Citiz : penser la mobilité autrement

3 Déc, 2021 | DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, ÉCONOMIE

Martin Lesage et Stéphanie Pesenti travaillent au sein de Citiz, une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Lui est directeur, elle est en charge du développement commercial et de la communication. Ensemble, ils racontent l’histoire de ce réseau d’autopartage, qui permet de penser autrement la mobilité.

“Pourquoi est-ce que tu continues à avoir une voiture que tu n’arrives pas à entretenir, à garer et qui t’encombre ? Une voiture, ça reste 97 % du temps sur sa place de stationnement et c’est le premier ou deuxième budget des ménages…”

13 ans d’histoire

Martin Lesage : “Il y a treize ans, j’ai eu envie de créer un service d’autopartage. À présent, je suis le chef d’orchestre d’une équipe d’une vingtaine de personnes : Citiz !

L’idée a surgi de deux sources :

  1. Grenoble, où une association avait décidé d’acheter cinq voitures afin de les partager.
  2. Chambéry, où pour la première fois, j’ai loué une voiture à un loueur longue durée. Et, progressivement, j’ai reloué cette voiture à des particuliers qui souhaitaient l’utiliser.

Lorsque nous avons atteint une dizaine de voitures à Chambéry et vingt-cinq à Grenoble pour une centaine d’utilisateurs réguliers, nous avons décidé de relier les deux structures. Nous avons choisi de monter ensemble une société coopérative d’intérêts collectifs, ce qui nous a permis de demander aux usagers d’investir du capital dans la création de cette nouvelle structure.

Aujourd’hui, Citiz compte 500 coopérateurs et un capital de plus de 800 000€. Elle génère plus de 2 millions d’euro de chiffre d’affaires, sur 70 communes (Rhône-Alpes et Auvergne). 

C’est donc une histoire qui s’est d’abord construite avec nos utilisateurs et, par la suite, avec les collectivités qui nous accueillent.”

Le déclic

M. L. : “Dans les années 2007-2008, nous faisions deux constats :

  1. notre modèle économique avait besoin d‘une transition.
  2. la voiture était devenue omniprésente ; et c’est toujours le cas aujourd’hui.

L’idée était donc de casser cette spirale de développement exponentiel du nombre de voitures. C’est un cercle vicieux : plus ça va, plus il y a de voitures, plus il y a de routes, etc. Et nous ne cessons d’empiéter sur la nature. J’ai vécu dans les années 70, il y avait nettement moins de voitures et on ne s’en portait pas plus mal… Il y a donc eu une véritable prise de conscience : il faut qu’on change !

Avant Citiz, j’ai travaillé dans l’automobile et l’électronique. Mon métier consistait à suivre les pérégrinations des voitures et notamment à les protéger contre le vol. Connaissant cette industrie, je me suis dit qu’avec ces mêmes systèmes, nous pouvions faire ce que d’autres pays européens faisaient déjà : partager nos voitures.”

Travailler dans l’économie sociale et solidaire (ESS)

Stéphanie Pesenti : “J’ai rejoint Citiz en 2008, pour mon alternance en Master 2 de Conduite de changement de projet en entreprise. C’était un Master à l’université, avec une dominante d’ESS et j’en étais ravie. C’était une véritable envie pour moi de travailler dans ce secteur au sein de laquelle l’union fait la force : on essaie autant que possible de travailler ensemble, d’être solidaires, que ce soit dans les choix des fournisseurs ou dans la recherche de partenariats intelligents. Lorsqu’on m’a présenté le concept de Citiz, je l’ai trouvé très intelligent : trop de voitures en ville sont sous-utilisées et dorment sur leur emplacement.”

Citiz VS les plateformes de location de voitures de particulier à particulier

S. P. : “Nous avons un service qui va au-delà d’une plateforme de mise en relation entre des propriétaires de voitures et des personnes qui en recherchent.

Le propriétaire de la voiture prend en charge l’assurance 24h / 24 et 7j / 7. Citiz, de son côté, gère l’entretien mécanique et la carrosserie et créé des emplacements réservés, ce qui est un véritable bénéfice pour les citadins qui n’auront pas à tourner pour trouver une place de stationnement.

