Biographie hospitalière : retrouver du sens en fin d’existence – Valéria Milewski

23 Déc, 2024 | FAMILLE, SOLIDARITÉS & SOCIÉTÉ, MÉDECINE

“Il faut le dire : en France, aujourd’hui, on ne meurt pas forcément bien…” Forte de ce constat, Valéria Milewski, fondatrice de l’association Passeurs de mots et d’histoires, a créé la biographie hospitalière en septembre 2007 dans le service d’oncohématologie du centre hospitalier de Chartres. Un métier en passe d’être considéré comme un véritable soin pour le malade, dont les bienfaits s’étendent également aux proches et à toute l’équipe soignante.

“Il faut œuvrer pour accompagner le patient de manière très holistique, tant médicalement qu’humainement. C’est une question de société : une société qui néglige ses mourants, c’est une société qui va à sa perte.”

Valéria Milewski
https://youtu.be/LykrdZFrp5I

Valéria Milewski, comment avez-vous eu l’idée de proposer ce service de biographie hospitalière ?

Valéria Milewski, biographe hospitalière : “Depuis 2007, je suis biographe à l’hôpital ou à domicile ; cela signifie que je recueille des récits de vie auprès de personnes très gravement malades, parfois en soins palliatifs. Ce métier, que j’ai initié, me pousse à transmettre les bonnes pratiques à travers des conférences, formations universitaires…

Comment m’est venue l’idée ? Sait-on jamais d’où viennent les idées ? Toujours est-il qu’un matin, elle m’est venue et s’est imposée. Je suis d’abord devenue biographe privée, puis bénévole accompagnante auprès de personnes gravement malades. Et en rencontrant la merveilleuse équipe d’oncohématologie de Chartres, j’ai pu déployer ce métier dans le cadre de l’hôpital. C’est d’ailleurs dans ce service que je pratique aujourd’hui encore, de façon salariée.

Pour permettre à ce “métier-soin” de biographie hospitalière de se déployer, nous avons créé en 2010 l’association Passeur de mots et d’histoires. C’est une sorte de tête de réseaux pour la biographie hospitalière aujourd’hui en France. Son but est notamment de promouvoir et développer cette écoute active et bienveillante qui permettra aux patients de raconter leur histoire, souvent pour leurs proches, parfois simplement pour eux-mêmes.

Quelles sont les compétences requises pour être biographe ?

En termes de savoir-être, pour devenir biographe hospitalier, il me semble que la simplicité dans la rencontre est un élément majeur. Est toujours bienvenue également une certaine forme de légèreté, une tranquillité de cœur. Savoir écouter, accueillir l’autre dans son altérité, avec humilité, voilà ce qui me semble être des qualités de premier plan pour exercer ce métier. Et il y a également des compétences professionnelles à avoir, telle que l’écriture.

Un point de vigilance, en passant : éviter d’aller chercher dans cette rencontre intime avec l’autre des réponses à ses émois personnels.

Pour se former à ce métier, il y a un diplôme universitaire qui attire un public très varié : soignants, biographes, journalistes… Pendant un an (150h), ces personnes apprennent à tenir et rendre parole, à réfléchir sur l’éthique et la philosophie du soin ; elles comprennent rapidement que, dans ce métier, on n’est ni auteur ni sauveur.

Monsieur Gilles, patient de l’hôpital Louis-Pasteur à Chartres, avec la biographe Valéria Milewski (Le Monde).

Comment fait-on appel à un biographe, en tant que malade ?

Ce n’est jamais vraiment le malade qui fait appel au biographe. Vous l’aurez compris, la particularité de la vision portée par notre association est que le biographe hospitalier fait partie intégrante d’une équipe soignante. Il en est même parfois salarié.

Ainsi donc, si l’on prend l’exemple d’une jeune maman qui sait qu’à Noël, elle ne sera plus là, ce qui est source d’une angoisse sans nom, l’un des membres de l’équipe peut lui proposer de se lancer dans l’aventure et laisser le livre de son histoire à ses deux enfants. Dans l’affirmative, c’est ce médecin, cet infirmier ou cet aide-soignant qui fera le lien avec le biographe hospitalier.

Le biographe prend alors le relai : il va se présenter et expliquer à cette jeune maman le déroulé de la démarche (laquelle est gratuite pour le patient). Ils vont se voir le nombre de fois nécessaire et possible. Parfois, en cinq ou six séances d’une heure, c’est rondement mené. D’autres fois, ce sont des dizaines de séances qui s’enchaînent.
Il existe aussi des biographies Minute qui consistent en un entretien unique qui a autant d’importance que dix séances, notamment pour l’individu qui va pouvoir retrouver une sorte de verticalité.

Lorsque la personne va au terme de l’aventure, le biographe se hâte de rédiger, demande au graphiste d’ajouter les photos, s’il y en a, etc. Chacun se presse : l’imprimeur, le relieur d’art… Et le livre est alors remis de son vivant au malade, parfois en plusieurs exemplaires, avec une version numérique et le cahier dans lequel les notes ont été prises. C’est un moment très fort pour le patient. Et pour le biographe aussi, d’ailleurs ! Après 17 ans et des centaines d’accompagnements, c’est encore pour moi un moment extrêmement puissant.

Mais il arrive aussi que la personne meurt pendant la démarche. Avec ce métier, on apprend à lâcher totalement, à ne s’attendre à rien pour être prêt à tout. Mais même dans ce cas, la personne s’est lancée dans le processus et s’est mise à raconter beaucoup de choses. Elle décède bien plus apaisés même si la mort est toujours une tache aveugle, une fracture, un chaos.

