, il est donc nécessaire de freiner cette artificialisation. Si aucune mesure n’est prise, le Commissariat Général du Développement Durable (CGDD) a estimé que ce sont 280 000 hectares supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030, soit un peu plus que la superficie du Luxembourg ! Plusieurs leviers existent afin de limiter la consommation d’espaces naturels ou agricoles : 

  • Proposer une définition claire et concise de la notion d’artificialisation des sols et mettre en place des indicateurs et des méthodes de collecte robustes pour avoir une meilleure appréhension du taux d’artificialisation actuel. 
  • Mettre en place une gouvernance dédiée à l’étude, la régulation et la gestion de l’artificialisation des sols en fusionnant la « Commission Départementale de l’Aménagement Commercial » et de la « Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels ». Cette nouvelle commission permettrait de regrouper l’ensemble des parties prenantes et serait chargée de délivrer les autorisations d’artificialisation en ayant connaissance de causes et surtout de conséquences sur la biodiversité, le climat et l’activité humaine.  
  • Mieux encadrer les projets de constructions via les documents d’urbanisme tels que : les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU),  les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) ou encore les Documents d’Orientation et d’Objectif (Doo). 
  • Favoriser la densification urbaine et réserver aux projets neufs les zones déjà artificialisées dans le but de réduire la mise en place d’infrastructures supplémentaires (routes, centres commerciaux…) gourmandes en terrains. 
    On parle ainsi d’« efficacité d’artificialisation », qui peut être considérablement différente d’une commune à l’autre. À titre d’exemple, entre 2009 et 2017, l’artificialisation de 11.6 hectares dans l’agglomération de Nantes (44) a permis d’accueillir plus de 11 100 ménages contre 260 pour l’artificialisation des 6.5 hectares sur la commune voisine de Pellerin (44). Ainsi, l’efficacité de l’artificialisation nantaise est 23 fois plus importante : 10 m² / habitant pour la ville de Nantes contre 230 m² / habitant pour la commune de Pellerin. 
  • Miser sur les opérations de renouvellement urbain : refaire la ville sur la ville en profitant des friches, de la réhabilitation de quartiers…
  • Améliorer l’efficacité de l’artificialisation en prenant en compte la qualité de vie des habitants dès le début des projets et en tentant de répondre sur le long terme aux besoins humains. 

Sources

Je soutiens le Courant pour une écologie humaine

 Générateur d’espérance