Le propriétaire est considéré comme un autopartageur : il ne garde donc pas les clés de sa voiture. Lorsqu’il souhaite en faire usage, il la réserve sur le planning de réservation, avec une heure de début et de fin. Il participe pleinement à la dynamique d’optimisation de l’usage de sa voiture. Cela se fait assez naturellement, en réalité !


M. L. : “Notre système donne plus de garanties à l’utilisateur et libère le propriétaire de toutes ses contraintes techniques. En effet, quand on est propriétaire d’une voiture partagée entre particuliers, on doit continuer à faire le nettoyage, l’entretien, le plein de la voiture, trouver une place de stationnement, etc.

Et l’utilisateur sait qu’il a un service fiable, géré par des professionnels de l’automobile : si un jour la voiture près de chez lui n’est pas disponible, il lui suffit d’appeler la plateforme et on le bascule instantanément sur une autre voiture, même en cas de retard ou de problème technique, par exemple.”

Changer de mentalité

M. L. : “Bien sûr, nous rencontrons beaucoup de freins.

  1. Je ne peux pas me passer d’une voiture car, de temps en temps, j’en ai vraiment besoin.
    Notre réponse à cela ? C’est justement pour cette raison que l’autopartage existe !
    Vous pouvez vous passer d’une voiture la plupart du temps et lorsque vous en avez besoin, vous louez une Citiz !
    Il faut un élément déclencheur pour se mettre au partage de voitures. Ces freins sont souvent levés par l‘aspect financier.
  2. L’aspect pratique : plus les villes sont congestionnées, plus il est difficile de stationner ; la voiture devient galère. C’est pour cette raison évidente que beaucoup se passent de voiture dans les grandes villes comme Paris.
    Cet aspect est moins évident dans les petites villes par lesquelles nous avons commencé, et c’est toute l’originalité de notre projet.
    Grenoble était une petite ville par rapport aux grandes capitales ; qui plus est, c’est une ville où l’on a toujours besoin de la voiture (aller en montagne…)
    Les premiers à utiliser ce service sont des passionnés d’écologie, de montagne, des personnes qui circulent beaucoup à vélo, font de la randonnée et se disent que la nature est de plus en plus polluée par les voitures : on les retrouve partout, dans les prés, les bois et les montagnes. Ce sont ces personnes qui ont lancé le mouvement. Et ensuite, le bouche-à-oreille est notre meilleur outil marketing !

L’idée est de penser sa mobilité autrement : faire du vélo, de la marche à pied, utiliser des transports en communs, une trottinette, etc. Combiner intelligemment, en fonction de nos besoins réels, tout ce qui nous est proposé. Pourquoi continuer à avoir une voiture qu’on n’arrive pas à entretenir, à garer et qui encombre ?

Un gain écologique ET financier

S. P. : “Une voiture reste 97 % du temps sur sa place de stationnement ; elle représente le premier ou deuxième budget des ménages. Selon Automobile Club, le budget annuel d’une voiture est de 7000€. Chez nous, ce budget est divisé par deux !

Nous avançons des arguments concrets économiquement car nous sommes conscients que l’écologie va aussi avec l’équilibre économique. Les témoignages sont nombreux, notamment d’autopartageuses. Des mamans de quatre enfants, n’ayant pas de voiture mais utilisant Citiz. Quand leurs amis s’exclament : C’est incroyable, tu n’as pas de voiture ! Mais comment fais-tu ?” Elles leur expliquent : Ma voiture, je la réserve et quand elle arrive équipée de quatre pneus neige et d’un siège bébé en bas de chez moi, je reçois un SMS. Je n’ai plus qu’à descendre, badger et démarrer ! Elles apprécient donc vraiment la praticité du service, qui leur permet de mettre leur énergie ailleurs que dans la voiture.

Écologiquement parlant, l’autopartage est aussi un grand atout. En mutualisant les voitures on évite d’en rajouter en ville, surtout si elles ne sont pas utilisées. Une voiture Citiz voiture remplace neuf voitures individuelles. Nous sommes très fiers de ce ratio. L’optimisation des ressources est donc une vraie solution pour l’écologie.”

