Artisan d’art : en quête de beau – François Leprince

25 Oct, 2024 | ART & CULTURE

François Leprince est devenu bronzier d’art après une carrière d’ingénieur. Un nouveau métier qui le transporte et dont il témoigne ci-dessous, son rapport à l’art étant oscillement permanent entre joie pure – liée à la génération de beauté – et souffrance face aux épreuves imposées par la matière.

François Leprince, bronzier d’art, fondateur de Cabiria : “Mon métier et ma passion de bronzier d’art me permettent de côtoyer de nombreux artistes, designers et architectes d’intérieur pour des prestations finales très haut de gamme.

J’ai la chance de travailler avec des créatifs qui sont à la recherche du beau à travers leurs formes, leurs lignes et leurs patines. Chacun a son style bien à lui pour présenter sa vision d’un équilibre et d’une émotion – pour partager autrement que par les mots, une élégance, une harmonie, une histoire symbolique, un ravissement du regard.

J’ai la chance de travailler avec mon équipe à la recherche de la perfection du geste. Par notre travail personnel et la réflexion collective, nous gagnons en expertise, nous développons et transmettons nos savoir-faire avec pour ambition la maîtrise de notre art. Nous sommes dans le domaine de l’excellence pour une clientèle finale exigeante. Je ne saurais pas philosopher sur les concepts de la beauté et de l’art. Par-contre, j’ai envie de vous partager deux belles émotions que j’ai eues récemment autour de la beauté, des techniques et des hommes.

Quand la technique et l’humain s’harmonisent

Nous venons de livrer une cheminée en bronze (je ne peux pas malheureusement vous en montrer une photo pour des raisons de confidentialité), mais imaginez du bronze coulé en lieu et place d’une pierre ou d’un marbre. Environ trois cents kilos. 2 mètres de long et 1,60 mètre de haut, autour d’un foyer en fonte d’acier.

Les divers éléments en bronze reposent sur un châssis tubulaire qui s’accroche sur un mur de soutènement et qui passe à travers la boiserie décorative murale.

Un des enjeux techniques pour mon équipe était de trouver un système de fixation discret des éléments en bronze sur ce châssis. L’enjeux était de taille car il s’agissait de préserver autant que possible la pureté des lignes pensées par l’architecte d’intérieur. La pression était forte car c’était un point dont la mise en œuvre était difficile à imaginer en amont, même avec nos études en 3D. Il fallait résoudre ce point en marchant, dans le feu de l’action, à quelques semaines de la fin de la production.

Mes deux collaborateurs en charge de cette réalisation peuvent me dépasser aujourd’hui en technicité, mais je conserve ma légitimité à mettre en perspective leurs hypothèses au service d’un objectif partagé. Les idées fusaient, il devenait difficile d’arbitrer. À force de les questionner et de décanter les difficultés et les craintes dans lesquelles ils se projetaient, ils ont réussi à identifier le cœur de leur problème. De là, une solution limpide est apparue. La pression est descendue d’un coup, la sérénité collective est revenue et quelques petites heures plus tard, la fixation était réalisée de manière parfaite.

Cette maîtrise technique – apparue soudainement comme une évidence – couplée à une belle réussite humaine – a été pour moi un moment de ravissement. La tension dans l’épreuve a accouché d’une solution originale et optimale.

Quand l’équilibre fait naître la beauté

L’autre moment d’émotion a été la réception de la cheminée dans l’hôtel particulier parisien. Tout était parfait. La vision globale que l’architecte d’intérieur avait en tête depuis deux ans se révélait enfin : les moulures et sculptures des boiseries, le parquet en chêne vieilli, la cheminée en bronze patinée en noir avec ses formes arrondies, généreuses, et des arêtes légèrement éclaircies pour dessiner les formes dans l’espace… L’équilibre était atteint !

L’équilibre juste des couleurs, des volumes et de la lumière. Tous les corps de métiers concernés, par leur savoir-faire propre et l’intelligence collective déployée, avaient participé à cette réalisation d’une grande beauté. Comme le maçon amoureux de son art, chacun pouvait se dire en prenant un peu de recul à la fin de l’ouvrage : « qu’il est beau, mon mur, dans la cathédrale ! ».

J’étais fier du travail accompli par mon équipe. Les gestes hésitants du début s’étaient progressivement libérés pour trouver leur juste fluidité.

François Leprince, bronzier d’art

Quand tout compte, jusqu’aux plus infimes détails

Dans la maîtrise du geste de l’artisan, il en est à l’établi comme en musique.

Il y a longtemps, j’écoutais une master classe de la pianiste Hélène Grimaud. Au début, elle décortiquait l’œuvre lentement, en montrant la cohérence qui reliait une note d’une première mesure à celle d’une mesure plus éloignée, etc. De cette manière une phrase musicale se révélait. Or Le compositeur n’avait pas conçu son œuvre pour une exécution lente : le tempo devait accélérer… Presto !  

Cette nouvelle exécution empêchait d’entendre la phrase musicale révélée à vitesse lente. À la place, une nouvelle mélodie apparaissait, reliant la première note d’une première mesure et la première note d’une mesure bien plus lointaine. L’atmosphère de cette nouvelle phrase reposait cependant sur les « petites notes » qui occupaient l’espace de la vitesse lente. Il était indispensable de les maitriser techniquement pour obtenir la vraie couleur du morceau.

Il en est de même avec le geste de l’artisan dont la qualité de fluidité est sous-tendue par des heures de pratique, à maîtriser les petits gestes qui contribuent à assoir la confiance en soi et qui permettent la libération des mouvements – gage d’une apparente, et réelle, maîtrise pour « fabriquer » l’élégance.

À son établi, en quête de la maîtrise de son art, l’artisan est beau, au-delà de la pièce qu’il peut façonner. Sa façon de se mouvoir – quelles que soient sa taille, sa corpulence ou sa force – d’organiser son espace, de prendre des risques, à sa mesure, avec humilité : tout cela est beauté. Il se confronte à la réalité.
Il n’y a pas qu’une seule manière de révéler du beau. L’image qui me vient à l’esprit est la vision simultanée des pianistes Grigory Sokolov et Yuja Wang : Grigory, au-delà de sa massivité bondissante, est d’une vélocité redoutable. Yuja, quant à elle, malgré son apparente fragilité, déploie une tout autre technique. Mais tous deux ravissent ceux qui les écoutent. Chacun à sa façon génère cette émotion intense liée à l’atteinte de l’harmonie parfaite.”


Pour en savoir plus sur François Leprince : Devenir bronzier d’art à 40 ans et être transporté au quotidien !

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