Chères limites

4 Mai, 2020 | PHILOSOPHIE, TÉMOIGNAGES

Pour Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, ce confinement que nous vivons actuellement est l’occasion d’expérimenter la fécondité qui peut naître de nos limites.

COVID et confinement nous enseignent quelque chose que nous avions peut-être oublié. Notre vie est comme une œuvre d’art à réaliser sous contrainte : au présent, jour après jour, poussé par un élan de vie, animé par la conscience de notre finitude.
Je ne crois pas que la vie contrainte soit une vie amoindrie. L’artiste peintre consent à de multiples contraintes pour réaliser son œuvre : son support, son format, sa technique… Même constat pour d’autres arts, la musique, la danse, et aussi le sport, où le corps s’exprime d’autant mieux qu’il titille ses limites. Sans limite, plus d’art, plus de sport, plus de vie.

Qu’un virus inconnu fasse entrer la mort dans notre société, c’est aussitôt l’appel à un surcroît de vie.
Qu’un confinement vienne nous imposer des limites quotidiennes qu’on croyait impensables, d’incroyables ressorts de créativité et d’humanité surgissent aussitôt partout pour habiter ce cadre restreint, inventer de nouvelles façon de se relier, de se porter assistance…
Soumis par le drame à une unité de lieu comme celle qu’exigeait la tragédie classique, chacun s’est retrouvé face au choix millénaire entre la vie et la mort : soit subir passivement, se laisser hypnotiser par l’actualité, les écrans, la peur ; soit vivre, autrement, pleinement, en demeurant souverain de son existence, pour réaliser son œuvre de reclus.

La crise d’après confinement devrait confirmer l’exigence du consentement aux limites.
Six responsables d’associations qui animent et développent des habitats partagés où vivent des personnes vulnérables ont lancé hier un appel dans La Croix. J’en extrait trois phrases pour vous inciter à lire le reste : « L’ère technologique, à deux doigts d’enfanter des surhommes, doit à nouveau apprivoiser les limites de notre humanité » ; « Les personnes les plus vulnérables nous enseignent le consentement à la limite. » ; « L’interdépendance est le seul projet de société possible. »
Les auteurs posent alors une question : « Qui acceptera de demeurer auprès de ceux qui souffrent ? » 

En lisant leur belle tribune m’est revenue la joie reçue pendant les séjours et vacances passés avec des enfants et des jeunes porteurs de handicap, dans le cadre de l’association À Bras Ouverts : chaque relation avec une personne fragile est comme une œuvre d’art, où nos douloureuses limites sont des provocations à davantage d’amour. Cette œuvre sans cesse à poursuive est comme un voyage en humanité qu’on réalise ensemble.
Vivre davantage ensemble, voilà ce qui humaniserait la société de demain.

Source de l’interview : édito du 1/05/2020 de Tugdual Derville sur RCF

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