Comment préparer la rentrée ? #LaFontaine&Cie

4 Sep, 2024 | ART & CULTURE, TRAVAIL

Nous arrivons au terme de cet « été avec La Fontaine & Cie » qui aura vu défiler Voltaire, Aragon, Hugo, Eluard, Maurois, La Fontaine, Saint Exupéry, Apollinaire, Lamartine. Il est plus que temps de donner la parole à une voix féminine, Alexis Milcent nous propose ainsi une analyse des Sonnets de Louise Labé, poétesse du XVIe siècle.

Gravure , Portrait de Louise Labé (1526-1566) poétesse française dite la belle cordière , Collection particuliere.

Le texte

Sonnet XV 

Pour le retour du Soleil honorer, 
Le Zephir, l’air serein lui apareille : 
Et du sommeil l’eau et la terre esveille, 
Qui les gardoit l’une de murmurer, En dous coulant, I’autre de se parer 
De mainte fleur de couleur nompareille. 
Ja les oiseaus es arbres font merveille, 
Et aus passans font l’ennui moderer : Les Nynfes ja en mile jeus s’esbatent
Au cler de Lune, et dansans l’herbe abatent : 
Veus tu Zephir de ton heur me donner, Et que par toy toute me renouvelle ? 
Fay mon Soleil devers moy retourner, 
Et tu verras s’il ne me rend plus belle. 

 Pour le retour du Soleil honorer,
Le Zéphir l’air serein lui appareille, 
Et du sommeil l’eau et la terre éveille, 
Qui les gardait, l’une de murmurer 
En doux coulant, l’autre de se parer 
De mainte fleur de couleur nonpareille 
Jà les oiseaux ès arbres font merveille, 
Et aux passants font l’ennui modérer 
Les nymphes jà en milles jeux s’ébattent 
Au clair de lune, et dansant l’herbe abattent.
Veux-tu Zéphir, de ton heur me donner, 
Et que par toi toute me renouvelle ? 
Fais mon Soleil devers moi retourner, 
Et tu verras s’il ne me rend plus belle. 
Sonnets, Louise Labé

« Pour le retour du Soleil honorer »

En ces temps de rentrées scolaires et professionnelles, on peut s’interroger sur cette notion de retour, de recommencement. La vie des entreprises est faite de cycles : sinusoïdale des marchés, cycles budgétaires, cycle de vie des produits, etc.

Cela peut être perçu comme une routine épuisante mais Louise Labé y voit une lumière. Le « retour du Soleil », c’est une chance supplémentaire qui nous est donnée. Ce grand retour est l’occasion de se souvenir de ce qui a fait ses preuves autrefois et ce qui aurait pu mieux fonctionner. C’est donc une occasion de progrès et il faut s’en réjouir. Pour rendre les honneurs, il faut une conscience, une prise de recul, une reconnaissance.

=> De quoi sommes-nous reconnaissants dans l’année écoulée ? 
=> Que souhaitons-nous célébrer ? 
=> Et par là même que souhaitons-nous améliorer ?

« Le Zéphir, l’air serein lui appareille »

Car, chez Louise Labé, la célébration passe par l’action, l’amélioration, la transformation.
L’air était vicié, on crée un appareil, l’air est sain. 
C’est immédiat et sans appel : on agit sur son environnement immédiat, dans sa zone d’expertise, en autonomie.
Le truc de Zéphir, c’est l’atmosphère et il y remédie sans détour.
La phrase est ciselée, au risque de triturer la tournure, pour suggérer cette immédiateté en accolant « Zéphir » et « l’air serein » : le sujet et l’objet direct sont consubstantiels.

=> C’est la rentrée : que fais-je pour améliorer les choses dans mon périmètre ?
=> Que puis-je faire par moi-même, en toute autonomie et sans rien attendre d'autrui, pour ouvrir un cycle d’amélioration ?

