Mercredi 14 Septembre 2022, nous vous proposions de rencontrer Prisca Bataille, psychologue clinicienne et hypnothérapeute, pour découvrir l’importance des compétences psychosociales, aussi appelées soft skills, pour construire un monde plus humain et bienveillant. Voici ce qui est ressorti de cet échange.
Quel lien peut-on faire entre les compétences psychosociales et l’écologie humaine ?
Prisca Bataille : “On peut tout à fait faire un lien entre l’écologie humaine et les compétences psychosociales. L’écologie humaine, par essence, propose de prendre soin de tout l’homme et donc, notamment, de découvrir qui nous sommes, en profondeur, dans notre unicité. Or, les compétences psychosociales permettent de développer :
- ses compétences cognitives : la capacité à penser, raisonner, mémoriser.
- ses compétences émotionnelles : la capacité à accueillir ses émotions.
- ses compétences sociales : la capacité à interagir avec les autres et à communiquer.
En développant ces compétences, on prend soin de soi et des autres. Le lien avec l’écologie humaine est donc évident !
Définition et bénéfices des compétences psychosociales ?
L’organisation mondiale de la santé (OMS) a mis ce concept en avant en 1993. Elle définit les compétences psychosociales de la manière suivante : “la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement.”
Ainsi, développer ces compétences permet d’être bien avec soi-même, bien dans sa tête, bien avec les autres et dans son environnement extérieur.
L’OMS a réparti ces compétences par paires. 5 paires, et donc 10 compétences, sont mises en avant.
Bien développer ces compétences va avoir un impact positif, chez les enfants et les jeunes, au niveau de leur développement psychique global, de leur bien-être, de leur résilience (capacité à affronter les problèmes). Cela va aussi permettre un impact positif sur leur réussite scolaire, amoindrir les troubles anxieux et dépressifs, les conduites à risques (consommation de drogue ou de tabac…) et prévenir le suicide.
Chez les adultes, les compétences psychosociales vont améliorer leur estime d’eux-mêmes, leur confiance en soi, le lien adulte-enfant et la qualité de vie quotidienne.
Comment avez-vous découvert les compétences psychosociales ? Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’approfondir ce sujet ?
J’ai atterri un peu par hasard dans l’Éducation Nationale, après un premier poste à la Courneuve dans un centre de santé. En tant que jeune psychologue, c’était une bonne opportunité d’emploi. J’imaginais initialement que ce serait un simple travail de transition ; mon rôle était d’accompagner les élèves dans leur scolarité, principalement autour des difficultés scolaires et de l’orientation.
Mais en rencontrant ces jeunes, j’ai commencé à prendre un vrai plaisir à les accompagner. C’est même devenu une passion, au point qu’aujourd’hui, j’ai orienté ma carrière vers l’éducation !
Je suis restée cinq ans à Aulnay-sous-Bois dans un collège d’éducation prioritaire. Au bout de ma troisième année, je me suis remise en question. Les constats que je faisais m’alarmaient :
- Je voyais des jeunes qui ne savaient pas gérer leurs émotions – beaucoup d’agressivité, de colère, de tristesse… Or, quand on a trop d’émotions en soi, on ne peut pas être disponible pour apprendre, écouter l’enseignant et enregistrer les informations.
- Par ailleurs, il y avait de grosses difficultés relationnelles, qui se traduisait par une violence latente. Les jeunes ne se connaissaient pas du tout eux-mêmes, ce qui rendait la construction de leur orientation difficile.
Je me suis donc dit que je ne pouvais pas continuer comme cela. Il fallait que je mette en place quelque chose qui aide à prévenir ces situations. Et, en faisant des recherches, j’ai découvert les compétences psychosociales. Ca a été un énorme déclic pour moi.
J’ai immédiatement voulu expérimenter et transmettre ces compétences dans le collège où j’étais. Je suis donc allée voir mon chef d’établissement et lui ai demandé de suivre un groupe d’élèves pour construire mes ateliers. Il a accepté : j’ai pu suivre une classe de troisième.
