Depuis janvier 2023 le tag #deinfluence, ou désinfluence, est très présent sur tiktok, toujours suivi de près par Instagram. Quelle est cette nouvelle mode qui, paradoxe ultime sur les réseaux sociaux, inciterait à résister aux appels du consumérisme ? Au lendemain de la nouvelle loi influenceurs, c’est l’occasion de se pencher sur la place du marketing sur les réseaux sociaux.
Article par Emeline Julia, en service civique au sein du CEH.
Qui sont les influenceurs ?
Ils, elles surtout, sont légion sur les réseaux sociaux. Les influenceuses composent effectivement 75 % de la profession, dont la moyenne d’âge est de 30 ans. Les personnalités de l’influence se mettent souvent en scène dans leur quotidien. Elle créent une impression de pseudo-proximité leur permettant de nouer une relation de confiance avec leur audimat. Dans ce cadre travaillé de toute pièce, les influenceuses présentent leur routine beauté, les nouveaux éléments de leur garde-robe, ou encore leur dernier voyage en avion très instagrammable.
Le marché de l’influence grossit de manière exponentielle et présente une opportunité très attractive pour les marques. Celles-ci envoient gratuitement leurs produits à ceux qui seront ensuite chargés d’en faire la promotion sur leur compte – la rémunération variant selon le degré de notoriété de l’influenceur et le type de produit mis en valeur. Pourquoi passer par un influenceur ? La marque touche ainsi de potentiels clients via la communauté acquise d’un animateur bénéficiant d’un fort capital sympathie.
Beaucoup de créateurs de contenu se spécialisent dans un sujet donné : mode, sport, voyage ; le sujet le plus abordé par les influenceurs français en 2019 étant le lifestyle. L’influenceur ne promeut pas que des produits mais un véritable mode de vie. Se pose là le noyau d’une critique faite à l’égard des influenceurs. Leur modèle économique repose très (trop) souvent sur l’exploitation, voire la création d’un sentiment de mal-être chez leur audience. Mal-être et frustration que seul le produit miracle doublé d’un code promo exclusif saura effacer.
Qu’est-ce que la désinfluence ?
Depuis plusieurs années, des lanceuses d’alerte à l’instar de @payetoninfluence dénoncent la consommation superflue liée au secteur de l’influence. Ce compte Instagram encourage les influenceurs à des pratiques plus vertueuses, notamment celle de vérifier l’intérêt réel des produits et marques qu’ils promeuvent. Une pratique déjà existante mais peu répandue a soudainement gagné en popularité : la désinfluence. Début janvier 2023, le hashtag #désinfluence est devenu très populaire sur les plus grandes plateformes de réseaux sociaux.
De plus en plus de créatrices de contenus ont commencé à publier des vidéos remettant en question l’utilité des produits vendus par leurs pairs ou qu’elles ont elles-mêmes acheté. La désinfluence porterai alors bien son nom, ce serait l’incitation à ne pas acheter.
Les promoteurs de la désinfluence encourageraient la responsabilité économique et (moins souvent) environnementale de leur audience. Tandis que certains se contentent de critiquer un produit jugé superflu, d’autres poussent leur réflexion et dénoncent une économie qui manufacture des complexes pour s’en nourrir. Moins nombreux encore sont ceux qui rappellent que les influenceurs ne vendent pas de produits à leur audiences ; Ils sont rémunérés pour la vente de l’attention de leurs audience aux marques partenaires…
Quelles sont les limites de la désinfluence ?
Une grande partie du contenu de désinfluence n’est pas aussi anticonsumériste que le laisse entendre le hashtag. Nombreuses sont les influenceuses qui incitent leur audience à s’éloigner de produits chers pour vendre une alternative plus économique. Malgré le bénéfice évident pour le porte-monnaie des consommateur, l’influence – sous couvert de désinfluence – reste bien présente. Les créateurs de ce type de vidéos s’approprient une étiquette vertueuse pour pousser toujours plus leur audience à la consommation.
D’autre part, des internautes remettent en question la vertu du désinfluenceur en ce qu’il participe à l’infantilisation des utilisateurs – il leur dit encore et toujours ce qu’ils doivent et ne doivent pas acheter. On peut opposer à cette critique l’idée que la désinfluence bien réalisée viserait, au contraire, à responsabiliser le consommateur et à l’inciter à prendre conscience de la portée de ses actes. Cette démarche a cependant ses limites. En se reposant sur la responsabilité individuelle, on atténue la charge des entreprises qui bénéficient du marketing d’influence.
Autre écueil : le risque que la désinfluence ne soit pour beaucoup qu’un effet de mode ne parvenant pas à opérer de réelle prises de conscience. Le but ultime de la désinfluence n’est pas de boycotter un produit donné mais bien la dynamique même de l’influence. C’est la même qui se cache derrière le retail therapy, ou la thérapie par le shopping. Les deux pratiques reposent sur l’idée qu’acheter des biens de consommation puisse engendrer le bien-être. En réalité, la joie ressentie à l’achat est aussi éphémère que la mode qui nous y a poussé. Si l’argent ne fait pas le bonheur, le dépenser pour consommer compulsivement ne nous comblera pas non plus.
Zoom sur les vêtements
Si le marketing d’influence concerne de nombreuses industries, celle de la mode mérite une attention toute particulière. Pour cela, penchons-nous sur les “hauls“, ces vidéos où les influenceuses dévoilent leurs nouvelles possessions, achetées ou offertes par la marque partenaire. En 2018, les vêtements représentaient 59 % des produits présentés lors de hauls sur youtube. Nombreux sont les articles provenant de l’industrie de la mode éphémère, aux lourdes conséquences écologiques. Outre la pollution générée par cette industrie, nous avons une pensée pour le facteur humain ; certaines marques ne peuvent proposer des prix si bas qu’en s’appuyant sur une main d’œuvre durement exploitée.
Parmi les enseignes les plus dénoncées, Shein figure en tête d’affiche. Une tendance “haul Shein”, très populaire sur les réseaux sociaux, a largement contribué à la culture du renouveau incessant mis en avant par la marque.
Ce modèle repose sur une insatisfaction chronique du consommateur qui est manufacturée par l’exposition continue à des publicités d’influence promouvant des biens qui seraient meilleurs car nouveaux. Entre la médiocre qualité des vêtements proposés et le flux continu de nouveaux modèles, le succès de Shein repose sur l’obsolescence immédiate de ses produits. Ces facteurs alimentent une consommation sans limite dont le revers est un immense gaspillage aux conséquences écologiques graves.
En bref, l’ultra-fast fashion se place à l’opposé d’une logique durable sur tous les plans.
Pour poursuivre votre lecture sur la consommation moderne : Le Kaba, un comparateur pour faciliter la consommation responsable