De quelles agricultures les hommes ont-ils besoin ? Voilà l’épineuse question sur laquelle s’est penché Gilles Hériard Dubreuil, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, dans une publication qui vient de paraître aux éditions du bien commun. Cet ouvrage est vendu en librairie à partir d’avril 2019.
"Excellent livre qui envisage, pour les agricultures paysannes, une réjouissante sortie de la modernité qui aliène l’humanité et la coupe de la nature dont elle fait partie."
Renouer avec l’activité agricole
« L’agriculture n’est donc pas une activité comme une autre. Elle joue un rôle central dans la transformation que nous devons maintenant opérer vers des modes de vie renouvelables et transmissibles. L’agriculture appelle toute notre attention. »
La mondialisation déstabilise aujourd’hui toutes les agricultures dans le monde, qu’elles soient productivistes et industrielles, familiales et paysannes ou d’interstice, chacune pour des raisons spécifiques.
En séparant l’homme de la nature (et de sa nature par le dualisme), la modernité a profondément transformé notre appréhension de cette nature, réduite à une matière à exploiter. Elle a alors altéré la fécondité et la diversité des milieux naturels, ainsi que la cohésion des sociétés humaines.
Avec la fin de la modernité s’ouvre l’opportunité historique pour les hommes de réinitier la recherche
de modes de vie renouvelables et transmissibles. Les agricultures sont au cœur de ce processus de
transformation ex-moderne, car l’art de cultiver et de garder la terre porte en germe une nouvelle façon
d’habiter la planète. C’est pourquoi les hommes n’ont pas seulement besoin des produits de l’agriculture. Il leur est aussi essentiel de renouer avec l’activité agricole elle-même, dès lors qu’elle se met au service des êtres vivants et des territoires.
À propos de l’auteur
Au lecteur de ce livre, l’auteur doit une confession. Il n’est pas agriculteur. Il n’est pas non
plus agronome, ni même spécialiste de l’agriculture. Durant près de trente ans, ses chemins l’ont conduit à ausculter plusieurs grandes crises
comme la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, celle de Fukushima, la pollution par l’agriculture bananière des îles de la Martinique et de la Guadeloupe.
Dans toutes ces crises, le devenir des agricultures et des agriculteurs est une question centrale. En effet, ces crises sont mésologiques (du grec
mesos, « milieu ») ; elles touchent à la fois l’homme et son milieu vivant. Mais surtout, elles perturbent irréversiblement les relations entre les hommes et leur milieu de vie. Ces crises sont des secousses sismiques, elles font entendre les ébranlements profonds du monde qui résultent du projet occidental de la modernité depuis la Renaissance.
D’abord comme chercheur en sciences sociales, l’auteur a tenté de comprendre ces situations d’une grande complexité. Puis, comme intervenant
de terrain, il a travaillé avec les habitants des territoires contaminés, et particulièrement avec des personnes pratiquant des activités agricoles
qui sont durablement affectées. Agricultures et agriculteurs sont omniprésents dans ces situations et parfois mis en cause dans leurs pratiques. Mais
partout, pour peu qu’elles se recentrent sur l’essentiel, les activités agricoles sont incontournables pour rétablir un milieu de vie, pour reconstruire
une confiance entre les hommes. L’agriculture n’est donc pas une activité comme une autre. Elle joue un rôle central dans la transformation que
nous devons maintenant opérer vers des modes de vie renouvelables et transmissibles. L’agriculture appelle toute notre attention.
Extraits
“Cultiver la terre
Sans le jardin et ses fruits, l’homme meurt. Sans l’homme, le jardin dépérit. Homme et jardin sont en devenir. Leur relation est coalescente
(ils grandissent ensemble). Homme et jardin sont en interaction et leurs potentialités se conjuguent. Adam est appelé à cultiver le jardin, pas seulement à en recueillir les fruits. Il ne crée ni ne conquiert ce jardin. Cultiver, c’est se mettre à l’écoute du jardin, c’est nommer les êtres qui l’entourent et ainsi créer un monde humain. L’homme développe une action, un art qui révèle les potentialités du jardin. Comme Shakespeare le fait dire à l’un de ses personnages : « La nature ne peut être perfectionnée que par les moyens qu’elle-même a créés, […] en sorte que l’art, qui dites-vous ajoute à la nature, n’est lui-même que le produit d’un art supérieur que la nature a fait. Ainsi vous le voyez, jeune beauté, que nous marions une tendre tige avec un tronc sauvage, et faisons produire à l’arbre le plus vil, des nobles rejetons. C’est un art qui corrige la nature, ou plutôt qui la modifie :
mais cet art lui-même c’est encore la nature. » Adam est ainsi transformé comme le jardin par cette action de cultiver. La conception biblique ne
repose pas sur une idée de maîtrise de la nature, mais sur une forme de complémentarité et d’altérité entre l’homme et le jardin.”
“La perspective anthropologique permet de renouveler le regard que nous portons sur l’agriculture. Plutôt que de regarder l’agriculture à partir
de sa seule fonction de production en amont d’une chaîne de transformation et de valorisation, nous sommes invités à examiner la façon dont
les agricultures favorisent ou peuvent favoriser la création d’un monde habitable composé de différents milieux de vie et d’écosystèmes qui sont
rendus possibles par une multitude d’interactions complexes entre humains et non-humains. Plutôt que de placer les activités agricoles à la périphérie
de modes de vie urbains, dont elles ne seraient que les pourvoyeuses des ressources tirées de la nature, c’est plutôt une image des activités agricoles
comme centre de vie et d’humanisation, comme nœud de réseaux écosystémiques qui se dégage de cette nouvelle perspective.”