Les zones humides sont indispensables dans l’équilibre du cycle des sols, la préservation de la faune et la flore sauvages et dans la lutte contre le dérèglement climatique. Et pourtant, leur déclin est bien réel et ne cesse de s’empirer depuis le XXème siècle. Et si on prenait le temps de (re)découvrir ces milieux souvent méconnus ?
Zone humide : kesako ?
Donner une définition claire et précise des zones humides à l’échelle mondiale n’est pas chose facile. En effet, il doit exister autant de définitions que de rédacteurs, qu’ils soient scientifiques, gestionnaires de réseaux d’alimentation d’eau, juristes ou politiques.
La majorité des États doivent donc se satisfaire de la définition, assez imprécise, de la Convention relative à la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources, dite Convention de RAMSAR, en vigueur depuis 1975.
Selon cette dernière, est considérée comme zone humide toutes étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres.
La Convention de RAMSAR inclut donc la majorité des milieux marins, comme les récifs coralliens et les herbiers marins, ainsi que les cours d’eau et les eaux souterraines.
Dans son Code de l’Environnement, la France en donne une définition plus restreinte et définit comme zone humide tout terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année. (Art. L.211-1).
6% des terres émergées de la planète
Selon les scientifiques Skinner et Zalewski (1995), les zones humides représenteraient à peu près 6% des terres émergées de la planète.
L’Amazone (Brésil), la Baie d’Hudson (États-Unis), le Nil (Egypte), les Everglades (États-Unis), le Delta du Danube (Roumanie et Ukraine), le Parc national de Doñana (Espagne)… toutes les régions du monde ont leurs zones humides. Certaines peuvent d’ailleurs atteindre des dimensions considérables comme la Sibérie Occidentale (Russie) qui mesure quasiment 1 million de km², soit environ 5% de la superficie du territoire russe.
Bien que plus petites que celles précédemment citées, l’Hexagone accueille également un nombre considérable de zones humides. Parmi les plus connues, on peut citer la Baie du Mont Saint-Michel, la Réserve Naturelle de Camargue ou encore la Baie de Somme.
La France est également riche de milieux marins (récifs coralliens, herbiers marins et mangroves). Avec près de 55 000 km², soit environ 10 % des récifs coralliens mondiaux, la France héberge un capital humide considérable, parmi l’un des plus remarquables du globe.
Fonctions et services rendus
Les zones humides assurent un nombre considérable d’actions nécessaires à la vie sur Terre.
À l’image “d’éponges naturelles” elles reçoivent l’eau, la filtrent, la stockent et la restituent. Elles agissent donc comme les “reins” des bassins versants, enrichissant les sols de matières minérales ou organiques. Ce cycle améliore considérablement les conditions hydrologiques et chimiques des surfaces humides et permet le bon développement de la faune et de la flore.
Bien conscient de l’importance que peuvent avoir les zones humides et des services qu’elles peuvent rendre, l’homme les a toujours considérées avec intérêt, d’autant qu’il en est de plus en plus dépendant, quels que soient les domaines considérés : agriculture, agronomie, gestion des ressources en eaux…
À titre d’exemple, on estime que 60 % des milieux humides français ont un usage agricole et que les deux tiers des poissons consommés dans le monde proviennent de zones humides.
Les milieux humides jouent également un rôle déterminant dans la régulation et l’approvisionnement en eaux des zones rurales et urbaines. Épurateur naturel, régulateur de débit ou encore médiateur des microclimats, les zones humides évitent à l’homme la construction d’infrastructures coûteuses et complexes. À titre d’exemple, les Eaux de Paris ont estimé qu’il faudrait débourser entre 100 et 300 millions d’euros pour remplacer la Bassée, une zone inondable entre Nogent-sur-Seine et Bray-sur-Seine, par un barrage d’écrêtement des crues !
Depuis toujours, les zones humides jouent également un rôle déterminant dans la vie sociale et culturelle humaine.
Favorisant l’implantation des civilisations, à l’image des Egyptiens le long du Nil ou des Romains dans les Marais Pontins, les zones humides sont devenues avec le temps des lieux de détente et de loisir.