Quand la personne est décédée, on remet le récit de sa vie à la personne préalablement nommée pour le recevoir, a minima 9 mois après le décès. Les réactions sont alors nombreuses et variées ! Mais en général, la première réaction, c’est beaucoup d’émotion

Les livres offerts en fin de démarche, soit au malade, soit à sa famille.

Biographie hospitalière : quels bénéfices pour le patient ?

Il y a des bénéfices avant, pendant et après la démarche, tant pour le patient que pour les destinataires et les soignants. Et au-delà de tout cela, il y a des bénéfices pour la société entière !

Le premier bénéfice du patient est d’être reconnu en tant que sujet pensant, vivant, avec une envie de donner du sens à son existence, de transmettre. Il sort ainsi de l’isolement dans lequel plonge parfois la maladie.

Autre bénéfice non négligeable : on a pu s’apercevoir que cette démarche, qui passe donc par une écoute active, soulage des douleurs – physiques, psychiques et même existentielles !

La narration permet de se réapproprier son histoire ; c’est une approche qui permet de se retrouver face à soi-même et de se guérir de l’intérieur. Les patients se mettent à réfléchir à leur vécu, à comprendre certaines émotions, certains événements de leur vie, souvent liés à des épreuves douloureuses, à se réconcilier avec leur passé. Écrire le livre de son histoire, c’est une forme de soin, une façon d’alléger le poids de la maladie.

À travers ce livre, les patients peuvent dire des choses qu’ils n’ont pas pu dire à voix haute ; c’est un précieux héritage pour ceux qui les entourent. Le plus beau dans ce processus, c’est de voir à quel point l’écriture permet à la personne d’aller au-delà de ses propres douleurs, et parfois de trouver un sens plus profond à ce qu’elle est.

Biographie hospitalière : quels bénéfices pour l’entourage ?

Je vous le disais, ce processus d’écriture est aussi très bénéfique pour l’entourage. Ils se sentent plus proches de la personne malade, parfois même plus compréhensifs, car le livre leur donne accès à une part de l’intime qu’ils n’auraient pas pu connaître autrement.

Et quand la personne meurt, ce livre, qui comporte parfois de belles déclarations d’amour, peut faire l’effet d’un câlin. Il devient un lien tangible entre celui qui est mort et celui qui est vivant. Ça évite aussi beaucoup de deuils compliqués.

Et il y a aussi des bénéfices pour les soignants ! Car la biographie hospitalière leur permet de vivre une médecine humaniste, de sortir de la technicité pure pour se plonger dans l’essence même de l’art du soin.

La mort, en France, en 2024 : que pouvez-vous nous en dire ?

En 2024, la fin de vie est très médicalisée en France. On meurt à l’hôpital, assez isolé. Et quand on souhaite mourir chez soi, c’est souvent dans des conditions désastreuses, particulièrement lorsqu’on habite dans un désert médical.

C’est un sujet compliqué ; il y a souvent des dissensions. On parle d’accompagnement de fin de vie, de soins palliatifs, d’euthanasie, de suicide assisté… on ne sait pas trop vers quel chemin on va… Ce qui est certain, c’est que la mort est taboue, obscène, dans le premier sens du terme : reléguée hors de la scène.

Pourtant, il est crucial de repenser notre rapport à la mort. Je suis de culture palliative ; j’œuvre pour que l’on développe la démarche au sein des services, et que dans ces mêmes services de médecine, les équipes puissent être formées à l’accompagnement des personnes très gravement malades. Et puis, il faut aussi que chaque moment de vie cohabite. Par exemple, dans le service d’oncohématologie de Chartres, il y a des lits dédiés aux soins palliatifs : sur 20 chambres, il peut y avoir une personne en rémission d’un cancer du sein, une autre en rechute et d’autres en phase terminale.

Nous faisons société, nous faisons corps ensemble. Cela permet moins d’épuisement pour les équipes. Mais surtout, on est dans la continuité de soins, dans la loyauté par rapport à l’autre qu’on accompagne du début à la fin.

En France, il y a tellement de pédagogie à faire sur ce que veut dire “situation palliative“, “soin palliatif“, “phase terminale” pour éviter de tout confondre ! Il faut le dire, en France, aujourd’hui, on ne meurt pas forcément bien : on ferme des lits, on manque de personnel, de temps, de formation à l’accompagnement, de ressources pour gérer la douleur.

Il faut œuvrer pour accompagner le patient de manière très holistique, tant médicalement qu’humainement. C’est une question de société : une société qui néglige ses mourants, c’est une société qui va à sa perte.

Heureusement, il me semble qu’on assiste à un sursaut aujourd’hui ; il y a beaucoup d’initiatives autour de la vulnérabilité, notamment. Il faut continuer d’œuvrer, avec joie !

Un dernier mot ?

On ne se rend pas toujours compte, mais la vie, ça va très vite. C’est comme un souffle, une respiration. Et même si ça se termine quand on a 100 ans, on a toujours en soi la petite voix espiègle de l’enfant de huit ans que nous étions qui se dit mince ! Mais c’est passé tellement vite !

Alors, profitons des uns et des autres, soyons ensemble et mettons le plus possible de côté conflits et aigreurs. Profitons de chaque instant parce qu’il n’y a que celui-ci de vrai.”


Pour continuer sur ce sujet, découvrez notre article : Plongée au cœur des soins palliatifs

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