M. L. : “En utilisant les services de Citiz, les autopartageurs divisent à peu près par deux le nombre de kilomètres parcourus en voiture. C’est une vraie économie d’empreinte écologique. Les autres kilomètres, soit on ne les fait plus, soit on les fait en train, à vélo, en bus, en tram ou à pied.”

La deuxième économie réalisé est celle des ressources. En choisissant une voiture en autopartage, on élimine de la ville neuf voitures qui dorment, soit des ressources gaspillées qui encombrent la ville. On met en place un cercle vertueux qui, au niveau macroéconomique, représente des économies énormes pour nos villes et notre pays : moins de routes, moins de parking, moins de voitures et moins d’empreinte écologique. Sans compter que cela apporte une meilleure santé : au lieu d’être dans une voiture, on se remet à marcher ou à pédaler, ce qui est nettement meilleur, à pleins de niveaux !”

Pour des usages quotidiens et pour l’extraordinaire

S. P. : “Il est tout à fait possible de partir en vacances avec Citiz. Généralement, les voitures partent même trois semaines l’été. On peut circuler dans toute l’Europe. Le seul engagement est de re-garer la voiture à l’emplacement où on l’a prise, à l’heure de fin de réservation (on peut même prolonger son heure de fin en cas de retard). Le système est flexible.”


M. L. : “C’est comme réserver sa place dans le train : la voiture est réservée de telle heure à telle heure pour faire tel ou tel trajet. On peut également rationnaliser son usage de la voiture et choisir des modèles différents selon nos usages. On ne va pas prendre un minibus de neuf places pour aller faire des courses, ni mettre deux personnes dans un véhicule neuf places pour aller faire une balade. On va prendre une voiture adaptée à la durée du trajet et au nombre de passagers.”

Partenaires des collectivités

M. L. : “Aujourd’hui, la moitié des communes dans lesquelles nous sommes présents sont entrées au capital de la coopérative d’intérêts collectifs. Nous avons une vraie coopération et travaillons sur l’évolution de l’urbanisme de nos villes. Nous ne pourrions pas fonctionner avec elles sans qu’elles ne mettent à disposition des places de stationnement ou sans établir des accords de partenariats avec les transports en commun.

De fait, si vous êtes abonné au service de transports en commun de votre ville, vous pouvez bénéficier d’avantages chez Citiz et inversement. En outre, les collectivités savent que l’autopartage leur permettra d’économiser des places de stationnement, ce qui permettra la création de voies cyclables, des voies de bus à haut niveau de service, etc. Dans toute collectivité où l’on voudrait aller ou qui voudrait nous voir s’installer, nous expliquons que c’est un partenariat à long terme. C’est la raison laquelle on leur demande maintenant d’entrer dans notre capital, de développer un partenariat et d’imaginer la ville de demain. L’autopartage Citiz, c’est aussi une vision politique de la ville de demain. Nous travaillons avec des techniciens et les élus, sachant qu’il faut les deux au sein d’une pour que cela fonctionne mais il faut également les citoyens. C’est ensemble qu’on fait bouger nos politiques, pour une ville de demain différente.”

Se relier

M. L. : “À l’échelle des quartiers le seul fait de ne plus utiliser la voiture mais de se déplacer à pied ou à vélo, favorise les liens. On a beaucoup plus de temps pour s’arrêter et discuter avec quelqu’un quand on est à vélo ou à pied, même si c’est juste pour dire bonjour. En voiture, vous voyez rarement des gens se saluer mis à part un coup de klaxon. C’est lié au fait de se déplacer plus lentement.

Et puis, la vie de quartier n’est pas uniquement faite de mobilités, mais également de projets d’associations de quartier, d’épiceries solidaires, d’associations qui vont promouvoir tel ou tel service… Généralement, quand nous sortons du réflexe de fonctionner tout seul, on s’ouvre plus. Ce qui aura évidemment un impact dans tous les domaines de nos vies.”

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