Même si la révolution industrielle et l’avènement de l’agriculture intensive aux XXème siècle ont, un temps, écarté l’homme de ces endroits, les milieux humides accueillent désormais les fleurons du patrimoine paysager mondial, dont une grande partie est protégée par le label Patrimoine Mondiale de l’UNESCO. L’Homme vient désormais y apprécier la beauté des paysages, la quiétude des lieux, pratiquer la chasse, la pêche ou la randonnée, observer la nature, éduquer et sensibiliser les générations futures aux enjeux de ces lieux…
Un milieu naturel en déclin
Les zones humides ont donc une valeur économique et écologique considérable, quasiment cinq fois supérieure à celle des forêts tropicales. À ce titre, la convention de RAMSAR estime qu’un septième de la population dépendrait de ces milieux et que 40 % des espèces de la planète y vivrait ou s’y reproduirait.
Et pourtant, les zones humides sont en plein déclin ! Selon l’IPBES, ce serait environ 87% des zones humides mondiales qui auraient disparues depuis le XVIIIe siècle, dont 65 % depuis moins de 30 ans. Ce déclin est d’ailleurs presque trois fois plus important que celui des forêts, pourtant largement décrié par les scientifiques, les écologistes et même les politiciens.
Et les inquiétudes persistent pour les années à venir. En effet, comme le souligne à juste titre l’ONU dans son rapport annuel de 2019, sans action concrète de la part de l’homme, c’est 85 % des zones humides restantes qui pourraient prochainement disparaître, menaçant d’extinction plus de 25 % des espèces qui en dépendent.
Les raisons de cette disparition ? Elles sont multiples : changement climatique, artificialisation des sols, des littoraux ou des berges, drainage des deltas, pression démographique, urbanisation excessive, arrivée d’espèces exotiques, extraction de minéraux, aménagement des cours d’eau…
L’homme en est par conséquent grandement responsable. Depuis des années, il oriente exclusivement la gestion des zones humides pour répondre aux besoins des populations (transport, agriculture, contrôle des inondations…) au lieu de l’intégrer dans une approche de gestion des écosystèmes et des ressources en eau.
Des conséquences comprises depuis peu
Les conséquences de la disparition des zones humides sont variées et touchent autant la biodiversité terrestre que l’environnement ou l’activité humaine.
Premièrement, la diminution continue des zones humides empêche ces dernières de lutter efficacement contre l’augmentation des événements météorologiques extrêmes résultants du réchauffement climatique, et dont nous subissons les conséquences. Crues, inondations, sécheresses, érosion du littoral… Autant d’événements qui impactent la vie humaine et animale sur Terre.
Les scientifiques sont formels, les changements d’occupation des sols et la destruction des zones humides en amont des bassins versants sont, en grande partie, responsables des graves inondations subies ces dix dernières années par la Camargue, Charleville-Mézières (Ardennes) ou encore Redon (Bretagne).
Par ailleurs, en stockant l’eau dans le sol, alimentant les nappes phréatiques, ou en la retenant à la surface, les zones humides aident à la bonne régulation des écoulements. Elles permettent ainsi de diminuer l’intensité des crues, des dommages causés par les inondations et surtout amoindrissent les épisodes de sécheresse, de plus en plus fréquents ces dernières années.
Finalement, en tant que puits de carbone naturels, les milieux humides aident à atténuer le réchauffement climatique global. Par photosynthèse, la végétation les composant séquestre le carbone et permet ainsi de réduire la quantité de CO2 dans l’atmosphère.
Et pourtant, bien que primordiales, ces qualités sont peu connues. En effet, rares sont ceux qui savent qu’à l’échelle mondiale, pour une surface de recouvrement dix fois inférieure, les tourbières stockent deux fois plus de carbone que les forêts !
Ces conséquences n’ont d’ailleurs été comprises que récemment…
Ainsi, il a fallu attendre 1970 et la convention de RAMSAR pour que l’homme commence à mesurer l’importance que peuvent avoir les milieux humides dans l’équilibre de la biodiversité et tente de mettre en place des juridictions pour assurer leur préservation.
Internationales (Convention de Berne, Convention de Rio…), européennes (Directive sur les Oiseaux, Directive sur l’Eau, Directive sur l’Habitat) ou encore françaises (Loi Littoral, Loi sur l’Eau, Loi OADDT, Loi d’Orientation Agricole…), toutes les sphères s’intéressent à cette problématique et œuvrent pour en réduire les impacts. Et pourtant, même avec cette multitude de législations, c’est seulement 20 % des zones humides mondiales qui sont actuellement protégées !