Il s’agissait d’une douzaine de jeunes filles en section sportive (foot). En termes de communication et de gestion des émotions, c’était très compliqué entre elles. À cause de cela, elles avait échoué à leur match de foot de l’année précédente. Cette situation était donc propice à l’expérimentation des compétences psychosociales ! Allaient-elles changer la donne auprès de ces élèves ?
J’ai fait une dizaine de séances avec elles – communication, confiance en soi, gestion des émotions – petit à petit, la confiance s’est installée, les langues se sont déliées, des pardons se sont exprimés. Et à la fin de l’année, elles ont remporté leur tournoi de foot !
Cette victoire m’a motivée à continuer à approfondir les compétences psychosociales !
Quelques idées d’outils pour développer ses compétences psychosociales
- Travailler l’estime de soi et la confiance en soi : la carapace de tortue. L’idée est de mettre une carapace de tortue, agrémentée de nombreuses cases, dans le dos des élèves. Ces derniers se déplacent dans la classe et vont écrire une qualité qu’ils reconnaissent à chaque camarade. En fin d’exercice, tout le monde se rassied et découvre sa carapace. Une vingtaine de qualités surgissent alors ! Quelle joie pour les enfants de découvrir comment ils peuvent être perçus !
- Travailler la gratitude : apprendre à dire merci.
En fin d’année scolaire, j’ai demandé à des élèves de CE2 de mettre leur prénom sur une étiquette. Toutes les étiquettes ont été mises dans un panier ; chacun y a été piocher un prénom. L’élève devait alors aller offrir un “merci pour…” à la personne piochée. Je me souviens notamment d’une petite fille qui a été tellement touchée par ce remerciement qu’elle a fait un câlin à sa camarade. Une belle façon de mettre en avant ce qui fait du bien et de recréer du lien.
Pourquoi est-il important de développer ces compétences dans la société actuelle ?
Nous vivons dans un contexte qui n’est pas forcément facile : crise écologique, Covid, guerres, violences multiples et variées… Cela peut être source d’anxiété, de stress et de dépression.
Les compétences psychosociales offrent la possibilité de prendre du recul par rapport à cela.
Si, comme je l’ai déjà mentionné, elles permettent de gérer ses émotions, elles peuvent aussi aider à affiner son esprit critique et, ainsi, trier les mauvaises informations (fake news) des bonnes. Elles permettent de développer la conscience de soi, de bien se connaître et donc de voir ce qui est bon pour soi, poser des limites, s’affirmer, savoir dire non, bien communiquer, apprendre à développer sa pensée créative pour faire face à des situations déplaisantes et savoir s’adapter autrement.
À titre personnel, comment sait-on qu’il est nécessaire de prendre le temps de développer ses compétences psychosociales ? Y a-t-il un élément déclencheur ?
Dans son parcours de vie, on peut sentir à un moment donné que l’on a des résistances, des hésitations, des blocages. On a du mal à se lancer dans des projets. On sent qu’on manque de confiance en soi. On a du mal à s’affirmer et on ne sait pas trop ce que l’on veut. Bref, on peut se sentir un peu perdu. C’est important, à ce moment-là, de prendre en compte cette sensation, de l’écouter et de se faire accompagner.
Il y a deux manières de se faire accompagner. Aller voir un thérapeute individuellement et / ou vivre des ateliers en groupe. Ce dernier est très porteur pour travailler la relation interpersonnelle.
Par ailleurs, beaucoup d’activités peuvent développer ces compétences – qui ne s’acquièrent que dans l’expérimentation, le réel. Il ne faut pas que ce soit simplement cérébral, mais bien que ça touche le cœur. Je pense notamment au théâtre, qui permet d’apprendre à communiquer et à interagir avec un groupe. Mais toute activité artistique qui permet de développer sa créativité est également intéressante et le sport est aussi un excellent moyen de gérer son stress.
Y a-t-il un lien entre perte des compétences psychosociales et usage des écrans ?
