Construire, réparer… et déconstruire #CHRONIQUEDUMYCELIUM

21 Mar, 2018 | Non classé

Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement la “chronique du Mycelium”, réflexion axée sur l’écologie humaine. Il met aujourd’hui en lumière l’évolution de notre grande famille humaine, tant à l’échelle communautaire qu’individuelle, avec ce qu’il est bon de construire et, parfois, de déconstruire… 

« Et le dernier jour, Dieu décida de rajouter quelques imperfections au monde qu’il avait créé : il put enfin faire cadeau à l’humanité de ce monde parfait car imparfait. » (mythe fondateur amérindien) 

C’est ainsi que je terminais ma chronique de janvier. Alors, paradoxe, voire incompréhension pour notre pensée rationnelle ? Sans aucun doute. Cependant, intuitivement nous saisissons le sens caché de ce mythe : symboliquement, l’homme est invité à « co-créer » le monde qui sera à l’évidence toujours à améliorer. Ainsi nous avons à accepter, sans nous résigner, l’imperfection d’une vie éternellement perfectible. N’est-ce pas une chance, une occasion extraordinaire pour déployer individuellement et collectivement notre créativité ? Mais quelle responsabilité ! Essayons de la vivre comme un appel incessant de la vie et qui lui donne son goût et son sens.

Appel à créer 

Créer c’est bien sûr construire, mais c’est aussi réparer… et c’est également déconstruire… !

Tout le monde comprend ce qu’est construire : à chaque génération, nous construisons une famille, une maison, une carrière, nous élaborons des lois, nous produisons des œuvres d’art, des alliances, nous inventons, etc. Albert Camus écrivait : « Créer c’est vivre deux fois ».

Réparer parait également évident : réparer un toit ou un vélo, réparer un corps malade, soigner nos blessures affectives, réparer et recycler nos objets, ou encore réparer une erreur, un mouvement d’humeur, une amitié blessée, etc. Je cite à nouveau de mémoire Camus : « La tâche de notre génération n’est pas tant de construire que de réparer ».

Par contre, déconstruire a mauvaise presse. Nous assimilons cette attitude à celle des intellectuels français « déconstructeurs » d’après-guerre : Sartre, Derrida, Deleuze, Foucault, Barthes et quelques autres. Leur audience est vite devenue internationale : en particulier dans les universités américaines où toute une jeunesse a été (trop) influencée par des professeurs soi-disant progressistes (exemple : l’amour entre homme et femme n’existe pas car l’on tombe amoureux simplement pour imiter les héros des livres ou films d’amour), mais également les étudiants libertaires de mai 68 en France et un peu partout les milieux féministes, très inspirés par la déconstruction des stéréotypes sexués.

Ce mouvement de déconstruction était pourtant, me semble-t-il, nécessaire pour revoir, réformer, voire révolutionner une culture sociale trop marquée par certains schémas ayant « fait leur temps ». La société française d’après-guerre, meurtrie mais courageuse, restait en effet très patriarcale : les femmes étaient encore très soumises et dominées par les hommes, que ce soit au foyer mais aussi dans le monde des entreprises, des universités, de la santé, de la politique ; par ailleurs le moralisme culpabilisant était la règle, l’éducation des enfants était rigide et souvent empreinte de violences souvent cachés, les rapports sociaux étaient très hiérarchisés ; enfin en Occident nous nous sentions à l’évidence supérieurs aux autres peuples, notre société étant empreinte d’un racisme « naturel » inconscient. Il y avait en effet beaucoup à déconstruire.

Quelques exemples de déconstruction contemporaine nécessaires

Les soins et l’éducation des enfants 

Jusqu’au XVIIIème siècle l’enfant était considéré comme un « petit adulte en miniature », donc à modeler complètement. Jean-Jacques Rousseau a eu le mérite de faire évoluer cette vision erronée. Dans « L’Emile ou de l’éducation » (1762) : il voit l’enfant comme un être en devenir, non pas à dresser mais à accompagner, à conduire sur son propre chemin (éduquer, du latin ex-ducere). Propos révolutionnaires et loin d’être acceptés à l’époque. En effet, Il a fallu beaucoup de temps avant que la vision de Rousseau inspire les méthodes éducatives modernes. Par ailleurs, il faut savoir qu’il y a 50 ans, on niait que le nourrisson et a fortiori le fœtus puissent souffrir physiquement et encore moins affectivement. D’où des gestes et attitudes, même médicales, que nous considérons comme barbares aujourd’hui. Tout cela a heureusement évolué. En effet nous en sommes aujourd’hui à bannir à juste titre les châtiments corporels et les punitions injustes qui ne font que développer résistances et défenses chez l’enfant. Nous entrons enfin dans l’ère d’une « éducation positive » qui fait beaucoup plus confiance à la « nature humaine » et qui cherche à développer les ressources des enfants, en se basant sur des encouragements. Et, nous apprenons enfin à reconnaître les dons spécifiques de chaque enfant (on retrouve là le processus de « personnalisation »). Bien sûr, des recherches éducatives nombreuses et le développement des neurosciences y sont pour beaucoup. Mais ces avancées n’existeraient pas sans l’intuition de certains parents, éducateurs et psychologues de l’enfance et, je le crois, d’une certaine intuition de la société entière. Voici un bel exemple de déconstruction-reconstruction qui fonctionne dans les deux sens : un système social paraît de plus en plus critiquable tandis qu’une nouvelle vision de l’homme émerge puis des expériences viennent confirmer la validité de celle-ci. Processus sans fin.

