À 31 ans, Amélie Roullier apprend le décès de son plus jeune frère, Dominique, dans un accident de voiture. Comment traverser un tel deuil ? Quelles sont les difficultés auxquelles elle a dû faire face ? Avec quels appuis a-t-elle pu avancer ? 8 ans plus tard, Amélie témoigne, en toute transparence.
“Il y a deux ou trois ans, j’ai commencé à poser des mots sur chacune des étapes traversées, en écrivant l’histoire de mon deuil. J’avais envie de pouvoir partager cette expérience et de permettre aux autres d’avoir des clefs pour mieux traverser leur deuil. Cette relecture a été très riche en enseignements – autant pour les autres que pour moi : je vais vous livrer ce que j’ai appris ou réappris.”
Amélie Roullier
À propos d’Amélie
Amélie Roullier est coach professionnelle : Elle accompagne aujourd’hui des personnes confrontées à des virages imposés. Précédemment, elle a eu un parcours variés, animé par deux dynamiques : prendre soin des autres et aller toujours plus loin. Au départ aide-soignante, elle est ensuite devenue ingénieure qualité puis consultante dans l’agro-alimentaire, avant de se former à l’accompagnement.
Histoire d’une tragédie
Amélie Roullier : “Cette année-là, nous venions de passer Noël chez ma grand-mère, dans le sud de la France. J’ai 31 ans et Dominique, 18. Nous sommes chacun à un bout de notre nombreuse fratrie. Deux jours après la fête, nous décidons de nous rassembler en “famille nucléaire” dans le nord de la France, chez mes parents. Une grande traversée s’organise.
Une de mes sœurs, mon frère et mon père partent ensemble en voiture alors que je prolonge mon séjour chez ma grand-mère : j’ai encore des amis à voir. Ce soir-là, en me connectant sur Facebook, je découvre la photo de mon frère accompagnée de la mention R.I.P. C’est extrêmement violent. Je me dis qu’il doit y avoir une erreur, une confusion. Malheureusement, c’est bien la réalité. Rapidement, ma mère m’appelle pour me confirmer la nouvelle : il y a eu un accident. Dominique est bel et bien mort.
Je vais devoir faire mon deuil de mon frère…
Une relecture riche en enseignements
Être en deuil, c’est traverser des phases de déni, de colère, de marchandage, de tristesse jusqu’à l’acceptation. Ces phases peuvent s’étaler sur des périodes plus ou moins longues. Pour moi, cela a duré plusieurs années.
Il y a deux ou trois ans, j’ai commencé à poser des mots sur chacune des étapes en écrivant l’histoire de mon deuil. J’avais envie de pouvoir partager cette expérience et de permettre à d’autres d’avoir des clefs pour affronter plus sereinement cette épreuve. Cette relecture a été très riche en enseignements – autant pour les autres que pour moi : je vais vous livrer ce que j’ai appris ou réappris. Ce n’est sans doute pas exhaustif mais il me semble que c’est le plus marquant.
Les réalités du deuil : chacun le vit de façon unique
Quand Dominique est mort, j’avais la naïveté de croire que le fait de vivre cette épreuve en fratrie nous aiderait. Nous nous entendions bien, je pensais donc qu’on allait vivre ça main dans la main, coude à coude, et que nous serions soudés face à l’adversité.
Si nous avons été là, à la hauteur de nos possibilités, les uns pour les autres, la réalité est que nous avons chacun vécu notre deuil de façon très unique et dans une certaine solitude.
Les réalités du deuil : faire du temps son allié
La deuxième chose que j’ai réapprise, c’est l’importance de consentir au temps, de faire de lui son allié. Dans notre société, on veut toujours aller vite, être dans la performance. En ce qui concerne le deuil, cela se traduit par une forme d’impatience. Au bout de trois mois, on est prié de retrouver son sourire et avancer.
