Tanneguy Ramière de Fortanier, membre de l’alvéole trèshumaniste, présente et analyse le livre « Demain les posthumains » de Jean-Michel BESNIER. Où l’on arrive toujours et encore à finir par se demander : “Qu’est-ce que l’Homme ?”.
Nous avons plutôt l’habitude d’imaginer la disparition de l’humanité à cause d’évènements dramatiques, type catastrophe nucléaire. Jean-Michel Besnier imagine une autre forme de disparition dans son livre « Demain les posthumains » : l’homme pourrait s’effacer non pas brusquement mais graduellement, au profit d’une autre humanité à base de cyborgs, ces hybrides d’hommes et de machines, d’êtres dont les esprits auraient été entièrement téléchargés sur des supports numériques, ou enfin de robots dotés de toutes les qualités « humaines ».
Pour explorer cette question de la « posthumanité », nous reprendrons et questionnerons plusieurs thèmes du livre de J.-M. Besnier :
• L’homme qui se crée,
• La place de l’homme dans l’économie et l’entreprise,
• La place des robots, dont la séparation du corps et de l’esprit et la question de ce qu’est la nature humaine.
Folie ? Elucubrations ? Délires ? Peut-être pas. Si l’on prend la peine de se pencher sur les innovations de ces dernières décennies, cela ne ressemble plus nécessairement à de la science fiction. Jean-Michel Besnier, philosophe, se pose la question : “le futur a-t-il encore besoin de nous ?” (Jean Michel Besnier “Demain Les post-humain”, (Pluriel, Kindle), emplacement 139/3040 ). Il nous propose de réfléchir à la place de l’homme dans un monde futur et à sa relation avec les machines.
L’évolution de ces dernières décennies est intéressante à observer : “les ordinateurs étaient à l’origine des machines très grossières et distantes, dans des pièces climatisées où travaillaient des techniciens en blouse blanche. Ils sont ensuite arrivés dans nos bureaux. Ils sont maintenant dans nos poches… nous n’hésiterons pas à les mettre dans nos corps puis dans nos cerveaux.” (Jean Michel Truong “Totalement inhumaine”, p.32).
Un homme qui se crée ?
Un premier changement notoire réside dans la façon dont l’homme naît. La procréation artificielle, le tri-embryonnaire, le diagnostic préimplantatoire (DPI : consiste à diagnostiquer les éventuelles pathologies des embryons afin de les trier. Détruire ceux qui ne sont atteints et implanter celui/ceux qui sont sains) et, dans un horizon encore vague, « le clonage reproductif, en nous permettant de fabriquer techniquement l’homme (…) appellerait aujourd’hui de nouvelles stratégies : qu’allons-nous faire de l’homme que nous saurons bientôt produire ? Comment l’élever, au mieux de ses intérêts de créature artificielle ? » . Avec le clonage, il y aurait la fin du processus d’engendrement et un nouveau processus “d’auto-engendrement”. Un clone reste-t-il humain, lui qui « ne posséderait pas l’autonomie qui est seule respectable aux yeux de l’humanité » ? Et qu’en est-il du cyborg : convergence de l’organisme ‘ce qui est né’ – et de machine – ‘ce qui est fabriqué’. Son origine ainsi bousculée questionne son identité.
Economie, entreprise : quelle place pour l’homme ?
Les progrès techniques ont toujours tendu à faciliter la vie de l’homme… jusqu’à le remplacer dans un certain nombre de tâches, d’emplois . Si l’homme ne s’adapte pas à ce changement, aura-t-on encore besoin de lui ? Notamment du point de vue économique ? Si la réponse est négative, quelle sera sa place politiquement et socialement parlant ? Les inventions (pour se déplacer, produire…) n’ont pas seulement remplacé les tâches « subalternes », les plus souvent pénibles, mais s’étendent à d’autres champs de l’activité humaine. J.M. Besnier évoque les « romans de Michel Houellebecq, dont les personnages de réjouissent finalement d’appartenir à la première espèce animale dotée du pouvoir d’organiser son remplacement » . Si le robot, l’intelligence artificielle, font aussi bien, voire mieux que l’homme dans beaucoup de domaines, pourquoi ne pas les utiliser ? D’autant qu’ils nous obéissent (pour l’instant…), ne font pas grève, etc.
Dans ce cas, que deviendra la plus-value de l’homme dans le système économique (entreprises, usines…) ? « Humans Need not Apply » clip saisissant, exprime cette évolution possible en prédisant que « l’intelligence artificielle [remplacera les humains] pas tout de suite, pas partout, mais dans des proportions suffisantes et suffisamment rapidement pour ce soit un énorme problème si nous n’y sommes pas préparés. Et nous n’y sommes pas préparés ».
En s’appuyant sur l’expertise de l’informaticien Gérard Berry, J.-M. Besnier souligne que dans un monde où les objets techniques fonctionneront de plus en plus en réseaux, l’homme régulera l’interaction des automates, surveillera, contrôlera, organisera une production qui s’effectuera sans lui, par des machines de plus en plus fiable . Les progrès techniques ont peu à peu libéré l’homme des contraintes du travail… moment crucial pour se demander à quoi sert le travail. S’il sert à s’intégrer, à construire quelque chose ensemble et finalement à unir les hommes, comme le dit Saint-Exupéry, que se passera-t-il si on affranchit complètement l’homme du travail ? Il n’y a pas d’accomplissement de l’homme sans reconnaissance de ses efforts. Mais alors, qui le fera vivre sans risquer de prendre son contrôle ? On parle maintenant de revenus universels de base pour pallier aux effets sur le marché du travail. Bien réfléchir avant d’agir…
Robots : de plus en plus autonomes et proches de l’homme ?
