Dans le cadre du parcours de form’action Cap 360°, nous avons abordé le thème « créer ». Annick Chaudouët, danseuse-chorégraphe, apporte un témoignage lié à ses nombreuses expériences de formatrice. Un créatif rapport au corps qui permet la relation, la joie et la guérison.
“J’ai créé une méthode de danse en 2000, basée sur une approche plus relationnelle et holistique de la Danse. Elle s’adresse à tous, elle permet de renouer le dialogue avec le corps créatif et dansant. Je permets ainsi à d’autres de créer, avec leurs corps. Et cela porte des fruits fabuleux : la création et l’arthérapie sont une source infinie de vie. J’aimerai partager avec vous certaines expériences inoubliables.
Cette méthode s’est construite au fur et à mesure de mes années d’enseignement de la Danse, d’animation d’ateliers, de création de spectacles et d’événements.
Petit à petit, comme une évidence, j’ai pu constater les bienfaits, les regains de vie et de confiance des participants à ces ateliers, à ces pratiques et à ces créations.
La création favorise la relation
En montant, avec des enfants, dont les deux miens, des spectacles, comédies musicales, nous sommes allés, à la rencontre des personnes âgées en milieu hospitalier ou en maison de retraite.
Là, j’ai pu me réjouir de voir ces jeunes travailler avec joie et constance au montage de spectacles d’environ une heure, construits à partir de chansons de variétés d’auteurs français : Montand, Mireille, Salvador, Fugain, afin de découvrir ce répertoire qui rejoignait les anciens. Nous faisions tout ensemble : montages musicaux, costumes, décors…
Quelle incroyable expérience de voir ces personnes parfois extrêmement diminuées, absentes, reprendre vie, gratifier les jeunes de sourires et de nombreux applaudissements, parfois de larmes de joie à l’évocation de ces musiques souvenirs ! La création favorise la relation, le rapport à l’autre, et en l’occurrence, l’intergénérationnel.
La création, source de guérison
Et puis, d’années en années, mes interventions m’ont permis d’être le témoin privilégié, de guérison totale ou partielle. De la libération de l’enfermement d’une personne dans son corps ou dans son esprit, malade, limité…, traumatisé.
A l’hôpital de Sospel, dans le service gérontologie, en 2000, j’animais des ateliers trois fois par semaine auprès de personnes lourdement atteintes de diverses pathologies, handicaps, paralysies…
Nous partagions ensemble un goûter autour de la danse, lors de rencontres trimestrielles voire mensuelles. Tous : jeunes, vieux, parents, le tout dans un parc, à l’ombre des Pins…
Avec les soignants et les aidants, nous avons pu constater des rétablissements, des améliorations. Des personnes qu’ils ne pensaient plus jamais voir se préparer seuls, se laver seuls, ils les retrouvaient debout dans leur salle de bain… Ils étaient parvenus à se redresser, à faire quelques pas. Ils redécouvraient les plaisirs simples de se mettre en mouvement, de se projeter… d’être proposants, demandants, acteurs.
Il y a même eu ce jour où, au beau milieu d’un de mes ateliers, une des participantes, paralysée du côté gauche depuis plusieurs années et convaincue de ne plus jamais pouvoir bouger son bras, ni de ne jamais pouvoir se relever, se surprit elle-même et nous surprit tous, une quinzaine de participants et moi, en se retrouvant avec deux bras levés presque au même niveau… De là, elle ne fit que progresser, séance après séance, jusqu’à parvenir quelques temps plus tard à faire le passage de son fauteuil à son lit, seule, sans l’aide du kiné qui en fut comme nous tous, ému et soufflé !
Que d’amour, que de joies, que de tendresse par la danse, l’expression dansée, la rencontre en danse….
La création provoque la joie
Je dois aussi évoquer, pour finir, cette expérience hors du commun vécue avec cinq résidents d’un EPHAD dans lequel je travaillais, dont un monsieur atteint de la maladie de Parkinson et une dame atteinte de la maladie d’Alzheimer. L’idée était de participer avec sept jeunes adultes atteints d’handicaps mentaux à un événement annuel à Menton : le Festival dis-moi dix mots.
Tous se prirent au jeu. Une résidente, à partir des dix mots proposés dans toute la francophonie, créa un texte, qui s’enracinait dans sa propre histoire : la vie d’une couturière dans son atelier, avec ses collègues. Elle l’écrivit et ce fut le socle pour créer une pièce interprétée par ses amis résidents et illustrée ensuite par une chorégraphie construite avec les personnes avec diverses formes de handicaps.
Joie et larmes s’échangèrent et si certains depuis, ont quitté ce monde, j’aime à croire, que ce partage a adoucit leur fin de vie et égayer leur quotidien et je sais que cela leur a permis de vivre des liens d’amitié chaleureux et tout à fait improbables.
Je conclurai donc, en vous témoignant de mon enthousiasme et de ma croyance que l’expression artistique, la créativité, la médiation corporelle et en particulier la Danse, sont autant de moyens de rendre la personne humaine, dans quelques conditions ou dimensions physiques, mentales, sociales, intellectuelles, professionnelles, heureuse et co-créatrice, actrice responsable dans la société et dans sa vie.
Créer se fait parfois seul, mais dans la démarche créative, il est savoureux de vivre les échanges, les soutiens, les partages. Les personnes atteintes de handicaps ou de pathologies nous permettent de découvrir l’interdépendance et la joie d’être solidaires, ensuite il devient bien plus aisé de communiquer simplement.”