En réalité, un deuil peut être extrêmement long et durer des mois ou des années entières. Les étapes se succèdent, les émotions vont et viennent…
Il a fallu à un moment de mon deuil que je me dise : “j’accepte que seul le temps va me consoler, m’apprendre à voir les choses belles qui se sont passées dans cette épreuve, comprendre qui je suis devenue après cela et me permettre d’exprimer mon vécu.”
Les réalités du deuil : puissance de la vulnérabilité
Nous avons toujours tendance à parler de nos exploits, de nos réussites. À l’inverse, évoquer notre vulnérabilité nous fait peur – comme tout sujet qui pourrait remuer un peu trop nos interlocuteurs.
Il se trouve qu’au fur et à mesure des années, je me suis aperçue qu’oser se montrer vulnérable, évoquer ses difficultés, ses douleurs, permettait aussi d’ouvrir un espace ; on offre alors l’autre un moyen d’entrer dans une relation plus profonde, une relation purement humaine, dénuée des injonctions de performance de la société.
On sort enfin de l’Instagrammable pur et dur et ça, ça fait du bien !
Les réalités du deuil : poison de la comparaison
La comparaison est un poison. C’est la pire des conseillères.
Concernant le deuil, on a naturellement tendance à comparer la souffrance, la situation, la douleur, de deux personnes qui semblent vivre la même chose. On cherche à tout savoir pour pouvoir donner des conseils alors que souvent la personne endeuillée ne cherche qu’une simple écoute, une oreille attentive et empathique.
On peut aussi avoir tendance à regarder le deuil de l’autre et se dire que, pour cette personne, c’est plus facile à porter pour X ou Y raison. C’est un très mauvais pli à prendre car alors, on s’enferme, on se coupe des autres.
Affronter le deuil : ce que mon entourage m’a apporté
Étonnamment, une chose concrète qui m’a aidée à traverser le deuil a été des paroles que l’on m’a dites, lesquelles, au départ, m’ont parfois fait du mal, mais qui étaient des vérités sur des choses que j’allais traverser.
Par exemple, un ami – qui avait malheureusement la même expérience que moi – m’a dit un jour : « tu vas être toute seule dans ton bateau, Amélie ». Je m’en souviens comme si c’était hier. Je n’y croyais pas. Cependant, quand j’ai vécu cette sensation de solitude, j’ai été rassurée de savoir que c’était normal, ou classique en tout cas. Il y a d’autres choses que l’on ne m’a pas dites et qui m’ont manqué ; mais savoir ce que l’on risque de traverser comme épreuve est, à mon avis, rassurant et donne de la force. Cela m’a permis d’accepter certaines choses qui étaient très difficiles à vivre.
Autre élément qui m’a beaucoup aidée, c’est d’avoir des amis qui ne changent pas. Une réaction assez naturelle face à quelqu’un qui souffre est d’imaginer ce qu’on aimerait à leur place. Plus de blague possible, plus d’humour : il s’agit d’être sérieux, rigide, triste. Or, finalement, les amis qui m’ont le plus touchée sont ceux qui sont restés eux-mêmes, avec leur attitude positive et leur fonctionnement de toujours : continuer à me proposer des sorties, des moments conviviaux, légers, etc.
J’ai aussi apprécié que l’on me tende des perches pour reprendre, petit à petit, des responsabilités associatives à la hauteur de ce que j’étais capable de donner. En douceur, sans forcer, en me laissant mon libre-arbitre. Me mobiliser sur de petites choses, très progressivement, en acceptant que je ne sois pas aussi efficace qu’avant d’être confronté au deuil. Et ça, ça m’a tenue debout, d’être encore capable de donner aux autres, pas seulement de recevoir.
Conseils aux endeuillés
Durant ma relecture, j’ai rencontré un certain nombre de personnes qui ont vécu cette expérience du deuil d’un frère ou d’une sœur. Échanger avec eux m’a permis de réaliser ce qui nous touchait tous, de façon universelle. J’en tire quelques propositions pour avancer, si vous êtes au cœur de cette épreuve.
