Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute, propose régulièrement une chronique du Mycelium, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il propose aujourd’hui les pistes n° 11 et 12 de sa réflexion sur le « réenchantement du monde » : “nous égarer nous invite à nous requestionner : quel est mon vrai chemin et où est-il ?“.
Il ne s’agit évidemment pas de vivre un conte de fée, mais inlassablement de réparer notre monde et de le bâtir ensemble plus harmonieusement pour vivre dans notre « maison commune ».
Piste n°11 : la beauté sauvera le monde
Je suis parfois un peu irrité de lire cette phrase présentée à tort comme une affirmation de Dostoïevski.
En réalité, dans son magnifique roman L’Idiot, Hyppolite, jeune homme inquiet et à la santé fragile, interroge le Prince Muychkine : Est-ce vrai, Prince, que vous avez dit : la beauté sauvera le monde ?. Je crois que le prince Muychkine, considéré par certains comme « idiot », mais par ailleurs très admiré car il a gardé l’authenticité de son cœur d’origine, suggère que l’aspiration à la beauté, avant tout intérieure, sauvera l’être humain de ses travers (égoïsme, jalousie, cupidité, etc).
Il ne s’agit donc pas tant de sauver le monde d’une catastrophe, Dostoïevski faisant référence à une réalité essentielle – le salut personnel de l’être humain – plutôt qu’à une problématique existentielle.
Par extension, dans une tradition humaniste, travailler chacun à notre salut, n’est-ce pas contribuer à « sauver le monde » ?
Piste n°12 : incomplétude
Dans mon petit village, une association au nom prometteur de Terre et Ciel organise des séances de QI Gong, cette discipline chinoise ancestrale. Débutant, j’y ai vécu récemment une expérience marquante que rien ne présageait. Ma séance a commencé comme d’habitude par une sorte d’entrée dans un monde un peu étrange : tous, femmes et hommes plutôt âgés, nous devenons comme des enfants faisant des gestes bizarres mais ayant toujours un sens symbolique et une allure poétique (accueil des autres, extension de nos corps vers le ciel et vers la terre, gestes de bienveillance envers soi-même, etc.).
Ce jour-là, peu à peu, j’ai éprouvé la sensation que « tout l’univers » était là avec nous. Puis j’ai perçu la beauté indicible de ce « petit peuple villageois », si âgé et pourtant si jeune, si maladroit et pourtant si grâcieux, si ordinaire et pourtant si noble.
Notre humanité partagée m’est alors apparue comme un « miracle ». Les imperfections n’avaient pas disparu par magie mais semblaient peu de choses à côté de la beauté des gestes, des attitudes et des potentialités de notre échantillon humain. J’ai finalement vécu la sensation aigüe que l’incomplétude que je percevais était justement source de beauté, la vie étant, au fond, magnifiques mouvements et tentatives vers une complétude jamais atteignable.
Piège n°5 : faire le deuil ou pas
Pour terminer cette chronique, je vous propose un piège qu’il vaut mieux éviter sur nos chemins du réenchantement.
Devant la guerre qui est à nos portes, nous sommes saisis, inquiets et si impuissants ! Comment vivre ce conflit et les horreurs qui l’accompagnent alors que tout cela nous semblait encore récemment d’une autre époque ?
Au-delà des responsabilités particulières, on peut vivre ce drame comme une défaite de l’humanité qui s’est révélée incapable de l’empêcher et d’arrêter l’hubris humaine. Cela nous atteint profondément non seulement dans notre être de compassion pour ceux qui souffrent mais notre foi dans les valeurs humanistes profondes auxquelles nous sommes attachés.
Faire le deuil de ce qui n’est plus ou n’a pas pu être est un processus vital qui nous ramène à notre humanité profonde souffrante, pour nous appeler ensuite à un lâcher-prise, avant de nous ouvrir à un nouvel équilibre devant le réel.
Premier piège : ne pas consentir au deuil, c’est comme refuser un processus de réparation, c’est comme vouloir faire une économie immédiate pour le payer cher plus tard, car c’est se durcir et risquer de perdre une partie de notre cœur profond.
Deuxième piège : à l’opposé, s’enfoncer dans le deuil sans faire de lâcher prise. Le deuil se prolonge alors et risque de devenir un état dépressif durable.
Au milieu du chemin de ma vie, je me retrouvais dans une forêt obscure car la voie droite était perdue.
Dante (La divine comédie)
Le poète dit avec une merveilleuse simplicité ce qui peut nous arriver à tous : perdre notre « chemin de vie ». J’ai personnellement vécu plusieurs fois cette expérience et j’ose dire qu’elle s’est avérée « salutaire ». En effet, nous égarer nous invite à nous requestionner : quel est mon vrai chemin et où est-il ? Ce sont souvent des circonstances de vie qui nous invitent à ce questionnement (changements, perte d’un être cher, etc.). Le deuil s’accompagne alors d’un certain vécu douloureux qui n’est pas nécessairement pathologique ou signe de faiblesse. C’est une réaction de notre humanité (forcément vulnérable) touchée dans ses valeurs et sa recherche de sens.
Vivons-le comme un « passage » à traverser pour retrouver notre voie juste, vivons-le comme un état convalescent nécessaire pour avoir le temps de nous renforcer. Accueillons et accompagnons ce travail de deuil de la vie en nous, vie qui est recherche et qui nous guidera vers un renouveau à partir de « qui nous sommes vraiment ».
Découvrir les pistes 9 & 10 de réenchantement du monde
Découvrir les pistes 7 & 8 de réenchantement du monde
Découvrir les pistes 5 & 6 de réenchantement du monde