Méthode ERC et notion de compensation
En vue de protéger ces espaces à haut potentiel biologique, la législation française a instauré, depuis 1976, le principe d’Évitement, de Réduction et de Compensation (ERC) des impacts négatifs sur l’environnement. Par ce dernier, l’État français oblige les institutions privées ou publiques, développant un projet dans une zone humide, à rédiger un dossier d’autorisation, dit dossier “Loi sur l’eau”, permettant :
- d’estimer l’impact engendré sur le milieux humides,
- dans la mesure du possible, de définir les moyens proposés permettant de le réduire
- dans un cas extrême, lister les moyens mis en oeuvre pour le compenser
Ainsi, dans le cas où aucun moyen d’évitement ne peut être mis en place, le requérant devra estimer l’intérêt biologique du milieu impacté, trouver une zone présentant un potentiel équivalent puis en assurer la protection.
Le ratio de compensation est laissé à l’appréciation des Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) de la circonscription concernée par le projet. Ces seuils peuvent donc considérablement varier d’une région à l’autre.
À titre d’exemple, la Seine Normandie et l’Artois Picard impose un taux de compensation de 1 pour 1 (c’est-à-dire pour un hectare impacté, un hectare doit-être protégé), contre 1 pour 1.5 pour Adour Garonne et 1 pour 2 pour les SDAGE Loire Bretagne et Rhône Méditerranée.
Mais est-ce que tout peut être “compensé” ?
Bien que guidée par la législation française, l’appréciation des dossiers de demande d’autorisation sont laissées à des institutions locales. L’avis final est donc souvent subjectif et propre à une région ou un département, à l’image des écarts entre les taux de compensation imposés.
Aussi, il est difficile de croire que l’enjeu patrimonial d’une zone humide en Seine Normandie soit réellement deux fois inférieur à celui situé en région Loire Bretagne. La faune et la flore sauvage sont loin de se limiter aux départements ou aux frontières inter-bassins hydrologiques définies par l’homme. C’est pourtant ce que la législation française semble sous-entendre…
À ce titre, la construction d’un projet en zone humide sur la commune de Pontorson (Manche) devra être compensé à 200 %, c’est-à-dire qu’une surface deux fois supérieure à celle détruite devra être préservée par le porteur de projet, alors que s’il décide d’implanter le même projet sur la commune de Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine), l’organisme pourra se contenter de préserver une surface équivalente. Et pourtant, les deux communes sont tout juste à 4 km l’une de l’autre, difficile de croire que les enjeux patrimoniaux sont si différents.
On peut se demander si l’homme a les outils et les connaissances pour estimer qu’un biotope peut-être compensé par un autre. Le Code de l’environnement français impose aux porteurs de projets de sélectionner des zones à “équivalence fonctionnelle”, mais trouver l’équivalence parfaite semble quasiment impossible. Certaines espèces faunistiques ou floristiques seront forcément lésées dans cette démarche honorable mais incomplète.
Finalement, même si la mise en place de ces différentes mesures et de ces multiples législations ne peut être que bénéfiques pour la préservation des zones humides, on peut se demander si elles sont suffisantes.
En effet, bien qu’elles permettent d’encadrer les projets réalisés dans ces milieux et incitent leur préservation, elles n’en empêchent pas moins la destruction de certaines.
Ainsi, même si les scientifiques et les politiciens se félicitent de voir depuis 2015 une inversion de la tendance avec, pour la première fois depuis le XVème siècle, une augmentation des surfaces de certains types de zones humides dans certaines régions du globe (herbiers marins, coraux durs en Australie du Nord…), le déclin est toujours bien présent à l’échelle mondiale, avec une diminution de l’ordre de 1.5% par an.
Ainsi, même si les mesures mises en oeuvre sont louables, l’homme n’étudie pas d’autres alternatives qui pourraient potentiellement réduire encore plus le déclin des milieux humides et permettre une meilleure préservation du biotope terrestre…
La préservation des zones humides forment donc un enjeu patrimonial inestimable et sont des acteurs de choix dans l’équilibre de la biodiversité et dans l’équilibre du cycle de la vie des sols. Les récents événements nous ont montré que ne pas les considérer à leurs justes valeurs peut être préjudiciable tant à la faune et la flore sauvages qu’à l’activité humaine.
À nous tous d’en prendre conscience et de faire le choix de la préservation de nos communs.