Vaste sujet ! Les écrans font aujourd’hui partie de notre quotidien. Ils offrent une source d’information extrêmement riche, permettent de maintenir le lien avec des proches, etc. De nombreux avantages, donc, mais également quelques risques.
- Les jeux vidéos, par exemple, peuvent s’avérer très addictifs. Ils ne permettent ni de gagner véritablement ni de perdre et soumettent leurs usagers à une forme de frustration récurrente.
- L’information que l’on poste sur soi-même sur Internet est également un vrai sujet. Il faut être extrêmement vigilant : tout est stocké et on ne sait pas quel usage d’autres internautes peuvent en faire.
- L’accès à certaines images (ex : pornographie), aux fake news, peuvent être source d’angoisses et de violence…
Les adultes ont donc un rôle d’éducateurs quant à la consommation responsable d’écran. Il est vital que les jeunes apprennent très tôt à s’auto-réguler, à alterner avec des activités qui leur permettent de mobiliser leurs cinq sens. Il est aussi très important de prendre le temps d’échanger avec l’enfant sur ce qu’il peut découvrir sur Internet pour lui offrir de la hauteur de vue.
Clairement, s’il y a trop de temps d’écran dès le plus jeune âge, l’enfant est comme hypnotisé et son cerveau ne peut pas se développer ; cela peut engendrer, entre autres, des troubles du langage.
Une étude rapportée par Michel Desmurget, chercheur en neurosciences à l’Inserm, a comparé des dessins d’enfants âgés de 6 ans, qui ont dessiné des bonshommes. Le premier groupe d’enfants regardait beaucoup d’écran (la télévision, en l’occurrence) et le second en regardait peu. Ce dernier groupe a produit des dessins bien plus riches que le premier groupe.
Aujourd’hui, comme il est compliqué de se séparer de ses écrans, il faut s’entraîner à trouver un équilibre. Tout particulièrement pour les jeunes, plus vulnérables, et ceux qui ont des difficultés psychologiques, ceux qui sont particulièrement sensibles au regard de l’autre. Ces enfants-là sont en quête d’estime d’eux-mêmes. Ils vont donc aller “chercher des likes”, en postant des photos pour obtenir de bons commentaires, par exemple. Leur consommation peut alors devenir pathologique.
Alors oui, si l’on consomme trop d’écran, on s’enferme sur soi. En fonction de ce que l’on fait, on peut perdre le lien avec le réel, les petits ne développent pas leur créativité, les informations reçues peuvent être source de stress et provoquer une altération de l’empathie et de la communication interpersonnelle. D’où l’importance de trouver des moyens autres pour développer ses compétences psychosociales.
Une bonne socialisation ne se fait que dans le réel. Les écrans, c’est bien, mais il faut trouver l’équilibre. Que peuvent faire les parents ? Quelques idées :
- donner un quota de tickets écrans (tickets = 30 min ou une heure par exemple) par semaine et l’ado le gère comme il veut.
- faire un emploi du temps de la semaine, sur un tableau affiché, avec la répartition des activités extrascolaires et des écrans.
- un sac à malices à emporter pour les moments en salle d’attente, plutôt que de prendre le téléphone de papa ou maman pour s’occuper.
- à la maison, quand papa ou maman rentre, que l’enfant prenne son téléphone et qu’il aille le “coucher” dans un endroit bien spécifique pour que les parents soient pleinement disponibles à leur enfant.
Pour aller plus loin
- Parents, vous avez des compétences ! par Corinne Roehrig, médecin et thérapeute familiale, aux éditions Larousse.
- Parler pour que les ados écoutent, écouter pour que les ados parlent, par Adele Faber et Elaine Mazlish, aux éditions du Phare
- papapositive.fr
- apprendreaeduquer.fr
- Le cartable des compétences psychosociales
- Association Estimame (pédagogie développée par Jean Monbourquette)
Découvrez le webinar de juin 2022 : Vous avez dit “hébertisme” ? #ReplayWebinar avec Arthur Huguet du Lorin