« Et du sommeil l’eau et la terre esveille »

Une fois l’air assaini, Zéphir a la légitimité pour aller voir d’autres éléments.
Ce regard positif et ce choix posé (celui d’honorer le retour du Soleil) sont communicatifs et entraînants.
Le phénomène d’amélioration procède par cercles concentriques : Zéphir invite la Terre et l’Eau, qui vont déclencher les fleurs et les oiseaux, qui eux-mêmes vont lancer les passants et les nymphes.
On a ainsi une vague, une vitalité qui peut prendre tous l’univers : 

  • Humains (« passants ») et divinités (« nymphes ») s’associent au mouvement.
  • Les nymphes réconcilient le cosmos, le théâtre de leurs jeux allant des brins d’herbes à la lune
  • Le temps est lui aussi unifié puisque le « clair de lune » est concomitant au « retour du Soleil »
=> Quelles sont les personnes que je peux associer à ma volonté de progrès ?
=> Quelle est la structure de mes cercles d’influence : quels pourraient être mes appuis proches, puis à qui pourrions-nous élargir le mouvement ?

« Ja les oiseaus es arbres font merveille »

Rien ne semble donc résister au phénomène à l’oeuvre. Mais que se passe-t-il ?
A priori, on passe du noir à la couleur, il y a très nettement une mise en mouvement, associé à un caractère esthétique (« font merveille »), à un divertissement « en mille jeux ».
On a vu que ce mouvement transforme progressivement tout l’univers dans un mouvement d’unité.
Mais notons que les modalités évoluent également : 

  • On commence par un travail (« l’air serein lui appareille »).
  • L’eau et la terre, extirpées de leur torpeur sont encore dans le domaine des tâches à accomplir mais on glisse pas à pas vers l’esthétique (« murmurer », « se parer »).
  • In fine, les derniers protagonistes sont dans le domaine de l’art et du divertissement (« font merveille », « en mille jeux s’ébattent »).
  • Lesquels deviennent les modalités du travail puisque c’est en dansant que le jardin est finalement entretenu (« dansant l’herbe abattent »).

D’une volonté de progrès initiale, on a donc un enchantement qui transforme l’artisan (qui « appareille ») en artiste qui transforme le monde entier en « dansant ».

=> Dans nos résolutions de rentrée, sommes-nous plutôt « volonté de puissance » ou « volonté d’enchantement » ?
=> Saurions-nous reconnaître dans nos équipes de ces personnes positives qui parviennent à emmener l’effort collectif vers du mieux ?

« Veus tu Zéphir de ton heur me donner »

Ce mouvement de l’artisan à l’artiste n’est pas simple, mais on a vu combien il est puissant.
Les défis sont multiples :

  • Se faire artisan, c’est-à-dire décider de faire mieux depuis son établi, au service du plus grand nombre (« l’air serein » est pour tous)
  • Oser s’associer à d’autres (ici l’eau et la terre), parfois en les réveillant, pour déclencher un mouvement
  • Passer du moi à l’univers, et du travail au jeu.

Louise Labé le dit : c’est un renouvellement complet (« par toi toute me renouvelle »), c’est un retournement de perspective, c’est une lumière nouvelle posée sur les choses.

Dès lors, le vers « Fais mon Soleil devers moi retourner » prend une autre dimension. Ce Soleil n’est pas tant extérieur qu’intérieur. 

Il s’agirait de cette volonté évoquée dans le premier vers, de cette détermination à voir le positif et à l’honorer, à le mettre en valeur, à l’amplifier.

=> Tout part de soi : comment cultiver sa détermination à améliorer les choses ?
=> Quelle satisfaction prends-je à l’action ? 
=> Suis-je dans l’ennui, comme les "passants", ou bien dans l’appareillage, comme le Zéphir ?
=> Est-ce que je décide d’honorer le retour du Soleil ?


Retrouvez une autre analyse de La Fontaine & Cie : “L’Isolement” : comment être à l’équilibre ?

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