La place et le rôle de la femme 

Depuis l’adoption après-guerre du vote des femmes en France, le sort de celles-ci a bien changé. Mais il a fallu déconstruire des stéréotypes pratiqués par presque tous, y compris les femmes elles-mêmes. Sans nier les excès d’un certain féminisme (Simone de Beauvoir, Judith Butler, Elisabeth Badinter) il faut reconnaître que de nombreuses femmes (et quelques rares hommes) souhaitaient depuis longtemps cette évolution de la « condition féminine ». Citons brièvement Olympe de Gouges à la Révolution ou George Sand et Flora Tristan au XIXème siècle. Finalement reconnaissons que les « déconstructeurs » modernes y ont également contribué, montrant que ce que nous prenions pour « naturel » dans la condition de la femme était souvent d’origine « culturelle ». Malheureusement, les excès de ce débat l’ont pollué, nos déconstructeurs allant jusqu’à dénier l’existence d’une « nature féminine » et qualifiant trop facilement d’essentialistes ceux qui dans l’autre sens voient l’éternel féminin comme immuable. Ces derniers, qui sont surtout des hommes, se prétendant experts pour discourir sur les devoirs et la place des femmes !

Aujourd’hui le débat actuel sur les violences faites aux femmes, malgré les excès de sa médiatisation, est une nouvelle avancée pour dénoncer des habitudes qui restaient cachées ou minimisées. Ce n’est pas fini : je parie que notre société est appelée à se féminiser beaucoup plus vite dans les vingt années à venir que dans les cinquante dernières.

Autre exemple intemporel, les trois consciences 

Je m’inspire d’André Rochais, fondateur de PRH (Personnalité et Relations Humaines) qui dans une note d’observation développe le schéma des trois consciences. Dès l’origine, l’être humain est habité par sa « conscience profonde » qu’il ne connait pas encore bien. Puis, enfant, il apprend à développe une « conscience socialisée », à partir des injonctions et interdits des parents, des enseignants et de la société. Cette conscience socialisée est nécessaire pour s’adapter à la vie en société. Puis, adolescent, il développe une troisième forme de conscience qu’André Rochais nomme « conscience cérébrale ». Celle-ci se construit à cette période de recherche du sens de la vie : la conscience cérébrale est constituée par des devoirs, priorités, interdits personnels qui détermineront nombre de choix de la personne. Comment intervient la déconstruction ? Déjà une partie de la conscience socialisée devra être déconstruite car l’adolescent et plus tard le jeune adulte qui ne se sent pas forcément d’accord avec les valeurs de ses parents, de son entourage, de la société. Mais cela ne suffit pas : car si la conscience socialisée doit devenir moins déterminante, la conscience cérébrale doit devenir moins exigeante ou rigide et, finalement, source de perte de liberté.

De fait, la vraie maturité et la vraie sagesse consistent à donner de plus en plus la priorité à notre « conscience profonde » par rapport aux deux autres consciences. Le processus de « croissance » passera donc par plusieurs étapes nécessitant pour devenir pleinement nous-même la « déconstruction » de quelque chose qui a été précieux mais qui n’est plus adapté : en effet notre conscience socialisée n’est qu’un « guide extérieur » puis notre conscience cérébrale n’est qu’une loi intérieure parfois rigide, alors qu’à l’écoute de notre conscience profonde, nous accédons à notre véritable « guide intérieur » qui ne peut se tromper.

Dernier exemple que chacun peut vivre 

En prenant de l’âge, nous avons en permanence à construire-réparer-déconstruire : l’adolescent dit adieu à l’enfance, l’adulte dit adieu à l’immortalité, puis nous avons à défaire continuellement l’image que nous avons de nous afin de tenir compte d’un corps qui change ou de forces qui diminuent mais aussi de lumières qui nous enrichissent, et, c’est essentiel, tout en restant fidèle à notre identité et notre unicité d’origine.

Ainsi à travers ces actions de construction, réparation et déconstruction la vie nous fait avancer individuellement et collectivement sur notre chemin d’humanisation. Celui-ci est un long chemin de conscientisation et de responsabilisation, et donc de… personnalisation.

 

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