- Se faire accompagner si l’on en ressent le besoin ; votre frère, votre sœur, vos parents, vos amis proches, sont aussi impactés que vous par ce deuil. Ils souffrent. Et pour ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance, vous pouvez avoir tendance – consciemment ou inconsciemment – à éviter de vous épancher, de vous livrer, d’exprimer vos émotions et au bout du compte de vous replier sur vous-même. Dans cette situation, l’accompagnement d’une personne extérieure, plus neutre, peut faire beaucoup de bien.
Pour moi, ça été une étape très importante et ça ne m’a pas empêché d’en parler aussi en famille. Mais j’avais besoin de cet espace supplémentaire. - Se relier à d’autres qui vivent la même chose. C’est consolant de ne pas se sentir seul. Deux sites qui pourront peut-être vous aider : mieux traverser le deuil et la vie, la mort, on en parle.
Vous y trouverez des pistes de réflexions, des ressources diverses (livres, films, témoignages…) et les contacts d’association qui proposent – entre autre – des journées d’échanges pour les personnes en deuil. - S’autoriser les larmes, les cris, des exutoires spécifiques qui nous font du bien. Prendre du temps pour soi. Si vous avez besoin de courir, si vous avez besoin de danser, si vous avez besoin de voyager, faites-le ! Le deuil est un tourbillon émotionnel, surtout les premières années – on passe de la joie aux larmes. La vie continue autour de nous, ce qui peut être compliqué à vivre. Il faut avoir ces espaces de douceur, de plaisir. Chacun est différent donc chacun doit trouver le sien.
- Ne pas attendre des autres une compréhension totale. On est tous unique et personne, jamais, ne comprendra vraiment ce que l’on est en train de traverser. Et ça, c’est difficile. Il faut souvent beaucoup de temps pour l’accepter.
- Contempler le soleil qui traverse les nuages. Petite touche poétique pleine d’espérance ! Se rappeler sans cesse que le soleil, même derrière les nuages, même quand on ne le voit plus et qu’on a oublié à quoi pouvait ressembler sa chaleur, est bien là. Et qu’à un moment, il se montrera à nouveau. Se laisser travailler par cette image-là permet aussi d’avancer, de garder le cap.
Soutenir les endeuillés
Tout le monde ne traverse pas le deuil. Si vous n’êtes pas vous-même en deuil, il y a peut être une personne dans votre entourage qui le vit aujourd’hui. Voici quelques pistes pour pouvoir l’entourer et la soutenir :
- Rester soi-même. Votre ami endeuillé vous attend vous et personne d’autre !
- Demander des nouvelles d’abord de la personne à qui vous parlez avant de vous inquiéter du reste de la famille. Combien de fois, en tant que sœur ou frère, on entend en première question : “comment va ta maman ?” Je ne nie évidemment pas la souffrance abyssale des mamans. Je l’ai vue de près. Celle des pères est d’ailleurs assez ignorée. Mais quand vous êtes face à quelqu’un qui a traversé un deuil dans sa famille, prenez soin de lui avant tout ; ensuite, seulement, intéressez-vous aux autres.
- Être attentif, manifester sa présence, écouter, savoir laisser la place au silence. Éviter les conseils !
- Proposer de l’aide sans l’imposer.
- Rester présent dans le temps et ne pas aussi prendre mal un refus pour telle ou telle activité ; ça ne veut pas dire que la personne coupe la relation.
De vrais trésors intérieurs
Pour conclure, gardez en tête que l’on a des ressources intérieures impressionnantes pour traverser les épreuves de vie. On en découvre d’ailleurs souvent au cœur de la tempête.
Parfois, il faut trouver les personnes qui nous aident à les débusquer, les faire s’épanouir ou simplement prendre conscience de ce que l’on a fait inconsciemment..
L’épreuve est un catalyseur de vie ; le deuil est un catalyseur pour vivre mieux et de manière plus belle et plus intense.”
Poursuivez votre lecture avec le discours de Tugdual Derville lors de notre dernier forum : passer d’un monde d’objets à un monde de relations