Dans “Essai sur l’histoire de la nature humaine”, Serge Moscovici décrit l’impact de la cybernétique (c’est à dire l’étude des interactions entre les mécanismes) sur l’élimination potentielle de l’homme. On passe des “esclaves mécaniques” qui exécutent des programmes et des taches bien précises assignées par l’homme à des machines “autorégulées” qui “interagissent avec leur environnement” et “apprennent” sans que nous ayons besoin d’intervenir (voir aussi le Deep Learning). Avec la fiabilité croissante des machines, l’initiative humaine risque de se réduire de plus en plus. C’est Butler (dans Erewhon) qui s’inquiète de ce pouvoir croissant des machines et qui demande qu’elles soient surveillées voire arrêtées tant qu’il est encore temps, car dit-il, “ce qui me fait peur, c’est la rapidité avec laquelle elles sont en train de devenir quelque chose de différent de ce qu’elles sont à présent “. De nombreux essais cinématographiques ont présenté cette transformation de robots, leur prise de conscience, en mettant en scène des scénarii plus proches de la science fiction que de la réalité actuelle. Et il continue “Aucune classe d’animaux ou de végétaux n’a fait à aucune période du passé, des progrès aussi rapides.” Ici se pose la question de ce qui se prépare. L’arrivée d’une technologie qui pourrait potentiellement être nuisible à l’homme ? La similitude grandissante du robot avec l’homme et des questions que cela ne manquera pas de poser ? Ou l’arrivée d’un « être » qui pourrait échapper à son créateur ?
La post-humanité se dessine donc aussi avec la façon dont on envisage les robots : la place que nous leur laisseront ou qu’ils prendront. L’auteur fait remarquer qu’au Japon ou en Corée du Sud, ces derniers ont une place de plus en plus importante, en particulier à cause du vieillissement de la population. On parle maintenant même des droits et des devoirs attribués aux robots. Des films (Her) ou des séries télévisées (Real Humans), mettent en scène la similitude croissante possible des robots avec l’homme sur les plans affectifs et sentimentaux au point de lier des relations avec l’homme.
La question : qu’est-ce que l’homme ?
De la façon dont on voit l’homme aujourd’hui, on prédira son évolution demain. Il y a les “essentialistes” qui sont convaincus que l’homme possède une essence, une nature humaine qui lui pré-existe. Parmi les essentialistes sont ceux qui voient la dualité (c’est à dire un ensemble composé de plusieurs parties de nature différentes) entre le corps, l’esprit et le spirituel (ou âme – On peut voir une illustration de cette vision de l’homme dans le passage suivant « Le corps est vivant et spirituel grâce à l’âme qui est elle-même vivante et spirituelle grâce à l’esprit. Tout cela ne fait qu’un. L’être humain est substantiellement UN, corps, âme et esprit, avec retentissement réciproque sur ces trois structures. » P. Theiller, Expériences de mort) . Il y a en revanche ceux qui défendent la “maléabilité” de l’homme, qui permettrait de le transformer à volonté. On passerait de la question “qu’est ce que l’homme ?” (Essentialiste) à celle : “Quel type d’homme allons-nous construire ? “(Existentialiste) . Cette construction est vue au cœur de l’innovation technoscientifique actuelle qui veut, petit à petit, construire et maîtriser l’homme de sa conception à sa mort. Les visions « réductionnistes » de l’homme qui ne tiennent pas compte des aspects spirituels de la personne voient plus facilement son imitation par des robots et de l’Intelligence Artificielle (IA) et, par la même, la possibilité de supplanter, ou dissoudre, l’homme. L’avènement d’un nouvel homme, hybride d’homme et de machine, voire homme “décérébré” par une omniprésence du technique, de la connexion dans son existence, deviendrait alors envisageable. La “disparition” de l’homme est accompagnée par ces penseurs, elle se fait sans heurt, par une lente déconstruction de ce qui fait l’humanité.
Ces interrogations sur la survie de l’humanité s’enracinent plus loin dans l’histoire. En effet, depuis l’avènement de la machine, voire des techniques au sens large, les relations entre les hommes et de l’homme avec lui-même ont évolué. L’imprimerie a permis de consigner sur un support tout ce qui auparavant était transmis oralement, de personne à personne. Quel changement déjà dans les rapports entre les hommes cela a-t-il créé ! Avec l’avènement de l’ordinateur et d’internet, l’information circule d’un bout à l’autre de la planète sans délai et sans relais humain. Maintenant, les technologies permettent de se libérer du travail, de transformer notre communication avec les autres, de vivre dans le virtuel, de construire des robots et de l’Intelligence artificielle de plus en plus sophistiquée. Cela semble dessiner une nouvelle place pour l’homme, voire de la lui prendre… Mais de quel homme s’agit-il ? Qu’est-ce-que cette nature humaine qui pourrait ainsi s’éteindre ? Est-ce vraiment la nôtre ? Assurément, la question de ce qu’est la nature humaine et de ce que sont ses contours est un début de réponse pour son avenir et sa survie. Même si cette dernière soulèvera vraisemblablement d’autres questions !